La France en feu, le désordre en guise de réveil et comme un invincible sentiment d’impuissance. Lors des récentes émeutes qui ont traversé l’Hexagone de part en part, de Cholet à Béziers, de Saint-Lô à Besançon, de Bergerac à Roubaix, partout une violence aveugle et une bêtise crasse se sont unies pour semer le chaos. Jusqu’à la nausée.
Bien sûr, la crise des banlieues (ou de ce qu’il est devenu convenable d’appeler les « quartiers ») ne date pas de cette fin d’année académique. Les racines sont lointaines et, hélas, profondes. Spontanément seront évoquées, entre autres causes, les vagues migratoires imparfaitement contrôlées, la question d’une urbanisation insuffisamment réfléchie – le plan des « villes nouvelles » de Paul Delouvrier date des années De Gaulle… –, un service scolaire incontestablement en échec, un islamisme indubitablement en sécession.
L’exécutif aura cependant mis un fort accent sur la crise de l’autorité familiale comme l’une des sources de la crise des banlieues. Sur TF1, le président de la République en appelait « à la responsabilité des parents ». Pour le garde des Sceaux, en déplacement au tribunal de Créteil, il s’agissait de « redire aux parents qu’ils tiennent leurs gosses ». « Ce n’est pas à l’État d’élever les enfants. L’État peut aider les parents mais il ne peut pas se substituer à eux. » Les familles concernées par la remise en cause de la liberté de scolariser leurs enfants à la maison apprécieront.
Mais la sortie la plus détonante restera celle du préfet de l’Hérault, au micro de France Bleu Occitanie : « Quand on met au monde des enfants, on s’en occupe dès la naissance. Si effectivement, dans les 12-13 premières années, ces enfants sont élevés comme des herbes folles, il ne faut pas s’étonner qu’à 12-13 ans, on les voie caillasser des véhicules de police ou piller. »
Et d’ajouter, sans passer par quatre chemins : « Je sais qu’en 2019, le Parlement a interdit la fessée, mais très franchement, de vous à moi : si demain vous attrapez votre gamin qui descend dans la rue pour brûler des véhicules de police ou caillasser des pompiers ou piller des magasins, la méthode, c’est quoi ? C’est deux claques et au lit ! C’est ce que faisaient nos grands-parents. »
Nous connaissons la formule ciselée de Bossuet affirmant que Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes. Tout est là. Oui, nos anciens n’avaient pas le goût de la déconstruction qu’ont nos contemporains. Et face au chaos, nous savons que le maintien de l’ordre ne pourra se réaliser sans la préservation d’un ordre plus universel : celui qui s’appuie sur le Décalogue et la sagesse de l’Église.
Lorsque l’anarchie pointe le bout de son nez, à la hâte reviennent au principe d’autorité ceux-là mêmes qui l’ont déconstruit. Cette fameuse « tranquillité de l’ordre », cette paix civile recouvrée, ne pourra évidemment s’affranchir du rôle majeur des parents, et qu’on me permette de le préciser, de celui des pères.
La paternité sert de tuteur à l’âme. Tout père, pourvu qu’il sache s’imprégner de l’expérience bimillénaire de l’Église et de son enseignement constant, peut être en mesure de donner une orientation sûre à ses enfants, de renforcer cette conscience d’appartenir à un patrimoine commun. Le père se trouve sur le front pour prouver à sa famille qu’il ne peut y avoir deux vies parallèles : la vie qu’on nomme spirituelle et l’autre, la vie dite séculière.
La vie chrétienne est totale. En embrassant l’intégralité de la personne, elle presse chaque baptisé de vivre le moins imparfaitement possible des vérités du Christ. La question n’est donc pas tant de vivre ensemble que de prendre plaisir à vivre ensemble. Le père soucieux d’une véritable paix domestique fuira tout consensus mou. Il devient civilisateur dans la mesure où, se nourrissant de l’Évangile, il contribue à dessiner « des espaces de paix et de sociabilité » pour reprendre l’expression charmante du professeur Pierre Chaunu.
Disons-le, les vacances offrent aux pères de formidables occasions de leur donner corps. Parce que nous ne venons pas de nulle part, il leur appartient de maintenir greffé le sarment sur la vigne qui est le Christ. Cette volonté féroce de transmettre la cohérence de la foi au blé qui lève ne pourra se réaliser si les pères eux-mêmes ne cherchent à vivre cette cohérence.
Durant l’été, nous fêterons le dixième anniversaire du rappel à Dieu de deux transmetteurs authentiques, Hélie de Saint-Marc et Jean Madiran (1). Voilà une résolution estivale toute trouvée pour ceux qui ont charge d’âme : relire l’un de leurs ouvrages au creux d’un transat pour y puiser de quoi se mettre debout au service de leur famille. Quel bel été en perspective !
- Vient de paraître : Du Bien commun, Éd. de L’Homme Nouveau, 164 p., 20 e.
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