Guillaume Bernard : « Ces émeutes sont une nouvelle illustration de la triple insécurité qui frappe la France »

Publié le 05 Juil 2023
émeutes

CC BY-SA 4.0

Depuis la mort de Nahel à la suite d’un refus d’obtempérer le 27 juin dernier, des émeutes font rage partout en France. Guillaume Bernard, historien du droit, nous livre son analyse des événements.

 

Quelle a été votre réaction en voyant monter ces violences ?

Franchement, cela ne manquait pas d’arriver. En 2005, des émeutes du même type ont déjà eu lieu et ont duré plusieurs semaines. La situation globale de notre société n’ayant fait qu’empirer, il n’est pas étonnant qu’on en arrive là, N’était-ce pas, d’une certaine manière, inéluctable ?

Ces émeutes sont une nouvelle illustration de la triple insécurité qui frappe la France : insécurité physique et matérielle, insécurité économique et sociale, insécurité culturelle et morale.

Qui sont ces émeutiers et comment expliquer leurs actes ?

D’après les images (et les bandes sonores) qui circulent dans les médias et les réseaux sociaux, il semblerait qu’il s’agisse de populations « banlieusardes », d’origine immigrée, masculines et jeunes.

Dresser un profil sociologique type des émeutiers est, évidemment, nettement plus délicat tant on sait que, dans ce genre de phénomènes, il y a des meneurs et des suiveurs, ceux-ci étant souvent incités par l’impunité ambiante, parfois quelque peu forcés pour ne pas être marginalisés au sein de leurs groupes d’appartenance.

Il est toutefois certain que plus une personne est socialement intégrée (par ses études, ses activités professionnelles), moins elle est susceptible de participer à de telles exactions contre des bâtiments publics ou privés. Il est donc plus que probable que les émeutiers soient des jeunes en échec scolaire, désœuvrés voire à la dérive.

Dès lors, en admettant qu’ils ne soient pas qu’une manifestation d’« ensauvagement », quel peut être la motivation de ces comportements que l’on peut qualifier de « barbares » dans la mesure où ils détruisent les biens du propre cadre de vie des concernés ? L’on constate un mélange entre des slogans colorées d’islam(isme) (« Allah akbar ») et des revendications purement matérialistes (« nous sommes des déshérités » pour ne pas dire des « damnés de la terre »).

Cette combinaison entre, d’une part, un refus d’assimilation culturelle et, d’autre part, un souhait de consumérisme matérialiste est plus qu’ambigüe voire incohérente. Ces jeunes semblent vivre une sorte de schizophrénie faite de rejet et d’attrait pour la société dans laquelle ils vivent, de rejet pour ce qu’il y a de plus ancestral, d’attrait pour ce qu’il y a de plus surfait.

L’embrasement a été d’autant plus rapide qu’il y a des territoires en France qui sont des zones en quasi-sécession. L’expression « zones de non-droit » n’est pas satisfaisante car c’est bien souvent un autre droit (la loi des gangs ou celui de la charia) qui a été substitué à l’ordre public français. Il est donc possible de supposer que d’aucuns (plus âgés que les émeutiers) trouvent intérêt à ces débordements pour, indirectement, assoir leur contrôle sur certains territoires.

Du point de vue du droit, où est l’erreur du policier qui a tué Nahel ? N’avait-il pas le droit de porter une arme et d’en faire usage ?

Dans la mesure des informations dont on dispose, l’erreur est dans le résultat : l’homicide (dont le Parquet devra tout de même prouver qu’il est volontaire ce qui, dans la mesure des informations dont nous disposons, semble tout de même discutable). Le conducteur est mort au lieu d’avoir été stoppé. C’est la disproportion – que l’on ne peut pas balayer d’un revers de la main – entre ce qui semble avoir été les infractions commises et la mort qui a permis, à certains politiques, de monter cette affaire en épingle.

Ce n’était qu’un malheureux fait divers qui a été transformé en une affaire d’État. Il sera permis de relever qu’il n’y a pas le même emballement médiatique ni la même compassion politique quand ce sont de parfaits honnêtes gens qui sont agressés et tués…

Le fait que l’auteur de l’homicide soit un policier et non un criminel lambda ne valide pas la thèse de la violence policière « systémique ». Mais, le fait que la victime (u jeune homme et pas un enfant) n’ait à l’évidence pas été un « ange », ne légitime pas, par principe, n’importe quelle intervention des forces de l’ordre. Invoquer un supposé monopole de la violence légitime, c’est donner à l’État une puissance démesurée par rapport à la société civile, c’est ruiner l’éventualité d’une légitime résistance à l’oppression.

Les forces de l’ordre sont nécessairement au service du régime en place et elles peuvent exécuter, sans broncher, des décisions politiques peu honorables. Sans remonter à la loi des suspects de 1793 ou aux manifestations ouvrières réprimées dans le sang en juin 1848, il suffit de se rappeler de la chasse aux gilets jaunes pacifiques. Il ne s’agit pas d’exprimer, ici, une hostilité envers les individus qui composent les forces de l’ordre, mais une défiance envers ceux qui sont susceptibles de leur donner des ordres qu’ils devront collectivement exécuter et auxquels ils obéiront.

La puissance publique est normalement au service du corps social ; or, il peut arriver qu’elle cherche plus à se préserver qu’à remplir son office. Ainsi, ceux qui pour répondre à d’intolérables émeutes sont prêts à avoir recours à des mesures coercitives globales (du type couvre-feu ou état d’urgence) se rendent-ils compte qu’ils favorisent la restriction des libertés des citoyens paisibles et non celles des voyous ? Comme lors de la crise sanitaire, c’est la même rengaine du contractualisme social qui nous est servie : bonnes gens, abandonnez vos libertés, l’État vous apportera la sécurité.

Outre que ce transfert est intellectuellement plus que discutable, cela peut être un marché de dupes si la puissance publique est défaillante (ce qu’elle est à l’évidence aujourd’hui). Quand l’État ne se contente pas de surveiller l’usage qui est fait des armes à feu, mais cherche à désarmer les citoyens (pour exercer son emprise, pour avoir le monopole de la violence légitime…), il devient tyrannique : car, ce faisant, il n’empêche pas les délinquants d’être, eux, armées mais restreint la capacité des honnêtes gens de mettre en œuvre la légitime défense quand ils sont agressés et que les forces de l’ordre sont absentes !

Cette affaire nous met en présence de deux discours manichéens et sans nuance qui donnent raison, par principe, soit aux délinquants (parce qu’ils n’agiraient ainsi qu’en raison des inégalités sociales) soit à la police (parce que sans elle ce serait l’anarchie). Les tenants de ces discours tentent de prendre l’opinion publique en otage en intimant l’ordre d’y adhérer sous peine d’être moralement disqualifiés. Or, aucun de ces deux discours n’est recevable.

A Angers, des civils ont défendu leur local, à Lorient, d’autres ont proposé leur aide aux forces de l’ordre. Faut-il que les civils sortent pour que les choses rentrent dans l’ordre, l’intervention de la police étant vue comme une provocation ?

Ces deux événements sont d’une très grande importance. Dans les deux cas, la puissance publique s’est révélée incapable d’assurer l’ordre public. Or, à Angers, pour ce que l’on en sait, elle semble reprocher à des personnes de s’être défendues contre une agression extrêmement violente et mettre plus d’entrain à réprimer judiciairement les victimes que les agresseurs.

Soit dit en passant, c’est parfaitement contraire à la logique du pourtant sacro-saint contrat social puisque si les individus ont transféré une partie de leurs droits naturels à la puissance publique, ceux-ci sont inaliénables ; autrement dit, les individus en récupèrent instantanément l’usage quand l’État s’avère incapable de les exercer à leur place. La victime d’une agression n’a pas à attendre l’hypothétique intervention des forces de l’ordre pour se défendre.

Quant à Lorient, c’est la même problématique. Il est parfaitement logique que les personnes prennent l’initiative de rétablir l’ordre en cas de défaillance de la puissance publique. Il n’y a pas d’usurpation de fonction quand les forces de l’ordre ne remplissent pas leur fonction et ne garantissent plus l’ordre. L’État craint, naturellement, une telle situation car il perd une part d’autant plus importante de sa légitimité puisqu’il s’agit, là, d’une des fonctions régaliennes.

Ces interventions de civils révèlent qu’une partie de la population n’a pas l’intention de se laisser imposer la loi de la jungle. Les Français sont peut-être moins amorphes que d’aucuns le pensaient… Cela pourrait, en tout cas, modifier l’état des forces en présence.

Les émeutiers et ceux qui les instrumentalisent interprètent les actuels affrontements comme une guerre entre bandes : la leur et celle de la police. Or, si la population civile s’en mêle, outre que les affrontements pourraient géographiquement s’étendre, cela en transformerait la nature.

Certains analystes n’ont-ils pas prophétisé l’imminence d’une guerre civile ? Précisons cependant qu’elle ne serait « civile » que dans la mesure où elle n’opposerait pas des forces militaires conventionnelles. Elle ne serait pas « civile » dans le sens où s’affronteraient des personnes appartenant culturellement au même corps social.

Elle pourrait être interprétée comme une guerre de résistance pour les uns, de conquête pour les autres. Reste à savoir ce que feraient les forces de l’ordre dans un tel contexte : réprimeraient-elles ceux qui auraient pris les armes par légitime défense ?

Que révèle la course des cagnottes de la famille du policier de Nanterre qui a dépassé le million d’euros, et celle de la famille de Nahel ?

J’aurais tendance à penser que cette cagnotte révèle deux choses : d’une part, plus qu’une adhésion pleine et entière à l’acte du policier (personne ne peut se satisfaire de la mort d’un jeune homme), une compassion pour sa famille désormais sans ressources et, d’autre part, une réprobation des actes de vandalisme et de razzia.

Il est plus que probable que cette cagnotte n’aurait jamais atteint un tel niveau si cette affaite en était restée au stade d’un malheureux fait divers, si elle n’avait pas été politiquement exploitée et si elle n’avait pas été le prétexte à des émeutes.

Qui peut politiquement tirer les marrons du feu des émeutes ?

LFI a définitivement pris le virage communautariste et espère se servir des immigrés comme d’un prolétariat de substitution : certains espèrent la Révolution, d’autres gagner les élections. C’est un pari risqué qui est très loin d’être gagné tant certaines populations d’origine étrangère peuvent préférer trouver en leur sein des candidats (en particulier pour les élections locales) afin de contrôler « officiellement » certains territoires.

Le plus vraisemblable est que ces émeutes favorisent une nouvelle progression électorale du RN. Se développe notamment un vote de prévention chez ceux qui ont fui ou ne connaissent pas directement les affres d’une immigration massive mais qui, réfugiés à la campagne ou dans des villes moyennes, veulent y échapper. Quand on repense à l’argument d’Emmanuel Macron contre Marine Le Pen (si elle est élue, ce sera le chaos), on reste sans voix…

Reste le marais électoral, sociologiquement ou psychologiquement bourgeois, mais tout de même pas assez riche pour être sûr d’échapper à l’insécurité : il commence à ressentir de la peur. Mais la prise de conscience de la situation réelle du pays est assez lente tant il ne s’est jamais préoccupé ni du déracinement des Français dits de souche des catégories populaires ni de la non-assimilation des populations immigrées.

Qu’est-ce que les émeutes disent de l’état d’esprit des banlieues et qu’est-ce qu’elles peuvent mettre en danger ?

En mettant le feu à des écoles ou des bibliothèques, les émeutiers témoignent explicitement de ce qu’ils n’aiment pas la France. Mais n’est-ce pas au moins en partie parce qu’ils ne la connaissent pas ? Qu’est-ce que nombre d’enseignants et de médias leur ont appris ? À haïr la France, à exiger d’elle qu’elle fasse repentance, à dénigrer et relativiser sa culture… Cela n’excuse pas les exactions commises, mais cela contribue à les expliquer.

La doxa a été d’intégrer à la République, de faire adhérer les immigrés à des principes juridiques abstraits sans exiger d’eux une conversion à l’identité française. C’est à l’évidence un échec patent. Nombre d’immigrés ont peut-être la citoyenneté de la République (française) mais ils ne sont pas devenus culturellement français. Ils ne se sont pas assimilés à la longue histoire de France tandis que nombre de Français ont, eux-mêmes, été déracinés.

Dans ces conditions, n’est-ce pas surtout l’actuel régime bien plus que la France qui est en danger ? Je n’affirme rien avec certitude ou de manière péremptoire, mais il me semble qu’il faille vraiment se poser certaines questions. Les hommes politiques responsables de la situation que connait la France ont-ils plus peur de la violence barbare des émeutiers ou de la prise de conscience par le reste de la population de leur incurie et peut-être même leur collusion avec des pouvoirs de fait sécessionnistes ?

Interrogations plus « idéo-clastes » encore : la France et la République sont-elles indissociables ? Qu’est-ce que la France a à perdre de plus que l’idéologie en place (contractualiste et subjectiviste) ne lui a pas déjà fait perdre si elle voyait son régime s’écrouler ? Les « territoires perdus de la République » redeviendront-ils miraculeusement culturellement français si le régime n’était pas renversé ? Par conséquent, dans la mesure où la République n’a pas défendu la France, n’a pas voulu faire aimer la France pas plus au Français qu’aux immigrés, pourquoi les Français devraient-ils en prendre la défense ?

 

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Marguerite Aubry

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