Au-delà de ses aspects immédiats, le confinement aura eu des répercussions sur le catholicisme français et, certainement, sur son avenir. Elles sont loin d’être uniquement négatives. Certes, nous sommes encore privés de messe et plus largement des sacrements. Mais, dans un premier temps, l’ingéniosité et la capacité de réaction des paroisses et des communautés religieuses a montré le dynamisme du petit reste catholique et sa volonté de ne pas subir un état de fait. Comment ne pas s’en réjouir ! Dans le même ordre d’idées, cette diète, bien involontaire, a trouvé tout son sens en renforçant le caractère pénitentiel du Carême, en recentrant comme par obligation les yeux sur l’essentiel et en nous invitant à intensifier notre prière et notre abandon à Dieu.
Mais, sans que sur le moment nous le percevions clairement, Pâques a représenté un tournant ou un point de basculement. Pour la première fois, il a fallu vivre la Semaine Sainte puis la fête de la Résurrection à travers un écran. Pour la première fois également, nos prêtres ont dû célébrer l’événement central du christianisme comme des relégués, seuls ou presque ! Ce qui avait été supporté alors que nous étions dans le temps du Carême et dans l’effervescence de l’organisation de notre survie spirituelle à court terme a paru d’un coup, sinon absurde, peut-être exagéré, du moins difficile à vivre. Nous, catholiques, nous avions faim de Dieu et nous en étions privés.
Nous ne sommes pas les « nounous » de la République
La nouvelle qu’il faudra attendre le 2 juin pour voir rouvrir nos églises, accéder aux sacrements, retrouver nos prêtres et recevoir d’eux la manne eucharistique, ne pouvait donc qu’enflammer les esprits. Inquiets, les évêques ont réagi, d’abord en demandant l’autorisation de rouvrir les églises dès le 11 mai, à l’instar des écoles. Puis ils n’ont pu que prendre acte de la décision gouvernementale, certains en la dénonçant avec force. Des juristes sont aussi montés au créneau, comme le professeur de droit constitutionnel Guillaume Drago et l’avocat Geoffroy de Vries qui, dans une tribune commune (Le Figaro, 23 avril 2020), se sont interrogés « sur ce qu’il faut bien appeler une discrimination et une atteinte au principe d’égalité ».
S’ils usent des ressources du droit actuel, il est malgré tout difficile de les suivre quand ils affirment que « les religions ont une fonction de pacification des relations sociales ». D’abord parce que, contrairement à la vulgate en cours, toutes les religions ne sont pas des éléments de paix. Et surtout parce que le catholicisme n’a pas pour vocation à devenir la « nounou » de la République en produisant des bonnes mœurs, susceptibles de laisser un système intrinsèquement immoral continuer son action destructrice. Ce retour à la conception utilitaire de la religion, portée par Napoléon, ne correspond pas à la vocation de l’Église.
Retour du match Église/État
Le Covid-19 aura donc involontairement reposé les vieilles questions des rapports entre l’Église et l’État. Après Vatican II, nous avions cru que le sujet était épuisé puisque l’Église avait épousé la demande mondaine de liberté religieuse. En France, le baptême par l’Église de la laïcité à la française, née pourtant de la confrontation violente avec l’État, a été largement entériné. Depuis, la posture consiste toujours à se placer dans ce respect de la laïcité, devenue la valeur absolue qui devrait obliger jusqu’à la conscience des catholiques et qui y oblige d’ailleurs concrètement, par une espèce de réflexe impensé. Au point que même l’archevêque de Poitiers, Mgr Pascal Wintzer, s’interroge dans une tribune publiée par La Croix : « La laïcité ne permet pas de prendre en compte cette originalité de l’Église catholique (…) le jacobinisme suppose une Église nationale, qui n’existe pas, seules existent les Églises locales, diocésaines. »
Les discussions autour de la réouverture des églises montrent l’urgence qu’il y a pour l’Église, même en dehors de toutes questions liées au Covid-19, de sortir de l’enfermement mental dans le paradigme de la laïcité et de rappeler que, société parfaite, l’Église est seule légitime à pouvoir régler l’accès aux sacrements et, parmi ceux-ci, à la nourriture même de la vie chrétienne.
Le régime de la laïcité nous est un régime imposé et qui constitue, avant même ses effets sur notre existence, une offense à Dieu. Sur le plan pratique, l’Église et les catholiques ne peuvent certainement pas grand-chose (encore que !). Mais nous pouvons au moins et nous devons réaffirmer les droits de l’Église, et la libertas Ecclesiæ.