Notre quinzaine : Raison garder !

Publié le 04 Mar 2022

À l’heure où nous bouclons ce numéro daté 12 mars, la guerre en Ukraine, déclenchée par la Russie de Vladimir Poutine, continue son cours. Quoi qu’il en soit de son issue, les équilibres géopolitiques et géostratégiques sur lesquels reposait le monde depuis 1989 seront profondément bousculés. Nous sommes donc les spectateurs d’un changement d’époque et, souvent, des spectateurs passifs d’une évolution qui s’impose à nous.

Dans ces conditions, que faire ?

Tout régime en guerre déploie une propagande destinée à rassurer sa population et à lui montrer la légitimité de l’action déployée. Cette propagande vise aussi l’ennemi. Il s’agit d’atteindre son moral et de l’entraîner à douter de la légitimité de son action. Tous ces éléments sont bien connus, la difficulté se trouvant davantage dans l’analyse exacte d’une situation précise, d’autant plus qu’à l’heure des réseaux sociaux, les bruits viennent de tous les côtés, mélangeant parfois subtilement informations véritables, opinions privées, des plus construites aux plus farfelues, et propagande étatique.

Les premiers pas à poser sont simples : ne pas céder à l’émotion ; prendre du recul ; raison garder ! N’ayant pas à L’Homme Nouveau les moyens d’une information large et précise sur le conflit lui-même et sur les étapes qui ont conduit à son déclenchement, nous n’entrerons pas dans l’énoncé d’un jugement définitif. Mais, dans les semaines à venir, nous essayerons d’offrir à nos lecteurs des éléments de réflexion.

La doctrine de la guerre juste

En revanche, nous avons dès maintenant à notre disposition les principes de la philosophie morale et politique ainsi que celle de la théologie pour nous aider à poser un jugement. Dans ce cas comme dans d’autres, plutôt qu’aux assemblées de discussion, aux divers synodes d’autocélébration et de confrontation des opinions, c’est à la doctrine traditionnelle de l’Église qu’il faut revenir.

En matière de conflit, comment en effet ignorer la doctrine de la guerre juste, développée par la théologie chrétien­ne, notamment à partir de saint Augustin et de saint Thomas d’Aquin (1) ? Comment passer par pertes et profits ces siècles de réflexions et d’élaboration au profit d’une trop souvent vague déclaration pacifiste dont les totalitarismes du XXe siècle nous ont montré qu’elle ne tenait pas devant la réalité ?

À ce titre, et bien en amont, c’est d’ailleurs toute la doctrine du péché qu’il faut considérer pour saisir la pleine réalité de la nature humaine blessée et des moyens – dont ceux de la politique, dont celui du métier des armes – de créer les conditions favorables au bien et au juste. Quand il s’interroge sur la guerre, saint Thomas d’Aquin commence justement par le faire au regard du péché (Somme théologique, II IIae, q. 40).

Le retour du tragique dans l’Histoire

Je sais que l’apparition de l’arme atomique a modifié profondément les conditions de la guerre et donc a reposé la question du jugement moral sur son usage. Dans le cas d’un conflit comme celui qui se déroule en Ukraine, les critères élaborés par saint Thomas d’Aquin peuvent cependant nous aider à réfléchir sur la légitimité de l’action entreprise.

S’appuyant sur saint Thomas, l’Église précise que pour qu’une guerre soit licite, « il faut à la fois : – que le dommage infligé par l’agresseur à la nation ou à la communauté des nations soit durable, grave et certain ; – que tous les autres moyens d’y mettre fin se soient révélés impraticables ou inefficaces ; – que soient réunies les conditions sérieuses de succès ; – que l’emploi des armes n’entraîne pas des maux et des désordres plus graves que le mal à éliminer. » (Catéchisme de l’Église catholique, n. 2 309). Le même Catéchisme stipule, en référence à la doctrine sur la légitime défense? (2), que « Pour des raisons analogues les détenteurs de l’autorité ont le droit de repousser par les armes les agresseurs de la cité dont ils ont la charge » (n. 2 265).

N’étant pas à la tête des États ni des armées, nous n’avons pas pour la plupart d’entre nous à porter le jugement prudentiel nécessaire dans le contexte actuel, en vue du bien commun. Dans l’immédiat, nous pouvons en revanche prier pour que les bonnes décisions soient prises et pour le repos de l’âme des victimes, civiles et militaires. Pour le retour aussi d’une vraie paix ! Dans le même temps, et de manière constante, nous devons travailler à reconstruire une société conforme au droit naturel et chrétien selon des modalités qui prennent vraiment en compte ce qu’est la politique et qui ne réduise pas celle-ci au jeu des partis. Le tragique vient d’entrer à nouveau dans l’Histoire. Quel que soit l’avenir, à nous d’être à la hauteur.

1. À ce sujet voir l’article sur notre site : « Guerre en Ukraine et doctrine de la guerre juste ».

2. Voir les fiches publiées dans notre lettre Reconstruire sur le « volontaire indirect » (n° 7) et la « légitime défense » (n° 10). À commander sur notre site. Abonnement 1 an, papier : 30 €, numérique : 20 €.

Ce contenu pourrait vous intéresser

A la uneÉditorialDoctrine socialeLettre Reconstruire

Subsidiarité et bien commun

Édito de la Lettre Reconstruire n°35 | Ce nouveau numéro de Reconstruire continue, à travers la rubrique « Questions de principe », à aborder l’enseignement pontifical à propos de la subsidiarité. Formulé scientifiquement par Pie XI, mais déjà présent chez Léon XIII, le principe de subsidiarité n’a cessé de prendre une place grandissante dans le corpus social catholique. Au point, comme nous le soulignons dans ce même numéro, d’être introduit indirectement dans le nouveau Code de droit canonique (1983) et donc dans la vie de l’Église elle-même.

+

subsidiarité bien commun
Éditorial

Notre quinzaine : Quand on n’a que l’amour

Éditorial du Père Danziec | Notre monde est-il plus violent qu’autrefois ? Prenons garde de répondre trop vite par l’affirmative. Le refrain qui consiste à dire, en tout et nécessairement, « c’était mieux avant » mériterait certainement nuance et contextualisation. Face aux déchaînements de violence propres à l’atmosphère postchrétienne, il s’agit – plus que jamais – de devenir lumière dans les ténèbres. Comment cela ? En prenant la résolution vigoureuse d’accueillir en nous l’amour de Dieu.

+

amour
Éditorial

Notre quinzaine : L’espérance peut-elle être politique ?

Le Christ, notre véritable espérance, est ressuscité. Alléluia ! Nous venons à nouveau de proclamer cette bonne nouvelle qui n’est pas seulement celle d’un jour et d’une fête, fût-elle la plus grande du calendrier chrétien, mais celle qui rejaillit et irrigue constamment notre vie. Nous ne pouvons pas perdre de vue la finalité ultime d’un vrai combat politique qui est le règne du Christ sur les personnes, les familles et la société. Ne perdons pas courage ! Le but est lointain mais nous devons œuvrer à son avènement car notre espérance se fonde sur le Christ, mort et ressuscité.

+

espérance
ÉditorialDoctrine socialeLettre Reconstruire

Avortement : il est urgent de remonter à la source

Lettre Reconstruire n°34 – Edito | Le lundi 4 mars, le droit à l’avortement est officiellement entré dans la Constitution de la République française. Votée en 1975 comme une dépénalisation et une exception, la loi libéralisant l’avortement s’est muée au fil du temps en un véritable droit positif dont la remise en cause s’est vue de plus en plus entravée. Sans aucun doute, cette défaite pour la vie et pour le militantisme anti-avortement aura des conséquences dans les mois ou les années à venir. Un examen de conscience et une remise en cause des méthodes employées et de la doctrine sur laquelle se fonde ce combat sont nécessaires.

+

constitutionnalisation avortement
ÉditorialBioéthique

Notre quinzaine : La vérité, à temps et à contretemps

Édito du Père Danziec | Dans sa fameuse lettre Que dire à un jeune de vingt ans, Hélie de Saint Marc suggère à son jeune lecteur de « ne pas s’installer dans sa vérité et de vouloir l’asséner comme une certitude »mais lui conseille plutôt de « savoir l’offrir en tremblant comme un mystère ». Permettez-moi, à l’occasion de cet éditorial, de me plier à une rapide étude de la citation d’Hélie de Saint Marc en tentant de l’appliquer au drame de la constitutionnalisation de l’avortement qui fait la couverture de ce numéro.

+

vérité