Est-ce un des aspects de l’accélération de l’histoire dont parlait déjà Daniel Halévy dans un essai célèbre paru en 1948 ? Dans tous les cas, certainement une accélération de la communication, qui a bien évidemment une incidence sur notre rapport au temps et donc à notre compréhension de celui-ci. Informé, surinformé, déformé, aucun de nous n’échappe ainsi au flux constant de données qui se déversent dans nos cerveaux et notre sensibilité. Les mots eux-mêmes perdent de leur clarté et nous nous enfonçons dans le nominalisme, repeignant le réel au rythme de nos idées. Le résultat ? Toute réflexion profonde, toute interrogation et jusqu’à une certaine prise de distance critique, semblent désormais impossibles. Nous en aurions pourtant bien besoin aujourd’hui.
Le providentialisme politique
À l’heure où j’écris ces lignes, nous venons d’apprendre les résultats des élections européennes. Pendant plusieurs semaines, elles ont suscité la mobilisation de toute la classe politique. Emmanuel Macron a clairement donné le sens de ce rendez-vous électoral en désignant officiellement le Rassemblement national, aujourd’hui vainqueur, comme son adversaire désigné. Les sondages avaient annoncé une remontée du candidat des Républicains, le brillant François-Xavier Bellamy, qui finalement a subi une sévère défaite pendant que les écologistes se placent en troisième position.
On peut évidemment se contenter d’analyser les résultats en fonction de l’avenir électoral. En bref, de la survie du système ! Mais, nous pourrions aussi tenter de nous dégager de l’immédiateté et porter notre attention au-delà, en ne nous interdisant pas certaines questions. Par exemple, pourquoi avons-nous, nous Français, et singulièrement nous catholiques français, le réflexe constant et, au fond quasi désespéré, de tout attendre d’un homme (ou, une femme) providentiel(le) ? Hier, il s’agissait du maréchal Pétain ou du général De Gaulle. Aujourd’hui, de François-Xavier Bellamy ou, pour une autre portion de la droite, de Marion Maréchal. N’aurions-nous pas besoin de passer au préalable par quelques étapes nécessaires comme l’analyse des ressorts du système démocratique, l’interrogation de l’histoire des rapports des catholiques avec le pouvoir et singulièrement avec ce que Léon XIII dénonçait comme le « droit nouveau » afin de déterminer ensuite les voies d’action concrètes ?
La montée en puissance en Europe des écologistes le montre aussi en creux. Yannick Jadot n’a rien d’un homme providentiel. En revanche, l’idéologie écolo-mondialiste campe dans les mentalités et ce, à coup d’annonces fracassantes sur la fin de la planète et la disparition de l’espèce humaine (cf. le dossier de ce numéro).
Quels sont les fondements, les ressorts, les porte-voix de cette idéologie qui fait système au point de toucher tous les milieux, y compris le monde catholique ? Y a-t-il possibilité de distinguer un bon grain de l’ivraie ? Sommes-nous face à une sorte de « peur de l’an mil » médiatique qui n’accepterait comme limite que les dogmes de la nouvelle doxa que sont l’avortement, le droit des minorités sexuelles et l’euthanasie (cf. l’affaire Vincent Lambert) ?
L’honneur de servir
C’était au début du mois de mai dernier. Autant dire, il y a un siècle à l’aune de l’information en continu. Deux commandos marine se sacrifiaient pour libérer quatre otages. Le 14 mai, un hommage national leur a été rendu. L’émotion, compréhensible, a été vive dans l’ensemble du pays. Mais qu’en reste-t-il aujourd’hui que d’autres événements ont chassé le souvenir de ces deux marins ?
Certes, depuis que la France connaît la menace terroriste sur son sol, l’image de l’armée n’a jamais été aussi positive auprès des Français. S’il faut saluer cet aspect, il convient également de s’interroger. Ceux qui meurent ainsi appartiennent à une institution qui est l’une des dernières à ne pas être investie par l’esprit démocratique obligatoire. Les vertus qui y sont cultivées sont celles des sociétés traditionnelles, surélevées et équilibrées par le christianisme : le service, l’honneur, le sacrifice, l’effort, la discipline, l’obéissance, etc., le tout, ordonné au bien commun. Pourtant, force est de constater que ces vertus traditionnelles et leur mise en œuvre servent aujourd’hui à la survie d’un système issu de la modernité, bâti exactement sur leurs opposés.
Il ne s’agit là que de questions et de constats. De simples questions. Mais la réponse que nous leur apporterons peut constituer le premier pas pour sortir de la servitude volontaire afin de retrouver notre paix intérieure et travailler à l’extension du royaume du Christ.