Pro Multis : la petite leçon du Pape sur les traductions…

Publié le 04 Mai 2012
Pro Multis : la petite leçon du Pape sur les traductions… L'Homme Nouveau

L’affirmation selon laquelle le Pape Benoît XVI donne une grande importance à la question liturgique dans son pontificat est parfois considérée comme une exagération. Et il est vrai que le pontificat ne se réduit pas aux seuls aspects liturgiques. Dans le même temps, ce serait ignorer la signification profonde de ce dernier que de passer à côté de l’importance qu’accorde Benoît XVI à ce pan essentiel de la vie de l’Église, qui touche, selon lui, à l’essence même du mystère de l’Église. Une preuve récente vient d’être d’ailleurs donnée par la lettre que le Pape Benoît XVI a écrite aux évêques allemands à propos d’un problème de traduction du Missel romain de la forme ordinaire dans la langue de ce pays. Que le Pape en personne s’implique ainsi dans cette question montre au moins deux choses. D’abord, qu’il attache de l’importance à ces questions de traduction – c’est-à-dire au rapport entre la foi et son expression – et ensuite, qu’il y a du côté de l’épiscopat allemand un manque évidence de clairvoyance sur ce rapport entre la foi et son expression.

La lettre du Pape Benoît XVI date du 14 avril dernier. Elle concerne la traduction du « pro multis » 

dans la prière du canon de la messe. L’Église souhaite que cette parole soit traduite par « pour beaucoup » et non par « pour tous », comme c’était le cas dans plusieurs pays du monde et comme ce pourrait être le cas dans certaines parties de la zone d’expression allemande. Selon la traduction proposée par le site italien Chiesa, voici notamment ce qu’écrit le Pape :

« Si Jésus est mort pour tous, pourquoi, lorsqu’Il a prononcé les mots de la Dernière Cène, a-t-il dit “pour beaucoup” ? Et pourquoi, alors, insistons-nous sur ces mots de Jésus lors de l’institution ?

Avant tout il faut encore préciser, à ce point du raisonnement, que, selon Matthieu et Marc, Jésus a dit “pour beaucoup” alors que, selon Luc et Paul, il a dit “pour vous”. Apparemment cela rétrécit encore davantage le cercle. Mais c’est justement à partir de là que l’on peut s’approcher de la solution. Les disciples savent que la mission de Jésus les transcende, eux et leur groupe ; qu’Il est venu pour rassembler tous les enfants de Dieu dispersés dans le monde entier (Jn 11, 52). Les mots “pour vous” rendent la mission de Jésus très concrète pour ceux qui sont présents. Ils ne sont pas un quelconque élément anonyme d’un ensemble immense, mais chacun d’eux sait que le Seigneur est mort précisément pour lui, pour nous. “Pour vous” remonte dans le passé et se porte vers l’avenir, il s’adresse à moi personnellement ; nous, qui sommes rassemblés ici, nous sommes connus et aimés en tant que tels par Jésus. Donc ce “pour vous” n’est pas une limitation, mais une concrétisation qui est valable pour toute communauté qui célèbre l’Eucharistie, qui l’unit concrètement à l’amour de Jésus. Le canon romain a uni entre elles les deux expressions bibliques dans les paroles de la consécration et il dit donc : “pour vous et pour beaucoup”. Lors de la réforme de la liturgie, cette formulation a été adoptée pour toutes les prières eucharistiques.

Mais, une fois encore : pourquoi employer l’expression “pour beaucoup” ? Est-ce que le Seigneur n’est pas mort pour tous ? Le fait que Jésus-Christ, en tant que Fils de Dieu fait homme, soit l’homme pour tous les hommes, le nouvel Adam, c’est l’une des certitudes fondamentales de notre foi. Je voudrais, à ce propos, rappeler seulement trois passages des Écritures. Dieu a livré Son Fils “pour nous tous”, écrit Paul dans la lettre aux Romains (Rm 8, 32). “Un seul est mort pour tous”, affirme-t-il dans la seconde lettre aux Corinthiens à propos de la mort de Jésus (2 Co 5, 14). Jésus “s’est livré en rançon pour tous”, lit-on dans la première lettre à Timothée (1 Tm 2,6).

Mais alors faut-il vraiment demander de nouveau : si c’est tellement évident, pourquoi la prière eucharistique dit-elle “pour beaucoup” ? Et bien, l’Église a tiré cette formulation des récits de l’institution qui se trouvent dans le Nouveau Testament. Elle l’utilise par respect pour la parole de Dieu, pour lui rester fidèle jusque dans la parole. La raison de la formulation de la prière eucharistique, c’est la crainte révérencielle face à la parole de Jésus elle-même. Mais alors nous nous demandons : pourquoi Jésus a-t-Il parlé ainsi ? La véritable raison, c’est que, de la sorte, Jésus s’est fait reconnaître comme le serviteur de Dieu dont il est question en Isaïe 53, qu’Il s’est révélé comme la figure annoncée par la prophétie. La crainte révérencielle de l’Église devant la Parole de Jésus, la fidélité de Jésus aux paroles de “l’Écriture” : c’est cette double fidélité qui constitue le motif concret de la formulation “pour beaucoup”. Nous nous insérons dans cette chaîne de respectueuse fidélité par la traduction littérale de la Parole de l’Écriture.

De même que nous avons dit précédemment que le “pour vous” de la tradition de Luc et Paul n’est pas une limitation mais une concrétisation, de même nous pouvons reconnaître maintenant que la dialectique entre “beaucoup” et “tous” a une importance propre. “Tous” se placent au niveau ontologique – l’être et l’action de Jésus incluent l’humanité tout entière, le passé, le présent et l’avenir. Mais de fait, historiquement, dans la communauté concrète de ceux qui célèbrent l’Eucharistie, ils n’impliquent que “beaucoup”. Cela fait que l’on peut distinguer une triple signification de l’attribution de “beaucoup” et de “tous”. »

Dans cette lettre aux évêques allemands, on remarquera un autre passage qui montre que Benoît XVI a su tirer la leçon des erreurs du passé et ce passage éclaire magnifiquement son pontificat et cette tension qui existe entre mise en évidence de la vérité et souci du bien du peuple chrétien :

« L’expérience des cinquante dernières années nous a appris à tous combien la modification des formes et textes liturgiques affecte profondément les gens et donc combien un changement portant sur un point aussi central du texte doit les inquiéter. »

Une confidence qui éclaire singulièrement sur la manière Benoît XVI.

Ce contenu pourrait vous intéresser

A la uneEgliseSynode sur la synodalité

La synodalité dans la tourmente

Le cardinal Mario Grech, secrétaire général du Synode des évêques depuis 2019, se confiait le mois dernier sur le synode et les intentions du Pape pour ce dernier. Il s'est notamment exprimé sur les couples homosexuels et le diaconat féminin, rappelant l'attachement du pape François à la théologie du peuple.

+

synod
A la uneEgliseLiturgie

Pour la liberté entière de la liturgie traditionnelle, en vue du redressement de l’Église

Jean-Pierre Maugendre, Directeur général de Renaissance catholique, propose une campagne internationale pour la liberté entière de la liturgie traditionnelle. Malgré la déchristianisation croissante de la société et la crise de l'Église, il rappelle que celle-ci peut renaître par le biais de la liturgie traditionnelle, dont la sûreté doctrinale et la transcendance ont sanctifié ceux qui nous ont précédés pendant des siècles, et contribuent encore à de nombreuses conversions. À condition de lui redonner une liberté pleine et entière, et non pas seulement une tolérance restrictive. 

+

liturgie traditionnelle
ChroniquesEgliseLiturgie

La Pause liturgique : Sanctus 5, Messe Magnæ Deus potentiæ (Mémoires des Saints)

Ce Sanctus du 4e mode a quelque chose de mystique et de majestueux, dans sa simplicité. Il alterne heureusement les formules neumatiques et les passages syllabiques, les progressions par degrés conjoints et les intervalles de tierce, de quarte ou même de quinte, les élans vers l’aigu et les détentes vers le grave. Ce Sanctus a la particularité de n’être représenté que par une seule source manuscrite, allemande, datée de la toute fin du XIIe siècle.

+

sanctus
A la uneEgliseLiturgie

Confirmation : La chrismation chez les Orientaux (3/3)

Dossier : « Quelle place faut-il donner à la confirmation ? » 3/3 | Le sacrement de confirmation est conféré d’une façon bien différente dans les rites orientaux où il est n’est pas séparé du baptême. La cérémonie, proche de ce qui se faisait en Occident aux premiers siècles, revêt donc une forme spécifique et est accompagnée de prières faisant abondamment référence au baptême du Christ.

+

chrismation confirmation