Progression du chiisme en Afrique, une donnée qui peut modifier les équilibres géopolitiques

Publié le 09 Nov 2016
Progression du chiisme en Afrique, une donnée qui peut modifier les équilibres géopolitiques L'Homme Nouveau

En Afrique, la progression du nombre de chiites s’explique davantage en raison de la croissance démographique et de l’avancée du front de l’Islam qu’en vertu d’une stratégie élaborée d’un Iran toujours confiné. Toujours est-il que l’implantation du chiisme dans le paysage africain ne sera pas sans conséquences géopolitiques. D’ores et déjà, l’opposition des communautés chiites aux formes les plus violentes de djihadisme leur a coûté plusieurs centaines de victimes.

L’actuelle progression du chiisme en Afrique ne s’inscrit pas dans un terreau entièrement vierge. Au fur et à mesure qu’il gagne des fidèles, le chiisme vient en réalité réactiver les mémoires de sa propre implantation. Ces mémoires sont multiples et se superposent parfois les unes aux autres. Il s’agit en premier lieu de la dynastie chiite Idrisside, fondatrice du Maroc, qui étend son influence sur la côte atlantique entre 789 et 985. Il s’agit en second lieu de l’héritage fatimide : cet empire chiite couvrait l’ensemble de l’Afrique du Nord entre 909 et 1171. Sa mémoire culturelle reste vive dans la langue et la pratique religieuse. Le quatrième héritage chiite est lié à l’influence des commerçants persans, poussés par la mousson vers l’Afrique Orientale. Entre le IIIe et le XVe siècles, ces communautés marchandes s’installent en Afrique et gagnent une influence notable sur les cultures locales. Ceci explique les raisons pour lesquelles le Swahili emprunte un certain nombre de mots au persan. Le cinquième héritage est lié à la présence en Afrique orientale des Khoja chiites duodécimains, originaires de la région de Gujarat en Inde. Les Khoja s’installent en Ouganda, au Kenya, en Tanzanie et en Afrique du Sud. La cinquième mémoire est celle des Libanais, dont les communautés se fixent en Afrique de l’Ouest dès le XVIIIe siècle, notamment au Sénégal, en Guinée et en Côte d’Ivoire.

Ces différents conservatoires du chiisme ont été utilisés dès la révolution islamique afin d’étendre l’influence de l’Iran. Naturellement, Téhéran a porté prioritairement ses efforts sur l’Afrique Orientale où le chiisme est plus anciennement implanté. Sa présence au Soudan, ou en Erythrée lui permet de faire face à l’Arabie Saoudite au Sud, complétant ainsi son dispositif Yéménite. Le Soudan a été considéré comme l’Etat pivot de la présence iranienne en Afrique. Ceci n’empêche pas la progression du chiisme au Nigéria, au Sénégal, au Cameroun, ou même en Algérie, où il séduit de plus en plus les élites intellectuelles. Les micro-communautés chiites ne forment encore qu’une proportion infime des musulmans sans jamais dépasser 5% de la population. Mais ces minorités sont actives, constituées en réseau, elles touchent les élites et ont une influence plus importante qu’il n’y paraît. De part leur opposition à l’Islam wahhabite, elles sont parfaitement renseignées sur sa progression et il y a fort à parier pour que leur influence politique grandisse dans la décennie à venir.

Thomas Flichy de La Neuville est professeur à l’Institut d’Etudes Politiques de Bordeaux, à l’Ecole Navale puis à l’Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr. Il est spécialiste de la diplomatie au XVIIIe siècle et auteur de plusieurs ouvrages de géopolitique. Son dernier livre, en collaboration avec Olivier Hanne, vient de paraître : La dette ou le crépuscule des peuples, Editions de l’Aube, septembre 2014.

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