Guillaume de Thieulloy : Quas Primas, un enseignement périmé ?

Publié le 11 Déc 2025
quas primas
Enquête Quas Primas 
Quelles sont les raisons qui ont conduit à l’effacement du thème de la Royauté sociale du Christ dans le magistère contemporain ? Évolution liturgique, réception contrastée de Dignitatis humanae, embarras post-constantinien, l’intuition de Pie XI demeure actuelle et plus que jamais nécessaire.

 

Nous fêtons ce 11 décembre le centenaire de l’encyclique Quas Primas par laquelle Pie XI institua la fête du Christ-Roi. 

Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’aujourd’hui, cet doctrine n’est plus guère professé par l’Église enseignante. Le magistère préfère aujourd’hui repousser la Royauté du Christ à la fin des temps – ce que laisse deviner la transformation de la fête liturgique passée du Christ-Roi des nations, célébrée le dernier dimanche avant la Toussaint, au Christ-Roi de l’univers, célébrée le dernier dimanche de l’année liturgique. Certes, les deux notions ne sont pas antithétiques et le Christ règne bel et bien à la fois sur l’univers et sur les nations, mais il est clair que les accentuations sont assez différentes. 

Examinons donc plus en détail les raisons de cette discrétion du magistère sur la dimension politique de la Royauté christique. 

La première consiste à considérer que cet enseignement est peu ou prou périmé. On se souvient qu’autour du concile Vatican II, beaucoup de voix « autorisées » ont parlé de « fin du constantinisme » (en référence à l’empereur Constantin qui mit un terme aux persécutions avant que ses successeurs fassent du christianisme la religion officielle de l’empire). Soit que l’on considérât que l’Église s’était compromise avec les pouvoirs temporels et qu’elle devait revenir à la pureté des origines, soit que l’on considérât, du moins, qu’il n’existait quasiment plus de pouvoirs temporels chrétiens et qu’il était temps d’opter pour une autre stratégie d’évangélisation.

À vrai dire, cette idée paraît beaucoup moins évidente aujourd’hui. D’une part, on ne saurait prétendre que les nouvelles stratégies pastorales aient été particulièrement fructueuses. D’autre part, quel crédit accorder à une Église qui aurait erré pendant quinze siècles ? 

Discrétion magistérielle

Il reste qu’il est parfaitement possible qu’un enseignement magistériel se « périme », au sens où plus personne ne le professe. On peut évoquer en ce domaine le millénarisme (l’idée, que décrit l’Apocalypse, de mille ans de règne temporel du Christ avant la fin du monde) qui fut professé par la plupart des Pères de l’Église avant d’être contesté par saint Augustin.

On peut aussi, dans l’ordre théologico-politique, rappeler que les papes du Moyen Âge défendaient la fameuse théorie des deux glaives subordonnantstrictement le pouvoir temporel des princes à leur propre pouvoir spirituel et que cette théorie n’est plus guère professée depuis saint Robert Bellarmin et la théorie du pouvoir indirect. J’y reviendrai mais, selon moi, il n’est pas possible de considérer que la Royauté sociale du Christ soit périmée en ce sens sans entraîner l’effondrement de tout le dogme. 

La seconde raison de la discrétion magistérielle sur cette royauté temporelle du Christ concerne l’enseignement de Vatican II sur la liberté religieuse. On sait que la déclaration Dignitatis humanae reste l’un des textes les plus controversés du Concile. Je ne prétends pas trancher, dans un article si court, des débats subtils et passionnants. Mais il est sûr que la tonalité de la déclaration conciliaire diverge fortement de celle de Quas Primas. S’il existe un droit de chaque personne humaine à professer en public comme en privé une fausse religion, on voit mal comment cela serait compatible avec la souveraineté du Christ sur les nations. Il devient assez logique de repousser celle-ci à la fin des temps.

Pourtant, ce n’est pas si simple. D’abord, parce que Dignitatis humanae commence par rappeler que les sociétés temporelles sont tenues de professer la foi catholique lorsqu’une grande part de leurs sujets en ont reconnu la vérité. Mais, surtout, la Royauté sociale du Christ s’oppose bien davantage au laïcisme et au refus des autorités politiques de laisser l’Église prêcher la vérité qu’à la liberté religieuse proprement dite.

Au demeurant, l’exemple américain, bien qu’il soit loin d’être certain qu’il soit devenu le modèle des relations Église-État (après avoir été condamné sous le nom d’américanisme par Léon XIII !), montre que des sociétés « laïques » peuvent fort bien être conformes à l’esprit comme à la lettre de Dignitatis humanae, tout en rendant périodiquement hommage à la souveraineté du Christ – comme on voit les présidents américains le faire dans leurs prières publiques. 

S’il est donc assez facile de comprendre pourquoi l’enseignement de Pie XI est aujourd’hui pratiquement passé sous silence, il n’est pas moins aisé de relever que rien ne s’opposerait à ce qu’il soit, au contraire, professé avec autorité. 

Reste à savoir si ce serait opportun et si cet enseignement demeure d’actualité. 

Dieu et la providence

Selon moi, il n’est tout simplement pas possible que cet enseignement soit « périmé », ni que l’Église s’abstienne de le professer clairement. Occulter la Royauté sociale du Christ n’est pas bien différent de ce que faisait jadis Voltaire avec son « Grand Horloger » : on veut bien admettre que Dieu a créé le monde et qu’il jugera tous les hommes à la fin des temps mais, dans l’intervalle, il est, si j’ose dire, prié de se tenir à distance. Cela n’a aucun sens.

Si, par impossible, le Dieu éternel et créateur cessait de penser à ses créatures, celles-ci retourneraient au néant : il n’est pas possible de penser l’acte créateur de Dieu sans penser à la Providence qui nous maintient dans l’être. Si la Royauté du Christ ne sera pleinement reconnue que dans la gloire de l’Église triomphale, elle ne peut être repoussée à la fin des temps sans être réduite à l’insignifiance.

Par ailleurs, tout se passe comme si les évêques contemporains considéraient que l’Église ne doit plus « s’occuper de politique ». Il serait pourtant étrange que la religion du Dieu incarné laisse de côté un pan aussi important de la vie des hommes. De même qu’il y a un art chrétien, une morale chrétienne, il existe une politique chrétienne. Et aussi une politique antichrétienne contre laquelle nous avons le devoir de rappeler, à temps et à contre-temps, la souveraineté du Christ. 

Un amalgame

On devine, à travers bien des pudeurs épiscopales, qu’une sorte d’amalgame s’est opéré entre la Royauté sociale du Christ, la chrétienté et le Moyen Âge. Mais ce sont trois choses différentes. Le Christ règne sur toutes les sociétés. Y compris sur celles qui l’ont chassé : comme disait le cardinal Pie : « Si le Christ ne règne par les bienfaits de sa présence, il règne par les méfaits de son absence. »

La chrétienté est une société où princes et sujets tentent de laisser toute sa place à la Royauté du Christ – malgré le péché qui demeure et qui empêche que cette royauté soit « tout en tous ». Bien sûr, le Moyen Âge fut la période qui s’approcha le plus de cet idéal mais « tout restaurer dans le Christ » n’impose pas d’abandonner l’énergie nucléaire ou nos connaissances en génétique ! 

La Royauté sociale du Christ n’est, en somme, rien d’autre que l’acceptation d’une morale politique – car la loi évangélique ne se réduit pas à la morale conjugale ! – et, corollairement, le refus du totalitarisme.

En particulier, elle s’oppose frontalement à « l’alliance entre la démocratie et le relativisme éthique » naguère dénoncée par Jean-Paul II dans Veritatis Splendor, à cette « démocratie sans valeurs [qui] se transforme facilement en totalitarisme déclaré ou sournois » – où le Parlement prétend pouvoir dire le vrai et le faux, le bien et le mal. Si nos évêques prêtent attention aux « signes des temps », ils devraient remettre au goût du jour l’enseignement de Quas Primas qui n’a jamais été si actuel ! 

 

>> à lire également : Dossier Année du Christ-Roi

 

Guillaume de Thieulloy

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