S’inscrivant dans une tradition dont l’antiquité est évoquée dans l’article « La longue tradition de l’homélie » en page 26 de L’HN n°1527 du 13 octobre, le Bréviaire romain réformé à la suite du concile de Trente donne, les dimanches et fêtes, une homélie d’un Père de l’Église. En 1961 fut publiée l’édition typique du Bréviaire qui suit la réforme lancée par Pie XII et promulguée par Jean XXIII. Le dimanche, pour alléger l’office de nuit (les « matines »), cette homélie est réduite à un tiers. Les ordres religieux non-actifs, comme les bénédictins et les cisterciens, ont conservé le texte initial.
On trouvera ci-après la traduction des homélies du Bréviaire romain de 1568 pour les XXe et XXIe dimanches après la Pentecôte (14 et 21 octobre), dans la forme extraordinaire.
Vingtième dimanche après la Pentecôte (14 Octobre)
Évangile : Jn 4, 46-53 (guérison du fils d’un fonctionnaire royal)
Homélie : saint Grégoire le Grand, Homélies sur les évangiles, 28, 1 (traduction tirée du Bréviaire romain – traduction annotée, Desclée 1924)
La lecture du saint Évangile que vous venez d’entendre, frères, n’a pas besoin d’explication ; mais pour ne pas sembler la passer sous silence, disons un mot d’exhortation plutôt que d’explication. Je ne vois rien que nous devions expliquer, sauf ceci : pourquoi celui qui était venu demander le salut pour son fils s’est-il entendu dire : « Si vous ne voyez des signes et des prodiges vous ne croirez pas » ? Il est évident que celui qui cherchait à sauver son fils croyait. Autrement, aurait-il cherché le salut auprès de quelqu’un qu’il ne croyait pas être Sauveur ? Pourquoi, donc, est-il dit : « Si vous ne voyez des signes et des prodiges, vous ne croirez pas », à celui qui a cru avant d’avoir vu des miracles ?
Rappelez-vous ce qu’il a demandé alors vous verrez plus clairement qu’il a douté dans sa foi. Car il lui demanda de « descendre et de guérir son fils ». Donc il cherchait la présence corporelle du Seigneur qui, par son esprit était présent partout. C’est en cela qu’il n’a pas cru assez en celui qu’il n’a pas estimé capable de rendre le salut s’il n’était pas présent corporellement. S’il avait cru parfaitement, il aurait tenu pour certain qu’il n’y a pas de lieu où Dieu ne soit.
Il a donc grandement manqué de confiance parce qu’il n’a pas rendu honneur à la majesté, mais à la présence corporelle. Il demanda donc le salut de son fils, et cependant il douta dans sa foi. Il crut celui à qui il était venu puissant pour guérir, pourtant il l’estima éloigné de son fils mourant. Mais le Seigneur qui est prié de venir montre qu’il n’est pas absent du lieu où il est invité : par son seul commandement il rendit le salut, lui qui par sa volonté a tout créé.
Vingtième-et-unième dimanche après la Pentecôte (21 Octobre)
Évangile : Mt 18, 23-35 (parabole du débiteur impitoyable)
Homélie : saint Jérôme, Commentaire sur Matthieu 18, 23. 35 (traduction tirée du Bréviaire romain – traduction annotée, Desclée 1924)
C’est une habitude, chez les Syriens et surtout les Palestiniens, de toujours mêler à leurs propos quelque parabole ; ainsi, les auditeurs saisissent par des comparaisons et des exemples ce qu’un simple précepte ne peut leur faire entendre. Par la comparaison du roi et maître et du serviteur qui devait dix mille talents et qui obtint de son maître la remise qu’il implorait, le Seigneur prescrit à Pierre de remettre à ses compagnons de service les péchés moins considérables. Car si ce roi et maître remet si facilement les dix mille talents que son serviteur lui doit, à combien plus forte raison les serviteurs doivent-ils remettre de moindres dettes à leurs compagnons de service ?
Pour plus de clarté, prenons un exemple. Si l’un de nous commet un adultère, un homicide, un sacrilège, eh bien, ces crimes plus importants que la dette de dix mille talents, sont remis à ceux qui implorent, pour autant qu’eux-mêmes remettent à ceux qui leur doivent beaucoup moins. Mais si pour une injure reçue nous sommes implacables, si pour une parole amère nous gardons rancune sans fin, ne reconnaîtrons-nous pas que nous méritons d’être incarcérés et que par l’exemple de notre action nous nous fermons la possibilité du pardon pour nos fautes plus graves ?
« C’est ainsi que mon Père du Ciel vous traitera si chacun de vous ne pardonne pas à son frère de tout son cœur. » Redoutable sentence qui soumet et transforme le jugement de Dieu selon les dispositions de notre cœur ! Si nous ne remettons pas à nos frères les petites offenses, Dieu ne nous remettra pas les grandes. Et parce que chacun peut dire : « Je n’ai rien contre lui, il le sait bien, il a Dieu pour juge ; je ne me soucie pas de ce qu’il veut faire, je lui ai pardonné », le Seigneur insiste sur ce qu’il vient d’énoncer et ruine tout semblant de paix fictive par ces mots : « Si chacun de vous ne pardonne pas à son frère de tout son cœur. »
En 1971, fut publiée la Liturgia Horarum, nouvel office divin composé selon les vœux du concile Vatican II. Rompant avec cette tradition des homélies de matines, cette composition ne comporte pas d’homélies sur les évangiles lus à la messe. Toutefois, en 1991 parut un homéliaire, composé sous la direction du père Henri Delhougne : Les Pères de l’Église commentent l’évangile (Brepols). Cet ouvrage donne des homélies pour les dimanches des trois années de lectures du Lectionnaire de 1970 ainsi que pour les solennités ; son usage a été autorisé en remplacement de la seconde lecture de l’office des lectures. De son côté, l’abbaye Saint-Pierre de Solesmes a publié entre 1993 et 1995 un Lectionnaire monastique comportant entre autres textes des homélies pour ces jours.
Les homélies données ci-après sont tirées du Bréviaire romain antérieur au concile Vatican II et correspondent aux évangiles lus les deux prochains dimanches, dans la forme ordinaire du rite romain.
XXVIIIe dimanche du temps ordinaire – année B (14 octobre)
Évangile : Mc 10, 17-27 [brève] ou 17-30 [longue] (rencontre du jeune homme riche)
Homélie : saint Bède le Vénérable, Sur Marc 10, 17-21 (Bréviaire romain [1955], 27-28 février, S. Gabriel de la Vierge des Douleurs)
«Au moment où il se mettait en chemin, voici qu’un homme courant à sa rencontre, ayant fléchi le genou devant lui, lui demanda: “Bon Maître, que ferai-je pour recevoir la vie éternelle?”» Ce questionneur au sujet de la vie éternelle avait entendu, je pense, comment le Seigneur avait dit que ceux-là seuls qui voudraient être semblables aux petits enfants seraient dignes d’entrer dans le royaume des cieux et, prenant souci d’obtenir un exposé plus déterminé, il demande qu’on lui explique non plus en parabole, mais clairement, par quelles œuvres méritoires il peut obtenir la vie éternelle. «Jésus lui dit alors: “Tu connais les préceptes.”» Voilà la chasteté de l’innocence d’enfant qui est proposée à notre imitation, si nous voulons entrer dans le royaume de Dieu. «Mais l’interrogateur répondant lui dit: “Maître, j’ai observé tout cela dès ma jeunesse.”» Il ne faut pas croire que cet homme, comme certains l’ont pensé, a interrogé le Seigneur dans le désir de le tenter, ni qu’il a menti au sujet de sa vie, en disant qu’il avait gardé les commandements de la loi, mais qu’il a déclaré simplement ce qu’avait été sa vie. Car s’il avait été coupable de mensonge ou de la faute de simulation, jamais on n’aurait dit que Jésus l’aimait, après avoir vu les secrets de son cœur.
Le Seigneur, en effet, aime ceux qui gardent les commandements de la loi, bien que de moindre importance, et malgré cette infériorité, il montre ce qu’il y avait de moindre dans la loi, à ceux qui désirent être parfaits, parce qu’il n’est pas venu abolir la loi, mais l’accomplir. A cet accomplissement, assurément appartient ce qui est ajouté ici dans la suite du texte: «Va, vends tout ce que tu possèdes, et donne-le aux pauvres et tu auras un trésor dans les cieux; puis, viens et suis-moi.» Quiconque veut être parfait doit vendre ce qu’il a, et non pas le vendre en partie, comme Ananie et Saphire (cf. Ac 5, 1-11), mais tout vendre, et quand il aura tout vendu, tout donner aux pauvres et se préparer ainsi un trésor dans le royaume des cieux. Et cela ne suffit pas encore à la perfection, à moins qu’après avoir méprisé les richesses, on suive le Seigneur, c’est-à-dire, à moins qu’après avoir abandonné le mal, on fasse le bien. Car c’est plus facile de mépriser le monde que sa volonté propre. Beaucoup en abandonnant les richesses ne suivent pas le Seigneur. Mais celui-là suit le Seigneur, qui l’imite et marche sur ses traces. Car celui qui dit croire au Christ doit marcher comme le Christ a marché.
XXIXe dimanche du temps ordinaire – année B (21 octobre)
Évangile : Mc 10, 42-45 [brève] ou 35-45 [longue] (demande des fils de Zébédée ; les chefs doivent servir)
Homélie : saint Ambroise, Sur la Foi 5, 56-57.59-6018, 23. 35 (Bréviaire romain [1568], Mercdredi de la deuxième semaine de Carême)
Considérez ce que la mère des fils de Zébédée demande avec eux et pour eux. C’est bien une mère: sa sollicitude pour l’honneur de ses fils lui inspire des désirs dont la mesure est exagérée, sans doute, mais digne d’indulgence. Et c’est une mère avancée en âge, soucieuse des choses de Dieu, privée de secours. A ce moment où elle aurait dû recevoir de ses fils en pleine force d’âge assistance et soutien, elle consent à leur éloignement et préfère à son propre bien-être la récompense qui leur reviendra, à eux, pour avoir suivi le Christ. En effet, dès le premier appel du Seigneur, nous l’avons lu, «laissant leur barque et leur père ils le suivirent» (Mt 4, 22).
Cette femme donc, trop prompte à écouter sa tendresse maternelle, supplie le Sauveur en disant: «Ordonne que mes deux fils qui sont ici, s’asseyent l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ton Royaume.» Si faute il y a , elle part cependant du dévouement maternel. C’est que le cœur d’une mère est incapable de patience; son désir traduit la soif de posséder, mais cette avidité est excusable: ce n’est pas à l’argent qu’elle aspire, mais bien plutôt à la grâce. Et sa demande n’est pas inconvenante: ce n’est pas à elle-même qu’elle pense mais à ses enfants. Elle est mère, songez-y, elle est mère, ne l’oubliez pas.
Le Christ est attentif à la tendresse de cette mère qui trouve dans la récompense de ses fils la consolation de son grand âge et, tourmentée de soucis maternels, supporte l’absence d’enfants très chers. N’oubliez pas qu’elle est femme, qu’elle appartient à ce sexe faible que le Seigneur n’a pas encore fortifié par sa propre Passion. Voyez, dis-je, cette héritière d’Ève, de la première femme: elle succombe à la convoitise immodérée qui s’est transmise à toutes par voie de succession. Le Seigneur ne l’avait pas encore rachetée par son propre sang, le Christ n’avait pas encore lavé dans l’effusion de son sang cette recherche désordonnée d’honneurs excessifs, implantée dans le cœur de toutes. C’est donc sous l’effet d’un égarement héréditaire que la femme péchait.
Ce billet est extrait du dernier numéro de L’Homme Nouveau que vous pouvez commander à nos bureaux (10 rue Rosenwald, 75015 Paris. Tél. : 01 53 68 99 77, au prix de 4 euros), ou télécharger directement sur ce site en cliquant sur le lien ci-dessous.