Qui se souvient de Chamarande ?

Publié le 08 Nov 2022
Chamarande

Camp-école du scoutisme catholique, Chamarande a déserté les mémoires, même dans les nouvelles générations de scouts. Entretien avec Christophe Carichon, historien du scoutisme catholique.

Nous fêtons cette année le centenaire de Chamarande. Quelle est l’histoire de ce camp scout école ?

Son initiateur est évidemment le Père Sevin. Celui-ci avait découvert le scoutisme en France auprès des unionistes, des neutres, des américains qui organisaient des camps de formation de chefs scouts en France. Il avait été invité par Baden-Powell comme stagiaire au camp école de Gilwell avec deux jeunes chefs : Paul Coze et Michel Blanchon.

Revenu en France, il avait bien compris qu’il était nécessaire de former les chefs avant de les envoyer auprès des enfants. Il a ainsi eu l’intuition de faire ce camp-école de Chamarande, pour former des chefs à diriger des troupes et des meutes. L’idée de se former avant de pouvoir former les autres est à l’origine anglaise.

Au départ, dans les années 1919-1921, les chefs scouts étaient donc formés par les Américains, leurs camps-écoles avaient lieu avec les neutres et les protestants. Cependant, l’Eglise pressentit un risque d’inter-confessionalisme et de perte de foi. Chamarande devait être uniquement catholique pour le salut des âmes.

Chamarande est une grande propriété de notables située à 40km de Paris. Le premier camp qui y a lieu en 1922 est inter-troupes et ne deviendra camp école que l’année suivante, à Pâques. Le Père Sevin mettait les chefs au niveau des enfants : les jeunes chefs sont rassemblés en patrouilles, dont les noms ont d’ailleurs été repris dans les plus vieilles troupes de France : les Coucous, les Corbeaux, les Coqs et les Ramiers.

Le Père Sevin, commissaire à la formation des chefs, enseigne, et fait venir Vera Barclay, la fondatrice du louvetisme catholique. Chamarande faisait figure de camp scout permanent : les installations restaient d’années en années, on disait la messe dehors avec indult. Les camps étaient mixtes, grâce à une autorisation spéciale de Mgr Dubois, et les cheftaines dormaient en dur. Les scouts de la 1ère Chamarande, que l’on appelait les lévriers, s’occupaient de la logistique.

Chamarande

Chamarande, c’était également un état d’esprit, une manière de vivre le scoutisme, pauvrement – à l’origine, le scoutisme n’est pas fait pour la ville, mais pour les citadins qui découvrent la nature. En 1930, près de mille personnes y avaient déjà été formées. C’était l’œuvre du Père Sevin, mis à l’écart en 1933…

Ce dernier a écrit un livre sur Chamarande… en 1934

Il s’agit d’une suite de chroniques où il raconte Chamarande, comme étant la maison du scoutisme. Le Père Sevin y a formé des chefs pour la rechristianisation de la France, un peu à l’image des croisades. Il fallait connaître l’histoire du scoutisme, les différentes techniques ; la pédagogie qui repose principalement sur le système des patrouilles et la science du bois. Le Père Sevin lança également une revue de très haute tenue : Le Chef, qui rassemble réflexions, débats, étude des encycliques. Chamarande était un camp école de très grande qualité. Tout le monde n’était pas reçu. Après l’examen, on recevait pour insigne la dent de loup ou la badge de bois.

Cependant, pendant la guerre, le château est occupé par les Allemands qui dévastent tout. Et dans les années 1950, la famille veut récupérer son bien, Chamarande ferme et les scouts partent pour Jambville dans le Vexin français, au Nord de la vallée de la Seine. Par la suite s’est tenue à Chamarande la réunion constitutive des SUF en 1971, car Pierre de Montjamont, premier Président des SUF, avait été l’assistant du Père Sevin et y avait vécu ses plus belles années scoutes.

Quel est l’héritage de Chamarande aujourd’hui ?

Il n’y a malheureusement plus rien de scout à Chamarande. Mais le terme est resté : on allait faire son « cham » à Jambville. Nous ne gardons de Chamarande que des souvenirs : le blason porté par les scouts lévriers, le chant de Chamarande[1] écrit par le Père Sevin, un nom, un idéal à atteindre, presque un mythe pour ceux qui savent…

Mais le véritable héritage, ce sont les CEP de tous les mouvements scouts. Chamarande est un peu le Saint-Cyr du scoutisme, l’École Boule des Coureurs des Bois. La structure même des CEP vient de Chamarande : c’est un camp pour les chefs, cheftaines, chefs routiers, aumôniers. C’est là que se trouvent les meilleures sources pour être formé au vrai scoutisme dont la devise est : Servir.

Vous avez écrit un livre sur les grandes figures du scoutisme[2]. Quels personnages emblématiques du scoutisme, mis à part le Père Sevin, sont liés à Chamarande ?

Pierre de Montjamont, et Pierre Delsuc qui a succédé au Père Sevin : il était commissaire en région parisienne, et organisateur du scoutisme catholique clandestin pendant la guerre. Paul Coze, dont nous avons déjà parlé, est le premier chamarandais, avec Michel Blanchon. Et évidemment, le père Doncoeur et le Chanoine Cornette, qui bien malade, voulut accompagner une dernière fois les Chamarandais la veille de sa mort en septembre 1936.

[1] Chamarande • Chants scouts – YouTube

[2] Christophe Carichon, Les grandes figures du scoutisme, Artège, 2021.

Photos : DR

Marguerite Aubry

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