Réforme de la fiscalité locale, suppression de la taxe d’habitation… Que veut Emmanuel Macron ?

Publié le 04 Déc 2017
Réforme de la fiscalité locale, suppression de la taxe d'habitation... Que veut Emmanuel Macron ? L'Homme Nouveau

Emmanuel Macron s’est adressé aux maires réunis en congrès du 20 au 23 novembre derniers à Paris. Avec une volonté affichée de remettre à plat la fiscalité locale, il a notamment évoqué l’une de ses promesses de campagne, la suppression de la taxe d’habitation, pourtant source importante de revenus pour les communes. Une mesure qui n’est pas sans poser de nombreuses questions.

Entretien avec Olivier Bertaux, expert fiscaliste pour Contribuables associés

Quels sont les grands axes de la réforme de la fiscalité locale voulue par Emmanuel Macron ?

La réforme voulue a pour horizon 2020, ce qui peut paraître une éternité en politique et en fiscalité, d’autant que pas une année ne se passe sans qu’un président ou un gouvernement ne veuille laisser sa marque dans l’histoire chaotique de la fiscalité française. Il est donc un peu tôt pour supputer ce que sera précisément cette grande réforme.

Le président est d’ailleurs lui-même resté très évasif sur ses intentions réelles. Sur le principe, tout juste sait-on qu’il veut rendre une pleine autonomie financière et fiscale aux communes et dans les faits qu’il veut faire table rase de la taxe d’habitation. Mais cela laisse plein d’autres questions en suspens : Quid des autres collectivités locales ? Quid de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires ? Et les autres taxes ? Pour l’instant, on ne parle que de la taxe d’habitation. Or, si celle-ci représente 22 milliards d’euros, ce montant est à comparer aux recettes totales des collectivités locales qui s’élèvent à 170 milliards d’euros, dont 100 milliards d’euros de recettes fiscales.

Le débat actuel sur la taxe d’habitation n’est donc pour l’instant qu’un buisson qui cache un maquis fiscal. Emmanuel Macron se dépêche simplement de mettre en œuvre une de ses grandes promesses de campagne, et qui fut sans doute déterminante dans son succès, histoire de montrer qu’il tient ses engagements. Quant aux grands axes stratégiques, on est plus aujourd’hui dans la navigation à vue. Le gouvernement ne pourra pourtant pas faire les frais d’une réforme globale puisque si on touche, jusqu’à la supprimer, à une des « quatre vieilles » impositions datant de la révolution française, il faudra bien s’intéresser à tout le reste de la fiscalité (et pas seulement locale) si on veut conserver un équilibre.

D’ailleurs, rappelons que ce chantier s’inscrit dans le prolongement d’un autre ouvert depuis plusieurs années et dont on ne voit pas la fin car il est sans doute insoluble : Celui des valeurs locatives cadastrales. Celles-ci constituent la pierre angulaire de l’établissement des impôts locaux et sont pourtant totalement obsolètes. Les précédents gouvernements ont donc voulu actualiser leur mode de calcul, en commençant toutefois par les entreprises et donc les locaux professionnels pour éviter les vagues et autres catastrophes électorales en cas d’échec de la modernisation. Ce qui fut prudent car cette réforme circonscrite au seul cadre professionnel ressemble déjà à la quadrature du cercle comme le montre son incapacité à aboutir. Les politiques hésitent donc à l’étendre à la fiscalité des ménages. Si les valeurs locatives se révèlent impossibles à bouger, reste au final remettre à plat toute la fiscalité locale pour changer le mode d’établissement des recettes.

Autrement dit, le débat actuel semble être la rencontre d’une promesse à tenir, l’exonération de taxe d’habitation pour 80 % des ménages, et d’un impératif politico-économique, la réforme nécessaire d’un régime fiscal à bout de souffle. Dans un cadre constitutionnel à surveiller, car n’oublions pas que l’autonomie financière des collectivités locales est de toute manière un principe inscrit dans la Constitution depuis déjà de nombreuses années.

Quelles en seront les conséquences concrètes pour les communes et pour les habitants ?

Difficile à dire tant qu’aucun projet de réforme n’est clairement affirmé. Au stade actuel d’un simple dégrèvement de taxe d’habitation, on peut seulement craindre, à rebours de la volonté affichée, une perte d’autonomie pour les communes. En effet, l’exonération de taxe d’habitation prendra la forme d’un dégrèvement accordé par l’État sur la base de l’impôt calculé aujourd’hui. Autrement dit, l’État prendra en charge le paiement de la taxe d’habitation toujours votée par la commune mais les contribuables ainsi exonérés ne le resteront que si la commune n’augmente pas ses taux ou ses tarifs. Ce qui signifie qu’un maire qui estime devoir augmenter ses impôts pour telle ou telle raison, bonne ou mauvaise, risque la vindicte du contribuable qui rentrera dans un impôt auquel il avait échappé grâce à l’État…

On voit donc pour l’instant se profiler d’un côté une obligation tacite de maîtriser les dépenses locales, ce qui est une bonne chose pour les habitants, et de l’autre, une dépendance de la commune aux subsides de l’État, ce qui est une moins bonne chose pour les libertés publiques.

Pourquoi supprimer la taxe d’habitation ?

Comme il a été dit, la taxe d’habitation est complètement obsolète, comme d’ailleurs les autres impôts locaux calculés à partir de valeurs surréalistes. Une taxe établie sur une réalité telle que le revenu ou l’acte serait à n’en pas douter plus intelligente qu’une taxe fondée sur des valeurs fictives. Sa suppression n’est donc pas en soi une mauvaise chose et on peut même se demander pourquoi s’arrêter à la seule taxe d’habitation. Sans doute parce qu’il s’agit de la taxe payée par le plus de ménages (mais pas tous car beaucoup sont déjà exonérés) dont la suppression aura le plus d’effet, notamment sur le plan électoral… Il faut aussi mettre un terme à une injustice liée aux besoins de recettes des collectivités. En effet, les communes les plus riches ont déjà suffisamment de contribution économique territoriale (qui remplace la taxe professionnelle) pour ne pas accabler les ménages de taxe d’habitation, alors que les communes les plus pauvres, sans entreprise et donc avec un taux de chômage élevé, sont obligées d’augmenter la taxe d’habitation pour équilibrer leur budget. La taxe d’habitation est donc souvent la double peine pour les habitants des communes défavorisées.

Pourquoi cette mesure n’est-elle envisagée que pour 80 % de la population, ce qui semble en contradiction avec le principe d’égalité de tous devant l’impôt ?

On peut se poser la question… D’autant qu’Emmanuel Macron semble sous-entendre qu’il n’y a aucune raison pour qu’un impôt qui serait mauvais pour 80 % de la population, soit bon pour les 20 % restants. On peut donc penser que cette exonération partielle était purement électorale afin de faire semblant de réserver le geste aux classes modestes et sera appelée à devenir totale. En attendant, le principe d’égalité devant l’impôt en prend un coup, c’est vrai, mais on peut rappeler que les ménages les plus pauvres étaient déjà exonérés de taxe d’habitation et que dans un autre domaine, un foyer sur deux échappe à l’impôt sur le revenu sans que cela n’émeuve nos gouvernements successifs.

Une exonération totale est d’autant plus souhaitable qu’une exonération sous condition de ressources est souvent source d’abus ou d’injustice car ce ne sont pas forcément les plus pauvres qui sont sans revenu. Il existe nombre de techniques patrimoniales pour créer du déficit ou capitaliser du revenu sans le distribuer et ainsi afficher des revenus faibles permettant de bénéficier de toutes sortes d’avantages sociaux ou fiscaux, à commencer par l’exonération de taxe d’habitation. Le seul moyen d’éviter ces pratiques est soit de simplifier notre fiscalité, soit d’exonérer tout le monde. Comme la première solution est illusoire en l’état actuel des choses, la justice fiscale passera forcément par une exonération totale. 

 La promesse d’Emmanuel Macron de compenser le manque à gagner des collectivités locales par une compensation versée par l’État est-elle réaliste ?

Oui, si on respecte le principe des vases communicants… A défaut de volonté affirmée de diminuer les dépenses publiques, on peut s’attendre à ce que l’État récupère d’une main ce qu’il aura donné aux communes de l’autre. En d’autres termes, nous sommes plus dans un phénomène de déplacement des plaques fiscales que de réelle baisse d’impôt. Il y a quelques années, la promesse avait été faite de supprimer la taxe professionnelle pour aider les entreprises. Qu’est-il advenu finalement ? La taxe professionnelle a disparu des lexiques fiscaux et la contribution économique territoriale qui a pris sa place coûte aujourd’hui plus de 25 milliards d’euros aux entreprises. S’agissant d’une taxe propre à l’habitation, celle qui sort par la porte risque donc de rentrer par la fenêtre…

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