Russie/Ukraine : les sanctions économiques sont-elles l’arme fatale ?

Publié le 21 Avr 2022

Drapeau de l'Ukraine

Entretien avec Pierre de Lauzun

L’augmentation vertigineuse des prix de l’énergie inquiétant l’opinion, les mesures économiques et financières décidées par l’Union européenne paraissent brutales et susceptibles de faire trembler la Russie. Mais qu’en est-il vraiment ? L’analyse d’un spécialiste de la finance et des relations extérieures.

L’exclusion de la Russie du réseau Swift (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication) a été annoncée comme l’une des sanctions économiques les plus importantes. Que représente ce réseau ?

Swift est un réseau visant à sécuriser et faciliter les ordres de paiement interbancaires. Il ne permet pas de réaliser directement les échanges mais authentifie les transactions entre banques. Pour prendre une comparaison (avec ses limites), quand vous effectuez un virement directement à partir de votre compte en ligne, en deux clics vous authentifiez le fait que vous demandez à votre banque de verser une certaine somme à une entreprise… À la banque ensuite de réaliser le paiement si vous avez les provisions nécessaires. Cette manœuvre est bien plus commode que l’ordre de virement papier, pour lequel vous devez vous rendre à la banque, remplir un formulaire, prouver votre identité, et où la banque doit ensuite enregistrer cette demande puis la traiter. Pour les banques russes, la gêne de l’exclusion du réseau Swift est donc réelle. Ce n’est pas pour autant la bombe atomique économique que certains ont évoquée. Des solutions s’offrent aux banques russes : utiliser un autre réseau, comme le système chinois, qui n’a pas l’ampleur de Swift et reste tributaire du bon vouloir des Chinois (il en existe aussi un interne à la Russie qui ne fonctionne qu’entre banques russes) ; enfin deux banques russes servant à régler le gaz et le pétrole (qui ne sont pas sous embargo) n’ont pas été exclues de Swift. Il est donc possible de passer par elles.

Les sanctions pourraient donc devenir bien plus importantes si l’Europe choisissait, à la suite des États-Unis, de décréter un embargo sur le pétrole et le gaz ?

Tout à fait. Si nous suivions les États-Unis dans cette voie-là, il serait logique que les deux dernières banques soient à leur tour exclues de Swift. La première gêne, au-delà de cette exclusion, serait alors pour la Russie l’accumulation du stock de gaz et de pétrole invendus. Le pétrole peut être acheminé sans trop de difficultés vers d’autres destinations pour être vendu à de nouveaux acquéreurs, le transport du gaz nécessite des tuyaux, ce qui complique énormément la chose. Mais plus largement, toute la difficulté réside dans le fait que les sanctions touchent les deux côtés : celui qui les applique et celui qui les subit. L’impact est déjà important sur les Occidentaux.

La hausse des coûts est-elle imputable à la guerre ?

Il y a la guerre d’un côté, il y a les sanctions économiques de l’autre. Actuellement les problèmes économiques découlent surtout des sanctions. La guerre affecte économiquement l’Ukraine et la Russie, puisqu’une partie des ressources est réaffectée aux besoins militaires, mais au niveau mondial cet impact est minime. Tout au plus l’inquiétude fait-elle monter les cours. Ceci étant, si les Russes recourent à des moyens sensiblement plus violents que jusqu’à maintenant, les sanctions pourraient toucher le gaz et le pétrole et les difficultés augmenteraient beaucoup.

Une crise comme celle à laquelle nous assistons pourrait-elle remettre en cause l’hégémonie du dollar comme monnaie internationale ?

Pour l’instant la guerre ne fait que renforcer le dollar et l’aggravation des sanctions renforcerait d’autant plus les États-Unis. L’Europe est en effet bien plus exposée. La seule alternative au dollar serait à chercher du côté des Chinois, mais pour l’instant leur système financier n’est pas mûr. Les Chinois ont un mode de fonctionnement à part. Ils n’ont pas le même rythme, les mêmes intérêts ni le même fonctionnement que la Russie, et ils visent des objectifs à long terme. Ce conflit les aide en ce qu’il leur permet de franchir de nouvelles étapes, mais dans la perspective d’une longue marche. Plus généralement par ailleurs, l’Asie ne rentre pas dans le schéma idéologique occidental de lutte entre le Bien et le Mal. Raison pour laquelle on n’y prend pas parti pour un camp ou un autre.

Que se passe-t-il si la Russie fait banqueroute ?

Quand un pays ne peut plus assurer ses paiements, principalement de ses emprunts, ses créanciers ne reçoivent plus d’argent mais il n’y a pas d’inconvénient majeur immédiat pour le pays, excepté en cas d’embargo sur ses actifs. Pour la Russie, ce serait mauvais en termes d’image, mais, comparées aux sanctions, les difficultés supplémentaires ne seraient pas très importantes. Le principal inconvénient d’une banqueroute est en effet qu’elle empêche d’emprunter ; mais la Russie ne peut de toute façon plus le faire actuellement. Éventuellement les créanciers peuvent être payés en roubles (c’est ce qu’a annoncé Vladimir Poutine) mais cela suppose qu’ils l’acceptent ; des renégociations pourront ultérieurement avoir lieu, avec un rééchelonnement ou l’abandon d’une partie des créances. Ensuite, pour les créanciers, tout dépend des couvertures de défaillance prises (CDS : credit default swap) et des conditions dans lesquelles elles s’appliquent.

Propos recueillis par Odon de Cacqueray

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rier, un ballon est signalé dans le ciel américain. Il est abattu par l’armée le 4 dans les eaux territoriales. Puis le 10 février, des avions de chasse F22 descendent un objet volant près des côtes de l’Alaska. Le 11, le Canada demande aux États-Unis d’intervenir pour faire feu sur un autre engin au-dessus du Yukon. Enfin, le 12, c’est à la verticale du Michigan (États-Unis) qu’un nouvel engin est abattu.

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Très vite, Pékin s’avouait le propriétaire du premier ballon et déclarait que ce dernier transportait des équipements pour recueillir « principalement » des données météorologiques. On retiendra que « principalement » ne veut pas dire exclusivement. Même si les Chinois affirment que leur aérostat était sorti involontairement de sa trajectoire, les Américains s’inquiétaient d’autant plus qu’il était passé au-dessus du Montana où sont implantés leurs missiles nucléaires.

La suite nous en dira sans doute plus puisque l’aéronef a été récupéré pour analyse. Néanmoins, on sait déjà que sa charge était plus importante que celle d’un ballon météorologique normal. D’autre part, la nacelle était équipée d’un système de guidage qui rend peu crédible la thèse d’un écart involontaire de trajectoire.

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Cependant, le mystère reste entier pour les trois autres engins volants non identifiés. Pékin n’en reconnaît pas la paternité et Joe Biden lui-même a déclaré : « Ces trois objets sont vraisemblablement liés à des entreprises privées, à des activités de loisirs ou à des institutions de recherche. » Peut-être, mais personne n’a élevé la voix pour se plaindre ou signaler la destruction de son ou de ses équipements. Ensuite, le président des États-Unis a donné un peu vite une explication logique et possible à ce mystère.

Mieux, il cherche à rassurer, disant qu’il n’y a pas une soudaine augmentation d’objets volants dans le ciel américain mais une meilleure capacité à les détecter avec les radars. Au point que l’on se demande s’il ne couvre pas autre chose. Dans son registre, le général Glen VanHerck, patron des forces aérospatiales américaines, en rajoutait. À une question sur un possible envoi d’OVNI par des extraterrestres, il répondait « n’avoir rien écarté à ce stade ». La Maison Blanche s’est vue obligée de démentir cette hypothèse.

La question se pose : l’armée américaine aurait-elle détruit le matériel d’expériences secrètes plutôt que de les révéler au public ? Ce ne serait pas la première fois, en raison du cloisonnement des informations sur de telles opérations. Un autre détail pourrait aller dans ce sens pour les trois autres aéronefs : alors que les restes du premier ont été retrouvés, l’armée américaine a déclaré ses recherches infructueuses pour les trois autres.

Reste à s’interroger sur la légitimité, en termes de droit, du survol d’un territoire par des ballons d’un pays tiers et, non moins important, de leur destruction par le pays survolé. Chaque État jouit de « la souveraineté complète et exclusive sur l’espace aérien au-dessus de son territoire », selon les règles de l’aviation civile. Les appareils civils sont libres de circuler, mais les appareils militaires peuvent être interceptés. Et s’il s’agit d’un appareil espion qui se donne une apparence civile ?

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