Sacra liturgia : nouveau mouvement liturgique

Publié le 23 Août 2013
Sacra liturgia : nouveau mouvement liturgique L'Homme Nouveau

Cela aurait été sans doute impensable il y a dix ou quinze ans. Entendre des cardinaux, des évêques, des orateurs prêtres ou laïcs, communier dans une même vision sacrée de la liturgie, mettant sur un pied d’égalité l’ancien et le nouveau rite, sur fond de magnifiques célébrations dans l’une comme dans l’autre forme. C’est pourtant ce qui s’est produit à Rome du 25 au 28 juin dernier, dans le cadre de l’Université pontificale de la Sainte-Croix. Durant quatre jours, le colloque Sacra Liturgia, lancé à l’initiative de Mgr Dominique Rey, évêque de Fréjus-Toulon a réuni plus de 300 participants de 35 nations « afin d’étudier, promouvoir et renouveler la formation liturgique, l’esprit, et le sens de la célébration dans ses fondements pour la mission de l’Église, en particulier à la lumière de l’enseignement et de l’exemple de Sa Sainteté, le pape Benoît XVI ». La présence de quatre cardinaux, dont le préfet de la Congrégation pour le Culte divin la Discipline des sacrements, le cardinal Antonio Cañizares Llovera, de plusieurs évêques, de nombreux professeurs, d’étudiants des universités pontificales a confirmé si besoin était le caractère très officiel de ce rassemblement.

 
Une œuvre de paix

Ce fut comme une mise en œuvre concrète de la pensée profonde de Benoît XVI, sans polémique, avec une grande liberté de ton et surtout une grande harmonie. Quatre jours durant on a pu croire enfin réconciliés des mondes qui semblaient s’ignorer depuis des décennies quand il était inconvenant d’apprécier les richesses de l’ancien rite, ou de déplorer la pauvreté des célébrations contemporaines, quand il était quasi impossible de célébrer le nouveau rite avec faste et sacré, que le chant grégorien était quasi interdit dans les paroisses. On a pu entendre des discours que l’on croyait exclusivement réservés au milieu traditionaliste car on ne les entendait quasiment plus ailleurs, on a pu voir des célébrations selon la forme ordinaire, Ad orientem, auxquelles étaient apportés le même soin et le même sens du sacré que les célébrations en forme extraordinaire. On a pu écouter des évêques dire qu’ils étaient les premiers responsables et garants de la qualité des célébrations liturgiques dans leur diocèse. Et surtout on a pu constater qu’à aucun moment l’attachement des uns ou des autres à l’une ou l’autre des formes du rite romain n’a été un motif de polémique, de division et qu’au contraire l’enrichissement mutuel souhaité par Benoît XVI pouvait nourrir une unité profonde, basée sur l’authentique esprit de la liturgie qui nous la fait considérer comme un don de l’Église et non un « matériau qui se gère » pour reprendre l’expression du franc-maçon Pierre Simon à propos de la vie. Il n’y eut aucun débat sur la responsabilité des uns ou des autres, ni aucune sommation de se positionner pour ou contre le Concile. C’est sans doute la véritable leçon de ce colloque et sans doute le plus grand démenti à ces barrières érigées depuis les années 1970 qui avaient mis prêtres et fidèles devant le choix suivant : soit vous êtes attachés à une vision sacrée, transcendante de la liturgie comme culte public rendu à Dieu, image de la liturgie céleste et dans ce cas c’est la voie traditionnaliste, en marge ou en dehors de la vie officielle de l’Église ; soit vous acceptez la désacralisation, la pauvreté visuelle, sonore, matérielle d’une liturgie dépouillée de ses symboles et dans ce cas vous pouvez continuer à vivre normalement dans votre paroisse. Ce choix insensé, à l’origine des pires drames de conscience et de blessures qui quarante ans après ne sont pas encore cicatrisées, a semblé quatre jours durant faire partie d’un passé qui ne reviendrait plus. À l’instar du motu proprio Summorum Pontificum de Benoît XVI, et même si concrètement ce document n’a pas matériellement bouleversé la situation pratique, le colloque a permis de répandre un esprit « nouveau », un esprit authentiquement traditionnel, celui qui fait que chaque chrétien doit se sentir « chez lui » dans la liturgie, c’est-à-dire plus près du Seigneur. C’est pour cela que le grand liturgiste Klaus Gamber disait de la liturgie qu’elle était « une patrie ».

La nouveauté ? Pas de nouveauté !

Cela pourrait surprendre mais la nouveauté de ce colloque de liturgie c’est qu’il n’y a pas été question de nouveautés, de savoir comment aider des compositeurs de prières à en fabriquer ou comment « réinventer » la pratique des sacrements ; pas d’atelier de « créativité liturgique », pas d’appel à la liberté de concevoir des paraphrases des textes liturgiques, mais uniquement un appel à retrouver, à redécouvrir le sens de la grande tradition liturgique de l’Église, vivante et non pas figée, mais homogène et continue depuis les origines. Connaître pour mieux comprendre, comprendre pour mieux louer et honorer Dieu, telle était la ligne directrice des interventions. Cela a bien sûr été le cas de la « vigoureuse » conférence du cardinal Malcom Ranjith, archevêque de Colombo, de celle de Mgr Marc Aillet sur la liturgie et les communautés nouvelles, montrant la soif du peuple chrétien de redécouvrir les racines traditionnelles de la liturgie pour une authentique sanctification, de celle de Mgr Stefan Heid sur l’autel dans la tradition chrétienne : l’avantage d’une vision liturgique qui inclut toute la tradition c’est qu’elle permet d’englober en une même vision l’ensemble de l’histoire de la liturgie sans chercher à opposer telle ou telle réalité historique à une autre. Comment ne pas souligner particulièrement l’apport du père Uwe Michael Lang, oratorien, qui a travaillé dans les congrégations romaines et qui au-delà de sa conférence sur l’Art sacré et l’architecture au service de la liturgie, représente véritablement la pensée de ce nouveau mouvement liturgique contemporain, fait de respect de la tradition, de fidélité au magistère, d’intelligence anthropologique, bref un esprit authentiquement catholique. Déjà remarqué par le cardinal Ratzinger pour ses travaux sur l’orientation de l’autel, il apparaît dans la plupart des initiatives intellectuelles de ce mouvement véritablement porteur d’espérance. D’anthropologie enfin il a été question dans les interventions du père abbé olivétain Michael John Zielinski et de Mgr Ignacio Barreiro Carámbula tant il est important de redire que plus la liturgie nous conduit à Dieu… plus elle est adaptée à l’homme, et qu’au contraire une vision horizontale de la liturgie, tirant l’homme vers le profane qui est déjà son quotidien, ne répond pas à ses aspirations véritables.

 
La formation, une question essentielle

Comme l’a rappelé dom Alcuin Reid dans son intervention, repris en écho dans celle du père Paul Gunter : « Le concile Vatican II le disait clairement : pour atteindre une participation effective à la liturgie qu’encourageaient les Pères du Concile, Pie X et le Mouvement liturgique avant eux, tous devaient “s’imprégner complètement de l’esprit et de la puissance de la liturgie”. Selon le Concile, cette formation est la condition sine qua non pour un renouveau liturgique. Mais l’empressement à adopter la réforme du rituel et à voir les gens “participer” a laissé cette exigence de côté. » En effet, il est paradoxal que les initiateurs du Mouvement liturgique et les artisans de la réforme aient si durement critiqué la formation liturgique des prêtres de leur temps, accusés de ne rien connaître d’autre que l’ordonnancement des rubriques et d’en être arrivé à une situation d’ignorance et de confusion généralisée qui fait que beaucoup de prêtres et de laïcs, même de bonne volonté, ignorent tout du sens, des symboles, de l’origine des gestes et des mots de la liturgie. Sans nul doute que la réalisation concrète de la réforme liturgique telle qu’elle est apparue dans la plupart des paroisses, avec son caractère iconoclaste, ravageant les symboles et les objets, les vêtements, le mobilier pour réduire tout cela à l’expression la plus simplificatrice possible, s’accommode bien d’une ignorance généralisée… s’il n’y a plus rien de visible, on se rend moins compte que l’on ne connaît rien.

C’est d’ailleurs une bonne formation liturgique qui permet de mieux comprendre, à la suite de l’intervention du cardinal Raymond Burke, actuel préfet du Tribunal suprême de la Signature apostolique, que les lois liturgiques, loin d’être un système oppressant pour imposer aux célébrants des pratiques inutiles, sont au contraire la garantie pour tous que la liturgie sera le meilleur instrument de louange à Dieu et de sanctification possible et qu’à travers sa tradition c’est à la file ininterrompue des saints qui ont vécu ces mystères qu’ils se raccrochent. Difficile de ne pas dire que la conférence du jeune archevêque de Portland (USA), Mgr Alexander Sample, a produit un effet impressionnant sur l’auditoire. Si on avait eu la « génération Jean-Paul II », il fait lui clairement partie de la « génération Benoît XVI » tant son verbe est clair, ses expressions lumineuses et sa conviction que la liturgie est au cœur de la vie chrétienne, grande.

 
La liturgie comme source de la nouvelle évangélisation

« La pratique spécifique de la liturgie monastique peut nous aider à mieux saisir la place de la liturgie dans toute évangélisation. La tentation d’“instrumentalisation” de la liturgie existe toujours. Mais n’est-ce pas précisément parce qu’elle “ne sert à rien” qu’elle peut se révéler de la plus grande “utilité” dans la nouvelle évangélisation ? »Ce rappel effectué par le père abbé de Saint-Wandrille, Jean-Charles Nault, prenant exemple de la vie religieuse comme source de la mission, a été approfondi par plusieurs intervenants autour de la question de la nouvelle évangélisation. Que ce soit à travers la catéchèse (don Nicola Bux), la musique (Dr Gabriel Steinschulte et professeur Jeffrey Tucker), la famille (professeur Miguel Ayuso), tous ont montré que la liturgie sous sa forme sacrée était un fondement essentiel de l’évangélisation en même temps qu’un moyen efficace de rayonnement. L’exemple particulier de l’ancien rite romain, mis en exergue par le professeur Tracey Rowland, permet de comprendre à quel point la transcendance est l’antidote « au rationalisme stérile de la culture de la modernité et au moins une réponse partielle à l’appétit des générations postmodernes pour une immersion dans une tradition liturgique qui est orientée vers Dieu et l’éternité. » Tout au long de ce congrès d’ailleurs on a pu ressentir la conviction que plus la liturgie orientera les âmes vers Dieu et non vers nos modestes existences, plus elle produira de fruits missionnaires dans les âmes et que l’argument éculé selon lequel le sacré et le mystère seraient des obstacles à l’élévation spirituelle montrent une méconnaissance totale, voire criminelle, de la nature humaine et de la pédagogie divine.

 
Et maintenant ?

C’est évidemment la question qu’on peut légitimement se poser. Qu’est-ce que cela va changer dans la vie liturgique de nos paroisses ? Les papes récents n’ont-ils pas cessé de rappeler les grands principes de la liturgie à travers moult documents sans que cela change véritablement les choses ? Les célébrations liturgiques romaines ne sont-elles pas à des années-lumière de ce qui se célèbre localement ? Comme l’ont rappelé les orateurs, l’ignorance liturgique est immense. Or le Mouvement liturgique du XXe siècle a mis des décennies avant d’influencer radicalement la pratique liturgique. De nombreuses voix se demandent d’ailleurs à juste titre si le résultat était tellement conforme au souhait de ses initiateurs ; il en va de même pour les souhaits des Pères conciliaires exprimés à travers Sacrosanctum Concilium, constitution à laquelle on fait dire beaucoup de choses qu’elle n’a jamais édictées. Nous subissons encore les conséquences de ce fameux « esprit du Concile » qui en a supplanté la lettre. Le travail initié avec courage par Mgr Dominique Rey est une course de fond, une œuvre de longue haleine qui nécessite des « missionnaires » pour porter à leur tour la bonne parole autour d’eux, dans leur pays, leur paroisse, leur entourage. Inutile de le cacher, le monde anglo-saxon était représenté de manière écrasante à Sacra Liturgia, avec ce public de prêtres à l’habit ecclésiastique strict, qui peuvent célébrer en latin dans leur paroisse la forme ordinaire du rite romain dos au peuple, accompagné par du grégorien, sans que cela pose la moindre difficulté… C’est certainement une « espèce » rare en France ! Sans doute que ces contrées ont une culture du débat, de la liberté de parole, de la reconnaissance des échecs, du réalisme, que nous n’avons pas et que cela explique cette différence. Mais qu’importe, il convient qu’en France aussi ce « nouveau mouvement liturgique » ne soit pas un insignifiant reliquat du pontificat de Benoît XVI et qu’au contraire il irrigue nos publications, nos discours et réflexions, la pratique de nos liturgies et qu’ainsi la liturgie soit véritablement « la source et le sommet de la vie de l’Église », comme le demandait le Concile. Ce colloque, c’est l’entrée dans une ère « enfin » normale, où l’on n’est pas stigmatisé si l’on affirme et pratique ce que l’Église a enseigné et pratiqué depuis toujours, même si certaines formes peuvent évoluer de manière homogène. Ce n’est qu’un commencement mais il est prometteur.

 

Les actes du congrès Sacra Liturgia 2013 seront publiés début 2014 aux éditions Artège.

À lire également les extraits de diverses conférences et un entretien avec don Alcuin Reid, maître d’œuvre du colloque.

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