Avant même de devenir Pie X en 1903, l’abbé Sarto a eu très jeune une claire vision du monde qui l’entourait et des ses périls pour la société et l’Église. Il a consacré ses années de curé puis d’évêque et de Pape à la défense sans concession de la doctrine catholique. Prophète de « la grande guerre qui vient », il s’est éteint en 1914.
Il y a soixante-dix ans, en 1954, Pie X était canonisé. Cela semblait aller de soi tant l’œuvre accomplie en une dizaine d’années par le pontife était exceptionnelle, tout comme l’évidente sainteté de ce paysan de Vénétie qui avait conservé sur le trône de Pierre ses vertus de curé de campagne. Pourtant, une décennie à peine après cette canonisation, l’Église entrait dans un processus de déconstruction, pour ne pas parler de démolition, toujours en cours contre lequel le saint Pape avait mis en garde à temps et à contretemps. Né le 2 juin 1835 à Riese, dans une Vénétie sous domination autrichienne, Giuseppe Melchior Sarto est le second fils d’une famille nombreuse, riche seulement de la piété et de la probité des parents. Dans la biographie qu’il lui consacra en 1928, la première en français, René Bazin (Saint Pie X, Réédition Via Romana, 2023) parlait joliment de « la liberté d’être pieux » que l’époque et le milieu concédaient encore en quelques milieux protégés. Dans la famille du facteur de Riese, demeurait un peu du monde d’avant, celui qui n’avait pas été contaminé par la pensée révolutionnaire et la modernité dans ce qu’elle a de plus agressif et prétentieux. Le petit Sarto resterait toute sa vie un paysan chrétien uni à la terre et à ses réalités. Cela autoriserait ses adversaires à le peindre comme un homme d’arrière-garde, accroché à des idées dépassées et coupé des réalités de son temps.
La clairvoyance du jeune abbé
En fait, ce fut tout le contraire et l’abbé Sarto eut très jeune une vision claire du monde qui l’entourait, des maux qui le frappaient, des périls qui, après avoir ravagé la société civile, s’insinuaient jusque dans l’Église. Ce fut cela, d’ailleurs, qui alarma l’adversaire. Pie X eut-il été un vieux réactionnaire sans prise sur son temps, il n’aurait inquiété personne. C’est bien sa redoutable clairvoyance, née d’années d’observation et de réflexion, fruit d’une intelligence hors norme et d’une puissance de travail ahurissante, qui incita à se…