Souviens-toi de moi Seigneur

Publié le 12 Oct 2019
Souviens-toi de moi Seigneur L'Homme Nouveau

L’offertoire Recordáre mei est chanté le 28ème dimanche ordinaire ou 22ème dimanche après la Pentecôte.

Traduction

Souviens-toi de moi, Seigneur, toi qui domines par ta toute-puissance. Place sur mes lèvres une parole droite, pour que mes propos plaisent, en présence du roi.

(Esther, 14, 12-13)

Thème spirituel

Le texte de cet offertoire est emprunté à la version grecque du livre d’Esther. Il relate la prière angoissée de la reine se préparant à paraître devant le roi Assuérus. Un édit de persécution contre les Juifs vient d’être promulgué, et la reine Esther, juive elle-même, est sommée par son oncle Mardochée d’intervenir pour empêcher le drame. Mais se présenter devant le roi sans autorisation, peut lui valoir la mort, elle le sait. Alors Esther jeûne, prie et fait jeûner et prier pour elle. Et dans sa grande solitude, elle s’adresse au Seigneur de façon poignante.

« Mon Seigneur, notre Roi, tu es l’Unique ! Viens à mon secours, à moi qui suis seule et n’ai d’autre secours que toi ; car je vais au devant du danger… Souviens-toi, Seigneur, fais-toi connaître au temps de notre tribulation et à moi donne du courage, Roi des dieux et Souverain de toutes les autorités. Mets sur mes lèvres un langage harmonieux en face du lion et amène son cœur à haïr celui qui nous combat, afin qu’il soit anéanti ainsi que ses partisans. »

Tel est le contexte littéral, historique, de notre chant d’offertoire. Le sens spirituel n’est pas difficile à dégager, moyennant quelques transpositions : l’âme, épouse du Christ, s’adresse à Dieu pour obtenir de lui la force de mener le combat spirituel et, par son témoignage, vaincre l’ennemi du genre humain, le diable avec toute son armée maléfique. Ici, le roi en question est tout aimable, puisqu’il s’agit du Christ lui-même. L’âme s’offre à lui et demande au Père de la purifier, de la rendre agréable. Par cette offrande, l’âme s’assimile au Christ lui-même et on saisit tout l’à propos de la place de ce chant au moment de l’offertoire. Car finalement cette prière est celle du Christ lui-même devant son Père : il intercède auprès de lui par toutes sa vie, par son sacrifice suprême, pour écarter la mort du genre humain tout entier.

Chant du Christ, chant de l’âme qui s’assimile au Christ, jour après jour, cet offertoire nous rejoint dans notre vie spirituelle, puisque chaque jour nous sommes confrontés au tentateur et à ses pièges, puisque chaque jour aussi nous avons la possibilité de nous munir du glaive de la parole de Dieu et du bouclier de la foi. Nous demandons au Seigneur de se souvenir de nous dans sa toute-puissance. Que sommes-nous en effet devant sa majesté infinie ? Et pourtant, Dieu nous aime jusque dans cette petitesse qui nous caractérise en face de lui. Il se plaît à mettre dans nos cœurs les paroles qu’il veut entendre, les prières qu’il veut exaucer. Il se laisse toucher par les accents de ses créatures les plus vulnérables. Les paroles, ici, ce sont les actes de l’âme fidèle qui s’efforce de se conformer à l’étiquette royale, autrement dit les commandements de Dieu.

Mais on peut interpréter ce texte, sinon autrement, du moins de façon complémentaire. Car enfin, l’ennemi, remarquons-le, n’est pas mentionné explicitement dans le texte de notre offertoire. Il peut donc s’entendre dans un sens plus pacifique, et même nuptial. Si l’on fait abstraction du contexte historique qui oriente spontanément notre interprétation dans le sens qui vient d’être décrit plus haut, on obtient une prière toute d’amour et de soumission, une prière d’épouse ou d’enfant, dans une atmosphère de grande confiance et de grande paix, que la mélodie va justement renforcer. Ce sens spirituel vient compléter heureusement le précédent. La vie purgative ou active (le combat spirituel) et la vie unitive ou contemplative s’unissent ainsi très simplement dans la richesse de ce texte inspiré interprété dans et par l’Église en prière, au moyen de son chant.

Et dans ce sens spirituel déjà spacieux et si riche, on peut découvrir aussi la présence discrète de la Reine du ciel, la véritable Esther, celle qui a su plaire au Roi par sa vie toute pure. La Vierge Marie chante avec nous cet offertoire, elle le chante pour nous, elle nous met à son école. Et tandis que nous interprétons ces abondantes vocalises, nous pouvons repasser dans notre cœur tous les mystères du salut qui se sont déroulés dans la vie de Marie, comme dans celle de l’Église. Notre chant devient une réelle méditation, une prière de louange et d’action de grâce en même temps qu’une instante prière de demande. Telle est la richesse globale de ce beau cantique emprunté au livre d’Esther.

Commentaire musical

Recordare mei Partition

Ce long offertoire constitué de trois phrases mélodiques, est emprunté au 1er mode, le mode de la paix qui rayonne vraiment ici, et tout spécialement dans la troisième phrase, la plus extraordinaire, incontestablement. L’ambitus mélodique est plutôt restreint, contenu pour l’essentiel à l’intérieur de la quinte Ré-La, et ne s’élevant au-dessus qu’au milieu de la seconde phrase. Seul un Sib dans la première phrase, et deux autres dans la seconde phrase, franchissent cette limite qui n’est jamais dépassée dans la dernière phrase. Trois mots qui utilisent d’ailleurs le Si naturel, font donc exception : os meum et pláceant. Le mouvement d’ensemble est très paisible, très serein.

L’intonation, très liée et très gracieuse, part du Ré, la tonique du 1er mode, s’élève d’abord jusqu’au Fa, corde de l’accent tonique de recordáre, puis jusqu’au La sur lequel elle semble se poser, avant de redescendre sur le Sol, plaçant le pronom possessif mei, avec son syllabisme et son accent au levé, dans une sorte de rejet rythmique assez expressif. C’est d’emblée plein de tendresse et tout simple et cela se vérifie sur le traitement mélodique de Dómine, avec son Sib plein de douceur et sa lente descente, large et complaisante, vers la cadence en Ré. On reprend un peu de mouvement sur omni potentátui, notamment sur le passage syllabique qui va vers l’accent et qui est très léger. Les voix doivent être douces mais non pas faibles, car ce passage mélodique chante la puissance de Dieu, puissance d’amour il est vrai, mais puissance d’autant plus souveraine qu’elle se manifeste dans une paix absolue. Le traitement mélodique de dóminans est suggestif de ce point de vue : le mot est tout entier contenu à l’intérieur de la quarte Ré-Sol, et la mélodie semble s’enfoncer dans une humilité mystérieuse qui est celle de Dieu qui cache la grande majesté du Sauveur.

Même si la seconde phrase commence sur da sermónem apparemment dans la même atmosphère et sur les mêmes intervalles que omni potentátui, le mouvement se fait plus vif dès le début et la phrase va s’animer sur le mot rectum qui traduit déjà le grand désir de l’âme de plaire au Seigneur. Ce mot rectum doit être pris dans un beau mouvement très lié (l’épisème initial doit être léger et ne doit pas bloquer le mouvement), en crescendo et en accelerando jusqu’à la cadence en La qui sert de point d’appui à l’incise suivante, un des deux sommets de la pièce, sur os meum. Ces deux mots sont fervents, mais le mouvement ne s’arrête pas sur eux, il continue. La cadence en Sol est brève et l’élan se manifeste à nouveau sur les mots ut pláceant qui est sûrement le sommet expressif de cet offertoire. L’accent au levé de pláceant doit être bien lancé, avant une retombée douce sur la finale, puis un beau crescendo vers le Ré qui doit être bien arrondi. Tout cela est plein d’ardeur. La descente, ensuite, est très paisible et l’on va retrouver l’atmosphère du début, notamment grâce au Sib de verba. L’adjectif possessif de mea est lui aussi très expressif, très chaleureux, très tendre, avec sa finale enjolivée et bien élargie.

La pièce est déjà belle dans son ensemble, mais le plus beau est encore à venir. Cette troisième et dernière phrase est vraiment une merveille. Trois mots seulement : in conspéctu príncipis, et un développement mélodique extraordinaire sur le mot central : conspéctu. L’âme entend se placer sous le regard de son roi, elle entend s’y maintenir parce qu’elle sait que là et là seulement est sa garantie, son salut, son bonheur. Alors elle chante ce qui n’est encore qu’un rêve pour elle, et elle se laisse emporter dans une louange qui l’établit déjà, semble-t-il, dans les conditions de l’éternité. La vocalise s’étend, dans une paix sans nom, sur plus d’une ligne et demie de portée. Le Fa joue ici un rôle primordial. Tout s’enroule autour de cette corde, avec au-dessus le Sol et le La, et en dessous le Mi et le Ré, avec de temps en temps un appui sur le Do grave : mélodie toute simple mais pleine d’amour et d’intensité, qui ne veut pas finir. Il faut lui donner de la vie, cependant, et les répercussions sur les Fa dotés d’ictus opèrent un heureux balancement. La répétition mélodique du même motif demande un renchérissement vocal et l’incise suivante qui fait davantage entendre le Sol, doit être bien nourrie, de même que les deux pressus de la dernière incise, juste avant de prononcer la dernière syllabe du mot conspéctu. Dom Baron décrit très bien l’atmosphère de ce passage : « L’Église ne demande plus ; le mot l’a prise toute. Elle demeure fixée sur cette présence, sur cette vision dont elle va jouir bientôt et qui va combler ses désirs et ceux de tous ses membres depuis les siècles. Et elle la chante sur quelques notes seulement qui s’élèvent et s’abaissent à peine au rythme de la paix heureuse dans laquelle elle contemple. » Notons pour finir que le mot príncipis, pris un peu en rejet, est très conclusif et très bien rythmé, mais aussi tout plein de tendresse. C’est du grand art !

Vous pouvez écouter le morceau ici.

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