Turquie : la politique conquérante d’Erdogan

Publié le 20 Juin 2016
Turquie : la politique conquérante d’Erdogan L'Homme Nouveau

De la bouche d’Erdogan, on entend des propos très mussoliniens mais trempés dans la sauce islamiste. Avec le renforcement des pouvoirs présidentiels, c’est bien à la constitution d’un pays fort et conquérant qu’il travaille. Les États européens, par le biais des migrations forcées, risquent d’en être les premières victimes.

La Turquie est encerclée par des pays dont l’hostilité ne cesse de croître contre elle : la Russie et la Syrie d’une part, l’Iran d’autre part, sans oublier l’ennemi génétique, la Grèce. Kurde, émanant de ­Daech ou de l’extrême gauche, le terrorisme est omniprésent. De plus, la valeur de la monnaie ne cesse de faiblir et les touristes se font de plus en plus rares craignant pour leur sécurité. Pour tout arranger, la guerre pointe à nouveau à l’est, en pays kurde, et au sud dans une Syrie embrasée.

Une politique inquiétante

Rappelant celle d’autres pays acculés au XXe siècle, la réponse de Recep Tayyip Erdogan, le Président turc, inquiète quelques-uns dans les bureaux de l’Union européenne. Il renforce son pouvoir, flatte l’orgueil turc jusqu’à tomber dans l’ultranationalisme et se sert de sa religion pour légitimer sa soif de gloire.

Pour sa position à la tête du pouvoir, il veut transformer le système parlementaire en régime présidentiel. Le 5 mai, il forçait à démissionner le Premier ministre Ahmet Davutoglu pour le remplacer par un partisan plus inconditionnel. Le 20 du même mois, sous son inspiration, le Parlement turc votait un projet de réforme sur la levée de l’immunité des députés. Visés, les députés du parti kurde. Mais un train peut en cacher un autre ! Comme le ­vote du Parlement l’autorise à organiser un référendum sur l’immunité des députés, tout indique qu’Erdogan en profitera pour introduire une proposition de changement du statut présidentiel en faveur de son renforcement.

Côté ultranationalisme, il ressort les costumes froissés de l’Empire ottoman que l’on croyait oubliés dans les placards de l’Histoire. Le 29 mai, avec une pompe toujours renouvelée, il faisait célébrer l’anniversaire de la prise de Constantinople par les tribus turques en 1453, comme il en a pris l’habitude quand, dans les années quatre-vingt-dix, il n’était que maire de cette ville devenue Istanbul sous les Ottomans. Or, la chute de Constantinople fut un bain de sang. Surtout, la destruction d’un empire symbole de l’Occident, Byzance, et le début de l’éradication des chrétiens de l’Anatolie, la Turquie actuelle, où ils ne représentent même plus 0,5 % de la population. Un peu comme si nous fêtions tous les ans avec faste et arrogance les massacres accompagnant la prise de Jérusalem par les Croisés ou la défaite d’Abd el-Kader devant les troupes françaises.

L’instrumentalisation de l’islam à des fins de pouvoir apparaît cependant comme l’axe le plus menaçant de l’offensive d’Erdogan. Le 28 mai, dans un discours prononcé en plein pays kurde, il accusait l’opposition de cette ethnie d’athéisme et appelait ses « frères kurdes croyants, pieux et vertueux » à prendre les armes aux côtés du gouvernement turc.

Des familles nombreuses pour une nation forte

Certes, nombre de Français l’auraient trouvé moins critiquable quand, le 5 juin, il invitait les femmes turques à avoir au moins trois enfants ou quand, quelques jours plus tôt, il vilipendait la contraception au nom de l’islam. « Ce que dit mon Dieu, ce que dit mon cher prophète, nous irons dans cette voie », dit-il avant de préciser : « Les familles fortes mènent aux nations fortes ». Dans un pays passé de 68 millions d’habitants, en 2000, à 79 millions en 2015, on saisit que la politique nataliste du Président turc a des objectifs plus terre à terre que religieux.

Or, l’on sait qu’Erdogan tempête pour obtenir l’entrée sans visas des Turcs en Europe. Leur installation sans contrôle en somme. Il faut aussi savoir que 220 millions de turcophones peuplent les pays qui vont de l’Ouzbékistan à la Bulgarie. Depuis une loi votée en 1934, la nationalité leur est acquise en Turquie sur simple demande. S’il n’est pas toléré en Europe de parler d’invasion en matière d’immigration, c’est pourtant bien ce qu’Erdogan semble projeter chez nous.

Alors, à la veille d’un référendum sur le Brexit, la sortie de la Grande-Bretagne de l’Europe, nous préparons-nous à échanger les « British » contre des Turcs sous une simple pression migratoire ? Pour Erdogan, le sultan conquérant, la prise de Paris et de Berlin, même symbolique, ne saurait sans doute tarder.

Ce contenu pourrait vous intéresser

InternationalBioéthique

Abolition de la GPA : une semaine historique à l’Onu

Dans un rapport du 1er octobre, Reem Alsalem, rapporteur spécial des Nations unies sur la violence contre les femmes et les filles, a qualifié la gestation pour autrui de « forme d’esclavage moderne », et appelé à l’adoption d’un instrument international juridiquement contraignant interdisant la GPA « sous toutes ses formes ». 

+

gpa
International

Ce que l’Europe et l’Amérique doivent à l’Espagne. Entretien avec Marcelo Gullo (2/2)

Entretien partie 2 | Le 7 octobre, l'historien et politologue argentin Marcelo Gullo Omedeo publiait son dernier ouvrage, Lepanto : Cuando España salvó a Europa (Lépante. Quand l'Espagne a sauvé l’Europe). À cette occasion, Arnaud Imatz, docteur en sciences politiques et hispaniste, s’est entretenu avec l’auteur sur l’apport de l’Espagne dans l’histoire de l’Europe et des Amériques.

+

Espagne
International

De l’Europe à la Chine : la tyrannie des algorithmes

De l’agriculture au terrorisme, en passant par la pédophilie, l’intelligence artificielle et les algorithmes commencent déjà à prendre le pas sur la surveillance humaine. Une tyrannie qui va remettre en cause les relations et les échanges mondiaux et donc l’activité locale et nationale.

+

chine algorithme
International

Ursula von der Leyen, grande prêtresse de l’Europe 

Le 10 septembre dernier, Ursula von der Leyen prononçait le « discours sur l’état de l’Union » devant le Parlement européen. Elle a d’abord posé au chef de guerre, avant de promettre à toutes les tendances partisanes de satisfaire leurs désirs, puis de clamer son propre souhait en appelant à renforcer son pouvoir. C’était le discours d’un chef d’État et non d’un haut fonctionnaire nommé.

+

von der Leyen europe
International

L’assassinat de Charlie Kirk secoue les États-Unis

Décryptage | Militant conservateur et figure de la droite américaine, Charlie Kirk a été assassiné le 10 septembre dernier dans l’Utah (États-Unis). Sa mort a provoqué une onde de choc aux États-Unis, et même au-delà, ravivant les tensions politiques dans un contexte déjà très polarisé. 

+

Charlie kirk Amérique