Suite à l’éditorial de Philippe Maxence : Mai 1968 : ni célébration, ni commémoration, nous avons demandé à certains de nos chroniqueurs, de nous livrer leurs anecdotes, souvenirs, de cette période trouble. Alain Chevalérias nous livre ici le premier récit, tiré de sa jeunesse.
C’était le 1er mai 1968. J’avais 18 ans. Seul, et déjà un peu fou, je rentrais d’un voyage en Afrique : un an sur les camions de transport, allant du Maroc jusqu’au Gabon en passant par le Tchad. Quand la chance s’offrait, et elle a été généreuse à mon égard, je travaillais un peu pour payer la prochaine étape.
De France, j’étais parti de gauche, pénétré par l’idée de nos enseignants que c’est une honte de penser autrement. Dans les écoles et les lycées, on émasculait déjà les jeunes consciences.
En plein Sahel, la lumière m’a frappé. Je n’ai rien entendu. Il est vrai, Damas était loin et Dieu semble avoir abandonné l’Afrique. Je sortais du Mali. Dans l’exaltation de l’indépendance, les Maliens avaient refusé le franc CFA et pris les Soviétiques pour protecteurs. On y vivait dans une misère extrême au point que nombre d’hommes partaient travailler dans le pays voisin, le Niger.
Justement, je m’y rendais. Les deux pays se ressemblaient comme des jumeaux : même fleuve les traversant, même désert au nord quand la brousse s’étendait au sud. Cependant, au Niger, à l’indépendance on avait « gardé » les Français et opté pour le franc CFA. Si la pauvreté y existait, on y survivait mieux qu’au Mali.
Il n’en fallut pas plus pour me convertir : après tout, si j’avais été Africain, j’aurais préféré le « néocolonialisme » des Français à la fraternité des Soviétiques.
Je débarquais donc de l’avion de Libreville ce 1er mai 1968 à Paris. Le 3, les gesticulations des étudiants à la Sorbonne ne me parvenaient qu’assourdies par le journal télévisé. Je ne prenais conscience que quelque chose se passait que le 10 mai, avec la première manifestation d’importance dans le Quartier latin. Des voitures étaient incendiées, des chaussées dépavées, des barricades dressées.
J’aurais pu me joindre à ce grand chahut mais quelque chose me retenait. En Afrique, j’avais côtoyé le drame des infrastructures insuffisantes, des pistes de latérite qui font office de routes nationales. En France, ces destructions de biens collectifs, ces arbres couchés à terre, ces grèves qui prenaient les moins argentés en otages, cela me choquait.
Traînant dans les quartiers de St Michel et St Germain, j’engageais le dialogue avec les manifestants. Les leaders appartenaient aux catégories aisées. La meute se dopait à coups de slogans et de couplets de « l’Internationale ». Mais tous, ils jouaient. Quand je demandais pourquoi tout ça, on me répondait : « Pour avoir le droit de faire l’amour ! » Dit souvent de manière plus grossière.
Comme si on avait besoin de lois, autres que notre morale personnelle, pour gérer cette part de notre humanité ! D’instinct, j’ai alors senti ce monôme d’étudiants boutonneux plus néfaste qu’autre chose. Il fallait le retour à l’ordre ! Quelques coups de pieds bien ajustés dans les parties charnues de ces sans-culottes.
Considéré comme résidant en Afrique, j’étais dispensé de service militaire. Alors je décidais de m’engager dans l’armée, voyant dans cette institution l’ultime recours face à la meute. Et comme une demi-mesure me paraissait déjà une trahison, ce serait les parachutistes. C’est comme cela que je me suis retrouvé au 1er Régiment de parachutistes d’infanterie de marine à Bayonne.
Depuis, sans doute ai-je un peu affiné mon raisonnement. Mais je n’ai jamais regretté mon orientation de Mai 68. Je n’en goûte qu’avec plus d’amusement les déchaînements actuels, des anciens soixante-huitards des deux « genres », contre les mâles qui ne contrôlent pas leurs pulsions. Qu’ils se souviennent ! Ce sont eux qui, en Mai 68, ont fait sauter le conditionnement social du sexe. Bien pris qui croyait prendre.