Vaccins obligatoires : il est capital d’imposer une limite au pouvoir de l’État sur les corps

Publié le 12 Juil 2017
Vaccins obligatoires : il est capital d'imposer  une limite au pouvoir de l'État sur les corps L'Homme Nouveau

Le Centre Européen pour le Droit et la Justice (ECLJ) appuie six citoyens tchèques qui ont saisi en 2013 la Cour européenne à propos des sanctions qu’ils subissent pour refus de l’obligation vaccinale dans leur pays. L’annonce faite par le gouvernement français de rendre obligatoire onze vaccins nous a conduits à interroger le directeur de l’ECLJ, Grégor Puppinck, à ce sujet.

L’ECLJ a souhaité apporter son soutien à six citoyens tchèques dans une affaire de vaccinations obligatoires lorsqu’ils ont saisi la Cour européenne des droits de l’homme. Pourquoi ?

L’ECLJ intervient à chaque fois que la Cour européenne des droits de l’Homme est amenée à traiter une question qui peut être analysée sous l’angle de l’objection de conscience, afin d’expliquer à la Cour cette notion complexe. Celle-ci ne concerne pas, comme on le pense trop souvent, uniquement les questions liées au service militaire ou à l’avortement. Il y a de nombreux cas. Nous sommes intervenus, par exemple, sur un cas relatif au refus de la chasse. En ce qui concerne les vaccinations, nous avons décidé de traiter cette affaire sous l’angle le plus difficile, à savoir l’article 9 relatif à la liberté de conscience, et non sous l’angle de l’atteinte à l’intégrité physique, relevant de l’article 8, ce qui aurait été plus simple. Mais notre but est d’aider la Cour et les juges à réfléchir et à comprendre l’objection de conscience pour voir si elle est applicable ou non en l’espèce. Cela permet d’exposer posément à la Cour ce qu’est l’objection de conscience sur des thématiques moins sensibles que l’avortement ou l’homosexualité.

Dans les arguments avancés, vous constatez : « une politique de vaccination obligatoire constitue une ingérence dans le droit au respect de la vie privée ». Mais c’est par rapport à l’objection de conscience que vous fondez votre action.

Ingérence ne veut pas dire violation. La Cour appelle ingérence le fait que les droits sont affectés par la mesure mise en cause. Mais il y a des ingérences qui sont justifiées, et dans ce cas-là, il n’y a pas de violation. Mais lorsque l’ingérence est considérée injustifiée par la Cour, alors celle-ci conclut à une violation. Dans le cas des vaccinations, l’ingérence est patente puisqu’il y a atteinte à l’intégrité physique.

La question reste de savoir si elle est justifiée, c’est-à-dire si elle vise un but légitime et y est proportionnée.

Dans ce cadre, vous décrivez les critères de l’objection de conscience de nature morale. Quels sont-ils et en quoi peuvent-ils être applicables dans le cas d’espèce ? Et avez-vous bon espoir d’être entendu ?

Nous expliquons ce qu’est la conscience, en quoi une conviction se distingue d’une simple opinion ; ce qu’est une objection de conscience, à savoir le refus d’agir positivement contre une prescription de sa conscience. Nous insistons sur le fait qu’il est plus grave de forcer une personne à agir positivement contre sa conscience que de l’empêcher d’agir selon sa conscience.

Nous montrons également que la conscience ou les convictions ne sont pas forcément de nature religieuse mais peuvent aussi et d’abord être morale. Nous distinguons ainsi entre les convictions morales ou religieuses. C’est un premier critère que nous donnons à la Cour.

Selon nous, les objections fondées sur des convictions religieuses mettent en cause la liberté de religion et donc la liberté des personnes qui est soumise au régime général de la liberté religieuse. Alors que les objections qui mettent en cause une conviction morale ne sont pas nécessairement religieuses et mettent en cause la justice de l’acte auquel il est objecté.

Ces objections morales sont importantes, car supposées rationnelles à la différence des objections religieuses, qui ne le sont pas nécessairement.

Ainsi, le refus de la transfusion sanguine des Témoins de Jehova est une objection religieuse, non rationnelle, alors que le refus de la vaccination est une objection morale qui se veut fondée sur des arguments rationnels.

Il faut distinguer l’objection religieuse, soumise au régime de la liberté de religion, donc pas forcément absolue, des objections morales qui doivent subir un examen de leur rationalité. Nous disons que les objections de nature morale doivent être absolument respectées lorsque leur fondement moral est plausible.

Cela étant, les objections morales sont rares. En général, elles sont déjà reconnues. Par exemple l’objection au fait de tuer. Ce qui concerne le service armé, l’avortement ou l’euthanasie. À chaque fois, il s’agit du refus de tuer. Il y a là un motif moral évident, objectif.

Concernant la vaccination, la question est plus délicate car nous sommes face à un débat scientifique.

Ensuite, s’agissant de l’obligation vaccinale, nous avons aussi une opinion, qui s’appuie sur divers éléments distincts de l’objection de conscience. Nous rappelons ainsi à la Cour l’importance des principes du respect de l’intégrité physique et de la volonté des personnes.

Nous avons rappelé également qu’en 1927, aux États-Unis, c’est en s’appuyant sur le caractère obligatoire de la vaccination que la Cour suprême a validé des lois mettant en place des politiques de stérilisation obligatoire des personnes « débiles ». Ainsi, accepter le principe du caractère obligatoire d’un acte « médical » sur toute une population donne à l’État un pouvoir très grand au nom de la santé publique sur le corps des personnes.

En France, trois vaccins sont déjà obligatoires. Si on reconnaît à l’État le pouvoir d’en imposer onze, rien n’empêchera l’État à l’avenir d’imposer d’autres modifications au corps des personnes, au nom de la santé publique. Nous rappelons l’importance de poser une limite au pouvoir de l’État sur le corps des personnes, fut-ce au nom de la santé publique.

À l’inverse nous recommandons ce qui a déjà cours dans de nombreux autres État européens, à savoir une approche non contraignante, mais fondée sur l’explication, l’incitation, comme actuellement pour le vaccin contre la grippe.

Plus généralement, et c’est là un autre point important, il faut maintenir ferme le principe que les parents sont les premiers responsables de leurs enfants, y compris de leur santé.

Le Premier ministre a annoncé récemment que la France impose désormais onze vaccins obligatoires. Que pourront faire les Français qui refusent cette décision ?

Il faudra voir selon les sanctions encourues. Cela entraînera probablement l’impossibilité de la scolarisation et même de la mise en crèche des enfants. Pour l’instant, il faut rappeler différents principes. Il faut montrer que le modèle promu par la France n’est pas le seul existant en Europe ; qu’il y a d’autres pays où les vaccinations sont simplement recommandées et non obligatoires. Les onze vaccins rendus obligatoires en France constituent presque le maximum en Europe. Nous sommes seulement dépassés par Lettonie, avec douze vaccins. Si le texte est imposé par le gouvernement, il faudra le contester. En attendant, nous devons avoir la décision de la Cour européenne. Dans l’immédiat, il faut donc l’encourager à juger dans le bon sens.

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