Graduel Beata gens

Publié le 01 Sep 2019
Graduel Beata gens L'Homme Nouveau

« Heureuse la nation dont le Seigneur est le Dieu, le peuple que le Seigneur a choisi pour héritage. Par la parole du Seigneur, les cieux ont été affermis. Du souffle de sa bouche vient toute leur puissance. Â» (Psaume 32, 12, 6)

Commentaire spirituel

La notion de peuple de Dieu a été mise en lumière par le Concile Vatican II. L’Église a hérité de cette réalité biblique omniprésente dans l’Ancien Testament et qui continue de la constituer depuis sa fondation par et dans le Christ. Les chrétiens constituent un peuple supra-national et ce peuple possède la dignité d’être une Église. Ces deux notions se complètent admirablement et dans l’histoire récente on a pu, en voulant trop les séparer, tomber dans des extrêmes opposés : faire de l’Église une réalité trop mystique et trop exclusivement intérieure ; et à l’inverse, faire du peuple de Dieu une réalité exclusivement sociale, fondée sur des principes humains sans transcendance. Un théologien monastique anglais, dom Anschaire Vonier a écrit un très beau petit livre, en 1943, intitulé précisément Le peuple de Dieu, dans lequel il rapproche admirablement les trois notions bibliques de peuple, de royaume et d’Église, pour en dégager une théologie très saine au sujet de l’humanité rachetée par le Christ permettant d’analyser les fondements d’une société chrétienne. Ce petit livre prophétique est un vrai commentaire de notre graduel. En particulier, dom Vonier se prend à rêver d’un peuple de Dieu universellement croyant, dont aucune activité n’échapperait à sa foi : « tous ses efforts, toutes ses entreprises, tous ses travaux de n’importe quelle nature, auraient pour but la vie de ce peuple de Dieu. L’industrie, les arts, les lettres, les sciences, les gouvernements, la paix et la guerre (rappelons que ce livre est écrit en 1943, au cÅ“ur de la seconde guerre mondiale), tout serait imbu de cet esprit de service pour Dieu : le laboureur dans son champ, l’artisan dans son échoppe, l’artiste dans son atelier, le professeur à l’université, l’adolescent sur le terrain de jeu, le soldat au camp, tous joueraient leur rôle dans le peuple de Dieu. Aucun genre d’activité ne serait déplacé, ne serait en dehors du cadre de la nationalité surnaturelle. Ce peuple trouverait ses ressources principales dans le culte divin, dans les actes de la religion ; il glorifierait Dieu de toutes les manières possibles, il n’y aurait pas de terme à ses entreprises consacrées à magnifier le nom du Christ1 Â». Et dom Vonier conclut : « Un tel tableau n’est pas un simple rêve, il est l’objectif même auquel tend le catholicisme… et la réalisation de cet idéal est tout simplement le plan catholique complètement accompli, c’est l’Église dans sa plénitude2. Â»

« Bienheureux le peuple qui est instruit dans l’art de la louange Â», dit le psaume 88. Et ici, on lit dans le texte de notre graduel : « Heureuse la nation dont le Seigneur est le Dieu, le peuple que le Seigneur a choisi pour héritage. Â» Ce bonheur du peuple chrétien, on l’éprouve lorsqu’on fait l’expérience d’un pèlerinage ou d’une visite dans un grand sanctuaire comme Lourdes, ou encore sur la place Saint Pierre à Rome. On se sent alors comme envahi par une sentiment de fraternité souveraine et de filiation aimante à l’égard de Marie, de Dieu, de l’Église. Et ce sentiment se manifeste au plus haut point dans la liturgie qui nous rassemble autour du Christ dans un même Esprit, à la louange de la gloire de Dieu le Père. Ici bas, nous devons lutter contre les forces mauvaises pour instituer le règne du Christ dans le monde qui nous entoure. Le rêve de dom Vonier, s’il n’est pas chimérique, est un idéal difficile à réaliser qui suppose la liberté intérieure des membres du Christ et une charité vraiment dominante dans les cÅ“urs, capable de dépasser les inévitables affrontements de la vie fraternelle, au plan individuel comme au plan social. Et ce n’est qu’au ciel que cet idéal sera pleinement réalisé et fera toute notre joie. Là il n’y aura plus d’obstacle. Le peuple de Dieu vivra dans une harmonie totale. Chacun de ses membres sera parfaitement en paix avec lui-même et avec son prochain. Le bonheur sera la caractéristique de cette bienheureuse nation que chante notre graduel. Retenons que c’est Dieu qui se choisit un peuple : l’initiative lui revient toujours, la paix est donc une grâce qu’il fortifie par son amour, comme les cieux qu’il a créés et qui ne seraient rien sans lui.

Commentaire musical

Beata gens Partition

Voici un long graduel du 1er mode composé de six phrases musicales : trois pour le corps et trois pour le verset. Il emprunte quelques unes de ses formules à une mélodie type mais il fait également preuve d’originalité et son premier mot, beáta, rayonne sur l’ensemble de cette mélodie qu’on a plaisir à chanter.

L’intonation est large, chaleureuse, pleine. La mélodie se déploie surtout sur le mot beáta, ne réservant qu’un simple punctum pour le mot gens, ce qui montre assez d’emblée le caractère théologal de cette joie et de ce peuple : il n’est pas le fruit d’une construction humaine mais c’est la joie de Dieu qui le constitue. La courbe de cette intonation se meut dans la quinte du 1er mode : on part du Ré et on y revient après s’être appuyé sur la corde Fa (accent bien ferme de beáta) et avoir atteint le La, dominante du mode. Il y a évidemment de la joie dans cette formule, donc de la légèreté, mais aussi de la grâce et de la complaisance et donc une certaine ampleur et dilatation. Le petit mot gens, même s’il n’est représenté que par un simple punctum, ce qui traduit l’humilité de cette nation qui tient tout de Dieu, doit être également plein de complaisance et de chaleur. Après cette intonation, la mélodie monte doucement, avec un départ piano sur le double Ré de cujus, un appui ferme et en crescendo sur le verbe est, un crescendo qui se renforce encore sur l’attaque sur le Sol de Dóminus marqué d’un épisème, donc d’une certaine chaleur là aussi. La mélodie se maintient ensuite sur le La tout au long du mot, puis atteint un premier sommet bien expressif sur l’accent de Deus qui touche le Do. La phrase se termine sur la belle formule mélodique large et pleine de eórum.

La seconde phrase, avec son départ à l’aigu et en force, introduit une nouvelle nuance, surtout sur ce mot pópulum qui, à l’inverse du mot gens, est exalté par la mélodie. On a mentionné le Seigneur Dieu qui a choisi et fondé lui-même son peuple et alors on peut contempler ce peuple héritier de Dieu. L’accent du mot est très ferme et le Do du sommet traduit l’admiration du psalmiste devant ce miracle d’unité et de fraternité qu’a réalisé l’action divine. La cadence élargie et à l’aigu, sur le La, nous maintient dans ce sentiment d’admiration un peu extatique, avant que la paix contemplative ne reprenne ses droits sur quem elégit Dóminus, en une formule merveilleuse de douceur, de tendresse et de complaisance délicate, procédant le plus souvent par degrés conjoints, surtout sur elégit, et plongeant de plus en plus vers le grave, dans les profondeurs du mystère fondateur, sur le mot Dóminus. La formule finale de Dóminus est pourtant légère et il ne faut pas l’alourdir par un tempo trop lent.

La troisième phrase du corps du graduel redémarre de façon suggestive avec un petit passage syllabique à quatre notes, sur in hereditátem, qui permet de redonner un bon petit mouvement à la pièce. L’élan de ce passage syllabique se prolonge sur les neumes d’accent, jusqu’au Do du sommet, avec une nuance, là encore, de complaisance bien marquée mais légère. Vient ensuite et pour finir ce bel ensemble la très belle mélodie de sibi, où le Fa joue un rôle primordial d’appui répété, dans sa relation avec le Sol ou le La. L’accent de sibi est pris au levé, bien arrondi, et la finale se déploie avec beaucoup de legato dans une paix infinie, sur un rythme binaire très bien balancé, tout en souplesse. Tout au long de ces trois phrases, on a noté une succession expressive d’élans et de repos qui donnent à ce corps de graduel un caractère à la fois vivant et très doux, le dernier mot revenant toujours à la paix du 1er mode, ici vraiment souveraine.

Le verset commence d’emblée dans une atmosphère un peu différente. L’intervalle initial de quinte qui propulse la mélodie du Ré au La confère un élan nouveau et une nuance d’enthousiasme à ce qui va suivre. Cet élan se confirme sur le mot Dómini dont la mélodie très ornée, empruntée à une mélodie type, navigue en une montée régulière entre le La et le Do aigu avec beaucoup de légèreté et aussi d’insistance à mesure que l’on est conduit vers les derniers Do de la vocalise. Cette vocalise s’élargit au niveau de la cadence, et après une bonne demi-barre, on s’élance vers le sommet de toute la pièce, si heureusement placé par le compositeur sur le mot cæli. L’épisème qui affecte l’accent invite à donner à ce sommet un maximum de chaleur vocale, tandis que la fin de la vocalise de cæli nous fait retrouver rapidement la légèreté caractéristique de cette pièce dans son ensemble. Ici toutefois, cette légèreté s’accompagne de fermeté, notamment sur l’accent de firmáti dans lequel il faut bien mordre pour le souligner et le mettre en valeur. Notons aussi la belle cadence admirative de sunt qui conclut toute cette première phrase du verset.

La mélodie redevient plus sobre au début de la seconde phrase. La formule qui met en musique le mot spíritu est très belle, très enveloppée autour du La, donnant un peu l’impression d’un vent qui souffle en s’enroulant et en tournoyant. C’est le souffle créateur qui sort de la bouche de Dieu pour façonner les êtres. Deux neumes ternaires, bien balancés, habillent le mot oris, avant que la mélodie retrouve sur ejus une formule classique des graduels du 1er mode, légère et paisible.

La dernière phrase démarre avec un élan puissant sur omnis dont la mélodie montante s’accompagne d’un grand crescendo. Le reste de la pièce, jusqu’à la fin, ne s’écarte plus de la mélodie type qui, de façon ondulante, redescend progressivement jusqu’au Ré final qui fixe l’ensemble de la pièce dans la paix souveraine du 1er mode.

1 Dom Vonier, Le Peuple de Dieu, Éditions de l’Abeille, Lyon, 1943, page 86.

2 Ibid.

Pour écouter le Graduel, cliquer ici.

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