Notre quinzaine : Une révolution copernicienne ?

Publié le 16 Oct 2024
révolution ultra gauche

Manifestation antifasciste à Besançon (France) en 2013. / Crédits : Toufik-de-Planoise, CC BY-SA 4.0

Éditorial du n° 1817

 

L’épisode politique traversé par la France depuis le résultat des élections européennes a rappelé la place de l’extrême gauche dans notre pays. Malheureusement, celle-ci sert plus d’épouvantail qu’elle n’est exactement connue. Pourtant, l’extrême gauche ne cesse d’occuper le terrain, aussi bien celui de la rue que des médias, des amphis ou des sites Internet. Elle déploie également un travail doctrinal et d’adaptation aux réalités du moment, sans équivalent parmi ses adversaires.

Un seul exemple pour illustrer ce constat. En 2020, le philosophe Geoffroy de Lagasnerie publiait aux éditions Fayard un petit livre au titre évocateur : Sortir de notre impuissance politique. Estimant que la gauche régresse, il affirmait la nécessité « d’interroger nos stratégies, nos modes de pensée et nos manières de lutter. » Présentant son livre à la radio, il avait « séché » Léa Salamé. Celle-ci n’en était effectivement pas revenue de l’entendre reformuler sur un ton assuré et avec un vocabulaire actuel le vieux slogan révolutionnaire : « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté. »

En consacrant un dossier à l’extrême gauche, nous avons pensé utile de savoir quelle réalité ce terme recouvre, sur quelles forces et quelles faiblesses elle s’adosse et quel travail doctrinal elle produit. Faute de place, notre enquête ne livre hélas qu’un aperçu. Elle veut surtout sortir de la simple sidération, qu’enclenche la peur des Antifas ou les mesures économiquement absurdes à la Lucie Castet mais qui laisse dans l’ombre la réalité multiforme d’une mouvance habitée de chapelles et d’excommunications mais tendue vers un but qui est l’achèvement du processus enclenché en 1789.

Une clef de compréhension

En amont d’un tel sujet, il faut avoir à l’esprit une clef de compréhension qui permet de saisir l’un des principaux ressorts de notre société. Jean Madiran l’avait présentée dès 1977 dans La droite et la gauche [1]. « La gauche, expliquait-il, se désigne elle-même et la droite est désignée par la gauche. La gauche lance le jeu gauche contre droite et elle fixe la règle du jeu. » La gauche détient le pouvoir moral de dire le bien et le mal. Il en va ainsi depuis la Révolution française.

Ce pouvoir moral s’insère plus globalement dans ce que le même Madiran a qualifié de « démocratie moderne », laquelle repose finalement sur la souveraineté absolue du corps social et sur la loi comme expression de la volonté générale.

Dans Le Cabinet des antiques [2], l’essai particulièrement percutant qu’il a consacré à la démocratie athénienne, ou plus exactement à vérifier l’affirmation courante selon laquelle notre démocratie serait son héritière, Michel De Jaeghere remarque :

« Dans les démocraties classiques, on confiait ainsi au corps électoral ou à ses représentants le soin d’approuver les lois parce qu’elles leur paraîtraient les plus conformes à l’ordre du monde ou à la volonté de Dieu. Dans la démocratie moderne, on leur demande d’édicter les lois les plus conformes à leur propre volonté, déclarée universellement souveraine. L’apparence peut être identique. La réalité est très différente.

Dans le premier cas, on demandait au peuple de définir ce qu’il pensait correspondre à la justice. Dans le deuxième, on lui demande ce qu’il veut, et qui sera considéré comme juste par cela seul que cela aura obtenu la majorité des suffrages. On reconnaissait au souverain le pouvoir de dire : je le veux, parce que c’est juste. On admet désormais qu’il prétende : c’est juste parce que je le veux. On a maintenu les termes ; on a renversé la logique. C’est une révolution copernicienne. »

Théologie du peuple ?

En quoi nous concerne-t-elle cette « révolution copernicienne », nous catholiques ? Elle nous atteint d’abord comme citoyens et habitants d’un pays dont nous n’avons pas le droit de nous désintéresser de l’avenir sous prétexte que nous visons ultimement le Ciel. Ensuite, comme membres de l’Église, nous ne pouvons que constater combien est à l’œuvre le même principe selon lequel est vraiment catholique ce que la base veut. Pour faire plus sérieux, on a baptisé ce principe du nom de « théologie du peuple ». Mais, au sens vrai du terme, il n’y a de théologie que de Dieu. Si bien que nous nous trouvons aujourd’hui dans cette situation étrange de devoir réaffirmer les droits de Dieu au sein même de son Église.

 


[1] Jean Madiran, La droite et la gauche, NEL, p. 10. Du même, cf. aussi La Démocratie moderne, NEL.

[2] Michel De Jaeghere, Le Cabinet des antiques, les origines de la démocratie contemporaine, Tempus, p. 108.

 

>> à lire également : Peut-on mettre la vérité religieuse entre parenthèse ?

 

Philippe Maxence

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