Dans le dernier numéro du Figaro Histoire (avril 2021), Michel De Jaeghere retrace d’une main de maître le récit de l’édification de l’empire romain. Quel intérêt, dira-t-on, au moment où certains mènent une guerre idéologique contre l’utilisation de la numérotation à la romaine ? Au-delà du pur intérêt de l’érudition, de l’amour du passé, il se trouve dans la conclusion de cet éditorial quelques leçons politiques à retenir.
L’instauration du principat permettra, pourtant, de sortir de cette spirale. Parce qu’elle mettra fin aux discordes civiles en réservant la force armée à son seul titulaire. Et parce qu’elle dotera l’empire d’un souverain nanti d’une longévité qui l’incitera à se conduire, vis-à-vis des provinces, non plus en pillard disposant d’une année pour faire fortune aux dépens des vaincus (Verrès était la règle plutôt que l’exception), mais en administrateur soucieux de leur assurer la paix et le développement.
Rome y mobilisera, surtout, l’expérience qui avait été celle de ses premiers siècles, et par quoi elle avait surmonté, lors de la conquête de l’Italie, la difficulté de ne s’y pas trouver parmi des semblables, mais au cœur, dit Paul Veyne, « d’un bariolage de cultures ». Volsques, Samnites, Romains, Etrusques n’avaient pas les mêmes origines. Rome avait dû imposer son hégémonie à des peuples qui lui étaient aussi étrangers que le seraient, plus tard, ceux de son immense empire. Elle y avait mis au point, par l’octroi de formes variées, dégressives, de sa citoyenneté, des procédés qui avaient permis l’intégration progressive des vaincus, leur association de plus en plus étroite à la cause du vainqueur. Hannibal s’imaginait, en fondant sur la péninsule italienne, susciter la désagrégation immédiate des alliances auxquelles Rome devait sa puissance, son fabuleux réservoir de soldats. Il avait été déçu dans ses attentes : Latins, Ombriens et Etrusques étaient restés fidèles aux Romains. Auguste et ses successeurs utiliseraient les mêmes techniques pour associer les plus lointaines de leurs provinces à leur empire. Par l’attribution sélective de la citoyenneté romaine aux élites, la diffusion de la culture latine, l’implantation des institutions civiques, l’exportation de l’architecture, de la statuaire, de l’urbanisme romains, ils parviendraient à asseoir leur domination sur une romanisation des élites qui leur ferait bientôt tenir pour un bienfait leur empire. Elle lui donnerait la solidité sans exemple qui lui permettrait de surmonter la fatalité qui avait fait frémir d’angoisse Scipion Emilien et, seul de son espèce, de se perpétuer pendant près de cinq siècles.