> Dossier « Le christianisme face à l’esclavage »
L’Histoire tend à prouver que plutôt que ceux que l’on nomme les abolitionnistes, ce sont les changements théologiques et moraux graduellement obtenus par l’Église qui amenèrent la disparition de l’esclavage dans les sociétés occidentales chrétiennes. L’ouvrage de Jean-Pierre Montembault, Les Chrétiens et l’esclavage, retrace ce renversement moral initié par le Christ. Entretien.
| Quel nouveau message apporté par l’Église interdisait l’esclavage ?
L’Église est la première à avoir montré que la liberté n’est pas collective mais individuelle. Elle est née au milieu de civilisations qui considéraient la liberté comme collective: il s’agissait d’un privilège d’une cité, par exemple, ou d’une ethnie. Elle n’était pas un droit naturel. L’esclavage faisait partie de la société. On ne se demandait pas si c’était une pratique juste ou immorale. L’état normal de l’immense majorité de l’humanité était la servitude. Posséder de nombreux esclaves était un signe de richesse et de puissance. Tout le monde, esclaves compris, pensait cela. L’originalité du message de l’Église est de dire que l’on est libre à partir du moment où l’on est homme. Nous sommes tous égaux aux yeux de Dieu. Le caractère sacré de l’homme est universel puisque tous les hommes sont nés d’un seul couple, créés à l’image de Dieu, sublimés par l’Incarnation et sauvés par Jésus-Christ dans la Rédemption. Par comparaison, les autres sociétés prônaient l’inégalité entre les hommes en tant qu’êtres humains pour différentes raisons. Certaines ne faisaient pas de distinction entre nature et humanité, ce qui mène à l’animisme ou au panthéisme, et nie le caractère sacré de l’être humain. D’autres considéraient que les hommes ne sont pas égaux par nature. Ce type de raisonnement aboutit à hiérarchiser les êtres humains, ce qui mène logiquement à l’esclavage.
| De quelle manière l’Église s’est-elle opposée à l’esclavage et est-elle parvenue à un changement des mentalités ?
L’Église s’oppose à l’esclavage mais pas à la manière d’idéologues qui veulent, par la force, faire un homme nouveau en faisant table rase du passé. Sa méthode a été pragmatique : apporter de nouvelles valeurs pour induire de nouveaux comportements, humaniser la pratique de l’esclavage, la réglementer pour la rendre plus supportable, et en même temps, saper ses fondements philosophiques. Sachant que l’homme a une tendance à l’esclavage depuis le péché originel, elle a choisi le principe de réalité en trouvant des solutions donnant-donnant, évitant ainsi des réactions…