Un jubilé d’argent pour Our Lady de Clear Creek, fille de Fontgombault

Publié le 15 Avr 2025

Our Lady of Clear Creak

En 1999, treize moines de l’abbaye Notre-Dame de Fontgombault partaient dans l’Oklahoma (États-Unis) pour y fonder, l’année suivante, l’abbaye Our Lady of Clear Creek. À l’occasion du jubilé des 25 ans de la fondation, le père abbé, Philip Anderson, revient sur l’histoire du monastère mais aussi sa « préhistoire ».

 

| Vous célébrez actuellement le jubilé d’argent de l’abbaye Our Lady de Clear Creek. Qu’est-ce qu’un jubilé d’argent exactement et par quels événements va-t-il être marqué à l’abbaye ? 

Cette année nous célébrons le vingt-cinquième anniversaire de notre arrivée ici aux États-Unis, dans l’Oklahoma, et l’établissement de notre monastère, maintenant une abbaye sui juris. Nous faisons partie de la Congrégation bénédictine de Solesmes, commencée jadis en France par le Serviteur de Dieu, Dom Prosper Guéranger.

De fait, les fondateurs sont arrivés le 15 septembre 1999, mais l’ouverture officielle du monastère de Clear Creek a eu lieu le 11 février de l’année jubilaire de 2000. Cette fondation a été réalisée à partir de l’abbaye Notre-Dame de Fontgombault, maison-fille de Solesmes. Parmi les fondateurs, il y avait huit Américains, trois Français, et deux Canadiens. Ainsi débutait notre histoire.

Nous avons déjà marqué ce jubilé d’argent par des visites de moines de la famille de Fontgombault au mois d’octobre dernier, et le 26 avril nous aurons une célébration avec la participation de nombreux laïcs, amis de l’abbaye. Il y aura surtout une messe pontificale, célébrée par un évêque qui a soutenu notre fondation dès le début, Mgr James Conley, de Lincoln (Nebraska).

| Dans la Lettre que vous adressez aux amis de l’abbaye, vous retracez la « préhistoire » de cette fondation qui, passe de manière inattendue, par un programme de formation aux Humanités classiques délivrée par… l’université du Kansas ? Quel lien établissez-vous entre les deux ?  

Il se trouve que notre monastère est le résultat de deux courants qui se sont combinés : la quête de quelques étudiants universitaires, nouvellement convertis au catholicisme, d’une part, et puis, d’autre part, le projet du second père abbé de Fontgombault, Dom Jean Roy, d’établir une fondation monastique aux États-Unis. Ces étudiants, dans les années 1970, voulaient trouver un monastère où vivait encore la grande tradition monastique, et surtout la liturgie en langue latine.

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Logo du Integrated Humanities Program.

Ce désir naissait de leur contact transformant avec les grandes œuvres de la littérature occidentale sous l’enseignement de John Senior et de deux collègues. Bien entendu, c’est le christianisme, surtout la grande tradition catholique, que ces étudiants ont découvert au cœur de la civilisation occidentale. Et c’est à Fontgombault qu’ils ont découvert, par une suite d’évènements providentiels, le lieu qu’ils cherchaient.

| Vu de France, le nom de John Senior est encore connu dans certains milieux catholiques, en raison de ses ouvrages traduits en français chez DMM. Mais nous connaissons moins, pour ne pas dire pas du tout, Dennis Quinn et Frank Nelick. Ont-ils exercé eux aussi une influence décisive sur le désir d’un certain nombre d’étudiants d’embrasser la vie monastique ?  

Effectivement, les deux autres professeurs, qui ont complété ce trio du programme, ont contribué, l’un et l’autre, à quelque chose d’unique, d’original dans cette histoire. Dennis Quinn était un peu l’essence même de  l’« enseignant », avec une profonde connaissance de Shakespeare. Il était sanguin, avec un sens de l’humour sans égal et possédait l’énergie qui était nécessaire pour maintenir en vie ce programme universitaire qui a été attaqué dès le début.

Grand ami des deux autres, mais très diffèrent de tempérament, Frank Nelick, ancien officier de marine et pilote qui avait participé aux combats aériens pendant la Seconde Guerre mondiale, ajoutait aux lectures du programme (il était par ailleurs expert sur le poète Milton) la poésie de sa propre vie.

| Le numéro du 31 mars 1977 du Kansas City Times publia un dessin représentant, sur le modèle de « La Marche du progrès » de Rudolph Franz Zallinger, des étudiants au départ hippies, barbus et chevelus, se transformer au fur et à mesure en jeunes hommes aux cheveux plus courts, bien habillés, et finissant à terme sous le froc monastique. Ce dessin correspondait-il vraiment à la réalité ?  

Le dessin en question, qui voulait tourner en dérision plus ou moins le phénomène du programme dans le Kansas, était de fait assez véridique quant à la réalité ! On voit à travers une grande bannière en haut de page les étudiants d’un côté de l’Atlantique perdant de plus en plus le style « soixante-huitard », puis, arrivant de l’autre côté, en France, avec l’habit plus austère du moine bénédictin. C’est littéralement ce qui s’est passé.

Plus profondément, ce programme d’études classiques dans l’université du Kansas fut non seulement l’occasion de plusieurs vocations monastiques, mais a surtout provoqué des centaines de conversions à la foi catholique.

| Une vocation monastique est un appel de Dieu, qui nécessite une réponse libre de l’homme. Comment ces jeunes hommes ont-ils compris qu’ils étaient appelés, au point de se le dire entre eux et d’entamer un long voyage à travers l’Atlantique ? 

Il faut se souvenir un peu de la fin des années 1960 et des idées radicales, voire révolutionnaires, qui pullulaient aux USA comme en France. Cette énergie qui débordait chez les jeunes cherchait un débouché… Ces trois professeurs avaient l’intuition qu’il fallait trouver le moyen de diriger cet élan vital vers un but constructif, bienfaisant, noble, au lieu de le laisser aboutir à une destruction culturelle qui n’allait nulle part.

Ces jeunes cherchaient quelque chose de radical. John Senior et les autres leur ont proposé quelque chose de radicalement bien, c’est-à-dire la vie monastique, plutôt qu’un radicalisme qui, en réalité ne faisait que tout déconstruire. Cette vision des choses trouvait en ces jeunes une résonance profonde.

| Et, pourquoi l’abbaye de Fontgombault ? Comment s’est faite la découverte de l’abbaye ?

Lorsque les jeunes convertis en question ont commencé à chercher une voie pour mettre en pratique leurs aspirations nées au cours de leurs études, John Senior a tout simplement proposé à deux d’entre eux de partir pour l’Europe afin d’y trouver un moine qui accepterait de revenir avec eux et de commencer un monastère au Kansas. Tout simplement ! L’un de ces étudiants avait les ressources financières pour un tel voyage et l’autre possédait un sens plus pratique, nécessaire pour l’aventure.

Ils sont donc partis vers plusieurs lieux majeurs de la chrétienté, notamment Rome et Fatima. Au cours de leur périple, plusieurs personnes, dont un prêtre, leur ont suggérés d’aller voir l’abbaye Notre-Dame de Fontgombault. En arrivant là-bas, ils ont trouvé quelque chose qui n’existait pas aux États-Unis, un lieu ancien et extraordinaire, mais plein de vie, un lieu où l’on « touchait du doigt », pour ainsi dire, ce pilier de la civilisation occidentale qu’est la vie monastique.

Ils ont été charitablement reçus par les moines, qui ne pouvaient pas leur donner un des leurs, mais qui avaient déjà songé à la possibilité d’établir une fondation aux États-Unis.

Fontgombault Daniel Jolivet CC BY 2.0 Clear Creek

Notre-Dame de Fontgombault. © Daniel Jolivet, CC BY 2.0.jpg

| À titre personnel, vous souvenez-vous ce que vous avez ressenti en découvrant Fontgombault, puis au moment de votre noviciat ? La vie monastique correspondait-elle vraiment à ce que vous aviez imaginé ?  

Au seuil de l’abbaye Notre-Dame de Fontgombault, j’ai ressentis quelque chose qui ressemblait au premier verset du Psaume 8 en latin : Domine, Dominus noster, quam admirabile est nomen tuum, in universa terra !Ô Dieu, notre Seigneur, que votre nom est admirable par toute la terre », psaume chanté notamment à Prime du mardi dans l’antique office monastique, NDLR).

En latin, le mot admirabile correspond davantage au sentiment exprimé en anglais par le mot wonder (émerveillement), dont nous parlaient si magnifiquement les trois professeurs de l’université. La traduction française est un peu différente. Aristote nous dit que toute la philosophie jaillit de l’émerveillement (wonder). Sa place dans la révélation chrétienne est encore plus importante, comme l’indique le psaume que, nous moines, nous récitons si souvent. 

| De la même manière, qu’avez-vous éprouvé en apprenant la décision d’aller fonder un monastère aux États-Unis ? 

Pendant les quelques vingt-quatre ans que j’ai passés en France, j’ai toujours cru qu’un jour la fondation aux États-Unis se ferait. Je voyais cela comme une sorte de mission personnelle, mais aussi comme un projet en commun avec les autres Américains qui ont fait profession à Fontgombault. 

| Qu’est-ce qui caractérise aujourd’hui la famille monastique de Clear Creek ? Sa « préhistoire » marque-t-elle encore son histoire et son développement ? 

Aujourd’hui, nous nous réjouissons de voir tant de vocations et un tel accroissement de notre vie ici, grâce à Dieu. Des treize fondateurs du début, nous sommes maintenant soixante-dix. Bien entendu, tout cela n’est que l’épanouissement de cette préhistoire des années 1975-2000. 

clearcreekabbey Clear Creek

clearcreekmonks.org

| Envisagez-vous à votre tour une fondation pour accroître le rameau bénédictin aux États-Unis ? 

La chose n’est pas certaine, mais nous espérons fonder dans les années qui viennent une nouvelle maison dans l’État du Nouveau-Mexique (sud-ouest des États-Unis), où, déjà, nous avons construit quelques bâtiments de nos propres mains en vue de cette possibilité. C’est au niveau de notre Congrégation de Solesmes que la décision pour fonder un nouveau monastère doit se faire. C’est une entreprise très importante !

| Si vous deviez résumer en quelques mots la vocation monastique en ce début de XXIe siècle ? 

À une époque matérialiste, sécularisée, déboussolée, désabusée, la vie monastique doit répondre, sans doute, à sa vocation originelle, pour redevenir une voix prophétique au milieu d’un désert culturel qui dessèche les âmes.  C’est aussi une vie angélique en ce sens, car le moine n’est pas appelé à fournir une profusion de mots, mais à cultiver un silence adorant et fécond qui se répand autour de lui en cercles concentriques : bonum diffusivum sui. À Clear Creek nous tâchons de faire cela sous l’inspiration de Notre-Dame de l’Annonciation (notre sainte patronne) avec toujours un immense amour pour l’Église.

 


Site internet de l’abbaye Our Lady of Clear Creek : https://clearcreekmonks.org/

Livres de John Senior disponibles en français :
La mort de la culture chrétienne, DMM, 232 pages, 22 €.
La restauration de la culture chrétienne, DMM, 226 pages, 21,50 €.

Sur John Senior, à paraître aux éditions DMM par un moine de Clear Creek :
• John Senior ou la restauration du Réalisme, DMM, mai 2025. 

 

>> à lire également : Guillaume Bernard : Quas Primas et le royalisme intégral

 

Philippe Maxence

Philippe Maxence

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