Entretien avec dom Jean Pateau, abbé de Fontgombault

Publié le 10 Oct 2013
Entretien avec dom Jean Pateau, abbé de Fontgombault L'Homme Nouveau

À l’occasion de l’arrivée aujourd’hui des moines de Notre-Dame de Fontgombault à l’abbaye Saint-Paul de Wisques,(voirt ici), nous publions à nouveau l’entretien exclusif que nous avait accordé en janvier dernier le père abbé de Fontgombault, dom Jean Pateau, pour annoncer cette nouvelle implatation. Cet entretien a été publié dans notre numéro 1535 du 2 février dernier. 

Voici un peu plus d’un an que vous avez été élu abbé de Notre-Dame de Fontgombault. Quel regard portez-vous sur votre première année d’abbatiat ?

Très Révérend Père dom Jean Pateau : Ce fut d’abord une année de découvertes : découverte du monachisme en France par la visite de plusieurs communautés, découverte du monachisme bénédictin dans le monde lors de la réunion des abbés de l’Ordre à Rome. Ce fut surtout une année de grâces. Être abbé, c’est être père. C’est travailler à l’œuvre de Dieu dans les âmes au sein d’une communauté. C’est tout simple : il faut des moines, il faut un abbé… et que tout le monde s’entende pour se dépenser sur le chantier de Dieu. Si c’est ainsi, tout le monde est heureux : la communauté, les moines et leur abbé. Pour tout cela, à Dieu, grand merci !

Comment se portent aujourd’hui le monde bénédictin en général et Fontgombault en particulier, dans un univers de plus en plus habité par le relativisme et la fuite de Dieu ?

Saint Théodore Studite, mort en 826, définit ainsi le moine :

« Est moine celui qui dirige son regard vers Dieu seul, qui s’élance en désir vers Dieu seul, qui est attaché à Dieu seul, qui prend le parti de servir Dieu seul, et qui, en possession de la paix avec Dieu, devient encore cause de paix pour les autres. »

Tout moine doit se reconnaître en cette définition. Mais un moine bénédictin est appelé à vivre dans un monastère où il achèvera sa vie si l’obéissance ne l’en déloge pas. La communauté monastique est donc une famille qui dure, qui a son visage, ses us et coutumes, ses traditions. Certains monastères ont des écoles, des universités, des paroisses, alors que d’autres sont essentiellement contemplatifs. Les choix faits à tel ou tel moment de la vie d’une communauté portent leurs fruits dans la mesure où ils participent à l’épanouissement des vocations que le Seigneur envoie toujours, et ce, malgré le relativisme omniprésent et la fuite de Dieu. Dieu sait encore se laisser désirer et mener les âmes chez lui. Le monachisme bénédictin est donc promis à de longs jours. Quant aux monastères, c’est le secret de la Providence. À Fontgombault, nous remercions le Seigneur de nous avoir bénis en nous confiant des vocations.

 

Est-ce que le monachisme a encore quelque chose à dire aux hommes contemporains ?

Le père Doyère, dans sa vie de saint Benoît Labre, écrivait :

« À quelque époque que ce soit, ceux que leur sacrifice mènera dans une rigoureuse solitude pour appartenir au Christ et à sa croix dans la prière, la pénitence et le recuei­llement de l’amour, seront pour leurs contemporains des âmes d’un autre âge, car, parmi les hommes, esclaves du temporel, et naïvement fiers de leurs chaînes,?cette?exclusive sainteté commettra toujours l’anachronisme de l’éternel. »

Que la vie monastique paraisse incompréhensible à nos contemporains, n’exclut pas que ceux-ci ressentent que les cloîtres ont un message à eux adressé, comme l’illustrait Paul Valéry :

« Il faudra bientôt construire des cloîtres rigoureusement isolés où ni les ondes ni les feuilles ne rentreront, dans lesquels l’ignorance de toute politique sera préservée et cultivée ; on y méprisera la vitesse, le nombre, les effets de masse, de surprise, de contraste, de répétition, de nouveauté, de crédulité ; c’est là qu’à certains jours on ira à travers des grilles considérer quelques spécimens d’hommes libres. »

De nos jours, des gens, non seulement viennent considérer des spécimens d’hommes libres derrière des grilles, mais demandent que ces grilles leur soient ouvertes afin de marcher à la conquête de la liberté qui les conduira à Dieu.

 

Depuis plusieurs semaines le bruit court que l’abbaye de Fontgombault pourrait essaimer à Wisques dans le Nord. Or, il existe déjà une communauté de la même congrégation à cet endroit…

Oui, c’est vrai. À l’automne prochain une douzaine de moines de Fontgombault devraient se rendre à Wisques afin d’y maintenir le flambeau de la vie monastique. Depuis de longues années, ce monastère – l’abbaye Saint-Paul – souffre de l’absence de vocations. Aujourd’hui, malgré leurs âges souvent avancés, courageusement, un peu plus d’une douzaine de moines mènent encore la vie monastique à Saint-Paul. Parmi eux, certains proviennent d’autres communautés et ont été envoyés en renfort. Néanmoins, il était devenu clair pour tous qu’il n’y avait plus d’avenir pour la communauté. Le nombre des moines de Fontgombault dépasse aujourd’hui les soixante-dix. L’appel des Souverains Pontifes à la nouvelle évangélisation ne nous incite-t-il pas à quitter une maison aimée pour partir au loin, répondre à l’appel de nos frères et éviter ainsi la disparition d’une présence monastique ? Je dois vous dire que Mgr Jaeger, évêque d’Arras, diocèse qui vient de perdre deux communautés religieuses, se réjouit de cette perspective.

 

Il ne s’agit donc pas d’une fondation ?

Cela dépend de ce que l’on entend par fondation. Si fondation veut dire instauration dans un lieu de la vie monastique par la construction d’un monastère et l’apport de la tradition monastique, alors non. À Wisques, il y a un monastère. La tradition monastique solesmienne s’y est développée depuis 1889, avec des périodes d’absence cependant, dues aux expulsions des moines à l’étranger. Vue de Fontgombault, la reprise de l’abbaye Saint-Paul ressemble à une fondation dans la mesure où des moines quitteront en groupe leur monastère pour aller s’établir en un autre lieu et y pratiquer leurs observances.

 

Comment va se réaliser votre installation, notamment en ce qui concerne l’insertion des membres de la communauté déjà présente ?

Compte tenu de la différence d’observance entre les deux communautés, le père abbé de Solesmes, président de notre congrégation, a laissé aux moines de Wisques la possibilité de demeurer dans le monastère de leur profession ou de gagner un autre monastère de la congrégation. Six moines ont choisi de rester. Notre devoir est de leur faciliter ce choix. Si aujourd’hui nous pouvons venir à Saint-Paul de Wisques, c’est parce que les moines de cette abbaye ont tenu dans les épreuves que la communauté a traversées. Saint Benoît prévoit d’ailleurs dans sa Règle des dispenses à l’observance commune. Tous cependant auront à œuvrer en vue de promouvoir la vie de la communauté par la pratique de la charité et des vertus enseignées par saint Benoît, notamment le bon zèle. Ils favoriseront aussi l’unité, la grâce des grâces. Moines actuellement à Wisques et moines de Fontgombault mettront en pratique ces lignes du Père des moines d’Occident :

« Ils s’honoreront mutuellement avec prévenance ; ils supporteront avec une très grande patience les infirmités d’autrui, tant physiques que morales ; ils s’obéiront à l’envi ; nul ne recherchera ce qu’il juge utile pour soi, mais bien plutôt ce qui l’est pour autrui ; ils s’accorderont une chaste charité fraternelle ; ils craindront Dieu avec amour ; ils aimeront leur abbé avec une charité sincère et humble ; ils ne préféreront absolument rien au Christ ; qu’Il nous amène tous ensemble à la vie éternelle. » (Saint Benoît, Règle, chap. 72)

C’est le plus beau témoignage que nous puissions donner au monde.

 

Assurerez-vous également l’aumônerie de la communauté de moniales également présente à Wisques ?

Les constitutions de notre congrégation de Solesmes prévoient explicitement ce service auprès des moniales de notre ordre. À Wisques, les moniales sont à l’origine de l’implantation de la vie monastique. En 1889, les fondatrices de l’abbaye Notre-Dame, venues de l’abbaye Sainte-Cécile de Solesmes, ont naturellement demandé à dom Delatte, alors abbé de Saint-Pierre de Solesmes, de leur donner quelques moines comme chapelains. Ceux-ci formèrent le premier noyau monastique qui devait donner naissance au monastère Saint-Paul. Il fut érigé en 1894 en prieuré simple. Nous assurerons donc ce service auprès de nos sœurs moniales et elles-mêmes nous le rendront bien par la maternité spirituelle qu’elles exerceront sur le monastère.

 

Au sein de la congrégation de Solesmes, Fontgombault et ses filles suivent des observances spécifiques, célèbrent également la messe dans l’usus antiquior ainsi que le bréviaire monastique traditionnel. Ces spécificités seront-elles conservées ?

C’est une condition de la reprise de l’abbaye Saint-Paul. L’observance, tant monastique que liturgique, sera celle de Fontgombault. Néanmoins pour nos sœurs moniales, qui usent de la forme ordinaire du rite romain, les moines de Saint-Paul célébreront selon cette forme.

En ce domaine, lieu de grandes souffrances et de bien des déchirements, deux mots-clefs me paraissent essentiels en vue d’une authentique paix liturgique, en vue surtout du bien des prêtres et des fidèles et de la promotion de la liturgie : servir et éduquer.

Le prêtre est ministre du Christ et de son Corps mystique qui est l’Église. Il a donc le devoir dans son ministère d’accomplir ce que veut l’Église. C’est l’assurance pour lui de demeurer dans la vérité et la liberté, de fuir l’esprit propre et d’user au mieux du pouvoir que lui a conféré l’évêque au jour de son ordination et dont il aura à rendre compte au jour de sa mort. Par le respect des normes liturgiques en vigueur lors de la célébration de la messe pour une communauté quelle qu’elle soit, le prêtre est serviteur de l’Église et de cette communauté. Afin d’être en mesure d’accomplir au mieux ce service, la capacité de célébrer dans les deux formes de l’unique rite romain est souhaitable. Ce fait n’exclut pas que le prêtre doive être aussi éducateur. Éduquer, c’est conduire en dehors (ex-ducere). Les différences qui existent entre les deux missels peuvent conduire à une é-ducation afin de promouvoir un enrichissement mutuel désiré par le Saint-Père. Reconnaître les richesses de l’une ou l’autre forme, reconnaître aussi ses pauvretés, c’est assurer le progrès de la liturgie vers une adoration toujours plus parfaite de Dieu. En cela les fils de saint Benoît doivent être exemplaires.

 

L’abbaye de Wisques a été fondée sous l’abbatiat de dom Delatte, mais a aussi connu un abbé, dom Savaton, auteur d’un livre, bien connu, sur les Valeurs fondamentales du monachisme. Comptez-vous continuer la voie ouverte par cet héritage ?

La Providence, avant la naissance de ce projet, avait déjà ménagé des contacts entre Wisques et Fontgombault. Dom Augustin Savaton, abbé de Saint-Paul de Wisques de 1928 à 1960, avait été auparavant maître des novices à l’abbaye Saint-Pierre de Solesmes. Parmi ses novices se trouvait dom Édouard Roux, qui devait devenir le premier abbé de Fontgombault. Un lien profond unissait les deux hommes. Dom Roux écrivait à propos de son père maître : « Pour moi, depuis le 14 octobre 1919 où, par une soirée brumeuse d’Angleterre, il me reçut comme un père, je peux dire n’avoir jamais cessé de le regarder comme tel. Je n’oublierai jamais qu’après Dieu, c’est à lui que je dois cette vie monastique qui fait mon bonheur ici-bas, en attendant celui de l’éternité. »

Nommé premier supérieur de la maison de Fontgombault en 1948, il disait encore avant de quitter Solesmes : « Je n’ai pas de programme : c’est le conseil que m’a donné dom Savaton – ou plutôt, comme seul programme : la volonté de Dieu : que Fontgombault devienne un autre Solesmes tel que l’ont voulu dom Guéranger et dom Delatte, où l’on loue, où l’on regarde, où l’on aime Dieu à fond… ». Aujourd’hui, cet unique programme est toujours d’actualité.

Matériellement, aurez-vous besoin d’aide ?

Les travaux seront moins lourds que si le monastère avait dû sortir de terre. Des remises en état devront pourtant être menées sans tarder dans la maison, des ateliers devront être développés et pourvus pour les jeunes moines qui vont arriver. Enfin à plus long terme, si le Seigneur envoie des vocations, il faudra songer à achever la construction du monastère dont le cloître n’a que deux côtés et qui de plus est dépourvu d’église abbatiale. Mais tout cela nous mène bien loin. Il est un secours urgent dont nous avons besoin dès maintenant : que ceux qui se réjouissent de voir la vie monastique perdurer en Audomarois, nous aident de leur prière auprès du Seigneur et de sa Mère, car « si le Seigneur ne construit la maison, c’est en vain que travaillent les ouvriers ».

Abbaye Notre-Dame de Fontgombault, 36220 Fontgombault.

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