Alors que l’intelligence artificielle s’immisce dans tous les domaines de la vie quotidienne, Jean Pouly, expert du numérique et des transitions, alerte sur les dangers d’une génération livrée aux algorithmes sans accompagnement et invite à reprendre la main sur nos usages numériques. Entretien avec Jean Pouly, auteur de Transmettre et éduquer à l’heure de Chat-GPT (Artège).
| L’Albanie vient de nommer une intelligence artificielle… ministre, signant ainsi de manière évidente la soumission de l’homme à la machine. Comment avez-vous réagi à cette nouvelle ?
J’en ai entendu parler et cela m’a d’abord fait rire. Il s’agit plus d’un gadget que d’une tendance de fond, mais j’y vois un signe plus profond : le pouvoir algorithmique des intelligences artificielles (IA), sans faire de bruit, commence à prendre de plus en plus de décisions à notre place. L’État-providence délègue de plus en plus aux grandes plateformes sous influence de la pensée cyber-libertarienne. C’est vrai dans de nombreux domaines : l’économie, la finance, l’armée, Parcoursup, les assurances… Si l’on n’y prend pas garde, c’est une révolution qui ne dit pas son nom qui se met en place.
« L’homme est un être relationnel et décisionnel. Et le numérique, nous l’avons dit, vient nous concurrencer dans ces deux dimensions. »
| Dans quelle mesure sommes-nous tous soumis à l’intelligence artificielle dans notre quotidien ?
L’intelligence artificielle, ce sont de petits programmes qui exploitent d’énormes données. Sa fonction est d’uiliser ces données pour créer de la valeur, ce qui est neutre en soi. Aujourd’hui, l’IA est partout : sur Google, Amazon, Waze, LinkedIn… Toutes les dimensions de notre vie sont touchées : le travail, les transports, l’administratif, la vie amicale, affective, jusqu’à la vie intérieure… L’IA interfère dans nos relations, avec les réseaux sociaux ou les sites de rencontres, et sur nos décisions, par exemple avec les GPS qui nous dictent notre chemin, sans même que nous nous en rendions compte.
| Quels sont les risques de cette soumission, à l’échelle individuelle et à l’échelle collective ?
Je dirais qu’il n’y a pas de risque au quotidien, au sens où l’IA n’a pas d’intention maligne ; au contraire, elle nous facilite la vie. Cependant, plusieurs questions se posent. D’abord, celle de comprendre ces intelligences artificielles : on ne sait pas qui prend la décision, où sont les données, ce qu’elles produisent, alors que ce sont parfois des données personnelles. C’est l’opacité qui pose un…






