> Enquête Quas Primas
Dans une époque qui fait de l’autodétermination absolue son idéal, la royauté, surtout celle du Christ, est incomprise et rejetée. Pourtant, en rappelant l’existence d’un ordre naturel orienté vers le bien commun, elle offre une réponse rationnelle et politique au désordre moral et sociétal de la modernité.
L’époque historique dans laquelle nous vivons comprend difficilement la royauté ; elle la rejette même généralement. A fortiori, elle rejette celle de Jésus-Christ.
Elle comprend difficilement la royauté parce que la modernité (caractéristique essentielle de l’époque historique contemporaine) a fait sienne une conception de la liberté comme « liberté négative ». La liberté moderne est dite négative non seulement selon un jugement de valeur, mais surtout, et d’abord, en tant que qualification théorique.
En d’autres termes, la liberté doit être considérée comme négative parce qu’elle revendique, positivement, le droit à l’absolue autodétermination de la volonté de l’individu et des identités « politiques » (lesquelles – identités – ne sont pas les peuples).
La « liberté négative » postule donc, logiquement (même si c’est de façon absurde), le refus de toute subordination qui ne serait pas la conséquence d’une décision individuelle : un individu ou une identité peuvent même se faire esclaves, mais l’esclavage doit être choisi, non imposé.
Cela implique nécessairement, sur le plan des régimes politiques, que la seule forme de gouvernement soit la démocratie entendue au sens moderne : non pas comme le gouvernement du plus grand nombre orienté vers le bien commun, mais comme un gouvernement légitimé uniquement par la volonté des sujets en vue d’atteindre n’importe quelle fin. En d’autres termes, nul ne posséderait la potestas (c’est-à-dire le pouvoir légitimé par l’ordre naturel des « choses »), puisque chacun aurait (ou devrait voir reconnu) le pouvoir de faire ce qu’il veut.
Conduire la communauté vers le bien
La royauté est le contraire de la démocratie moderne. Et même lorsque cette dernière accepte un roi, elle le réduit au rôle de garant passif des décisions de ses sujets et d’exécutant de la volonté (improprement) dite populaire. En effet, les monarchies modernes ne sont pas de véritables monarchies. La monarchie exige l’exercice de la potestas politique comme élément essentiel. Gouverner signifie conduire la communauté vers l’accomplissement de sa fin naturelle, c’est-à-dire de ce qui est inscrit dans sa nature.
La royauté requiert donc l’existence d’un ordre naturel (qui est « donné » et qui n’est pas « construit »), la connaissance de cet ordre (condition de l’exercice légitime de toute potestas : de celle du pater familias à celle du chef politique), et son application, puisqu’il est le critère propre de l’autorité et de ses décisions.
Si l’ordre naturel n’existait pas, sa connaissance et son application deviendraient évidemment impossibles. Tout deviendrait arbitraire : la patria potestas comme l’exercice du pouvoir politique se justifieraient exclusivement par la force, laquelle perdrait alors sa qualification morale propre pour devenir un pouvoir purement brut et violent.
Ces remarques indiquent dans quelle direction il faut chercher les racines de la haine contre la royauté, en particulier contre la royauté sociale et politique de Jésus-Christ.
Gnose et laïcisme
La gnose en est la cause théorique, et le laïcisme – en particulier celui du libéralisme – en est la conséquence politique. En d’autres termes, le rationalisme qui prétend être la source de l’éthique et du droit (et, plus généralement la source de la vérité, y compris celle considérée comme telle parce que partagée) est l’acte de naissance de toute doctrine visant à construire un « nouvel ordre », à identifier morale et coutume, à remplacer l’ordre naturel par l’ordre public « créé » par le détenteur du pouvoir du moment.
Dans un tel contexte, tout est « liquide », pour reprendre un terme que Zygmunt Bauman réserve à la sociologie, mais que nous pouvons utiliser pour comprendre et définir la société contemporaine (notamment occidentale), anarcho-totalitaire, marquée par l’obscurcissement de la morale, l’éclipse du bien commun, le scepticisme nihiliste très répandu et partagé, en dernière analyse, même par ceux qui – souvent seulement verbalement – s’y opposent.
Les doctrines politiques gnostiques ne considèrent pas les problèmes qu’elles soulèvent elles-mêmes ni les apories auxquelles elles se heurtent. Les « choix partagés », par exemple, n’offrent pas les raisons de leur fondement ni de leur légitimation. La convergence des opinions n’est pas, en soi, un argument ; elle est généralement un fait sociologique : le processus dont elle résulte garantit une participation politique active, mais ne garantit pas la validité des arguments avancés.
Plus encore : le dissentiment est ignoré ; pire, il est sanctionné. Le dissident se voit imposer le respect de décisions qui ne sont pas les siennes, voire qu’il rejette. Aux mineurs et, plus largement, à ceux qui ne peuvent participer au débat (même par représentants), on impose le respect de normes qui, en fin de compte, ont été décidées et adoptées arbitrairement par d’autres.
Sur leur volonté – et parfois contre elle – prévaut la volonté d’autrui. Même la démocratie délibérative – celle de Jürgen Habermas, par exemple – n’échappe pas aux contradictions de la démocratie moderne, contradictions qu’on a tenté de résoudre – Rousseau en est un exemple – par des fictions.
Se référer à la nature
Afin de parvenir à de véritables conclusions communes, il est indispensable de se référer à la réalité ontique des « choses ». En politique, il faut se référer à la nature et à la fin de la communauté, qui partage la même fin que l’homme. Aristote l’avait déjà souligné (cf. Éthique à Nicomaque). En d’autres termes, il est indispensable de se référer à l’ordre naturel, qui est un « donné » observable et connaissable par tout être humain doué de raison.
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La royauté ne découle donc pas d’abord d’une foi religieuse. Elle est d’abord une conquête de la raison. Et puisque la Révélation chrétienne n’est pas seulement la confirmation des conquêtes de la raison (entendue comme capacité contemplative de l’homme), mais son perfectionnement, la royauté sociale et politique de Jésus-Christ est la seule voie pour instaurer l’ordre politique et juridique exigé par la nature de la communauté politique, et bénéfique pour tout être humain, y compris pour l’athée.
Assurément, la royauté – la royauté tout court, mais aussi la royauté du Christ – retire à l’homme le pouvoir de décider ce qui est bien et ce qui est mal en soi, le pouvoir d’absolue autodétermination de sa volonté (dans laquelle, selon Hegel par exemple, résiderait la liberté pure), le pouvoir de modifier à son gré les lois de l’univers. Mais l’homme y gagnerait l’affirmation d’un ordre qui l’aide à être lui-même.
Il ne s’agit pas, comme on le dit parfois de manière erronée, d’une violation de sa conscience. L’ordre aide en réalité à former une conscience droite (c’est l’une des fonctions de l’ordre juridique positif). La royauté aide l’homme à être libre selon la liberté responsable, exercée à chaque fois dans des choix concrets.
La royauté sociale et politique de Jésus-Christ est donc une nécessité pour l’homme et pour les États, pour l’homme et pour les États de toute époque et de toute région. Elle est à la fois fondement et chemin pour atteindre le bien commun, qui est le bien de tout homme en tant qu’homme, et donc bien commun à tous les hommes.
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