Au quotidien n°316 : Michèle Tribalat dénonce les inexactitudes sur l’immigration

Publié le 11 Jan 2022
Au quotidien n°316 : Michèle Tribalat dénonce les inexactitudes sur l’immigration L'Homme Nouveau

La démographe et chercheuse à l’Institut national d’études démographiques (INED), Michèle Tribalat publie aux éditions L’Artilleur un nouvel ouvrage consacré à l’immigration : Immigration, idéologies et souci de la vérité. Le Figaro-Vox (10 janvier 2022) en a selectionné des extraits.

Le but principal des argumentations chiffrées développées sur le thème de l’immigration et visant à la minorer, la relativiser, est de contredire les perceptions communes qui tiendraient à une propagande politique de la droite plutôt extrême ou, tout au moins, telles que l’élite du bon goût se les représente, et quelquefois les fabrique pour pouvoir les démonter. Il faut absolument que ces perceptions, outre qu’elles manquent de goût, soient erronées.

Mon but ici n’est pas de dire que les gens ordinaires perçoivent la réalité telle que la décriraient des statistiques bien faites – tout un chacun peut se tromper en la matière – mais de montrer que ce n’est pas tant l’exactitude de ces perceptions qui préoccupe ceux qui s’en offensent que leur dissonance avec l’idéologie dominante du milieu dans lequel ils évoluent.

L’évolution du nombre moyen annuel d’entrées nettes d’immigrés extraeuropéens en France métropolitaine, sur les périodes intercensitaires de 1962 à 1999 et jusqu’en 2017, ne confirme pas l’affirmation selon laquelle la France accueillerait aujourd’hui moins de ces immigrés que dans les années 1970. Si ce nombre a été multiplié par trois de 1962-1968 à 1968-1975, il est resté inférieur à celui observé dans les années 2000 et après. Il n’a cessé de baisser après 1975, jusqu’à la fin du siècle. Cette baisse, conjuguée au repli de l’immigration européenne, explique pourquoi la population immigrée a si peu augmenté sur le dernier quart du siècle. Au contraire, en début de XXIe siècle, la reprise de l’immigration extraeuropéenne s’est conjuguée à une reprise, même modeste, de l’immigration européenne. C’est pourquoi la proportion d’immigrés, qui avait stagné autour de 7,4 % entre 1975 et 1999, a recommencé d’augmenter ensuite. Elle est de 10,2 % en 2020.

(…)

Le scientifique qui travaille en harmonie avec l’esprit du temps peut compter sur un écosystème composé de collègues et de comités de lecture qui partagent ce qu’il faut bien appeler ses opinions et ses engagements. Et si ceux-ci ne les partagent pas, ils sont incités à le garder pour eux, sauf à se voir disqualifiés eux-mêmes. C’est d’ailleurs peut-être sur ces opinions que certains ont accédé aux positions qu’ils occupent. Ce n’est donc pas simplement sur les qualités scientifiques qu’un travail est jugé mais aussi, et parfois exclusivement, sur sa conformité avec l’idéologie dominante de l’environnement professionnel.

Celui qui veut encore exercer son métier de chercheur en laissant ses opinions et celles de ses collègues au vestiaire a donc intérêt à travailler sur des thèmes peu mobilisateurs ou à se faire discret. Pour chercher heureux, cherchons cachés! (…) À l’avenir, si rien n’est fait pour valoriser le pluralisme, l’uniformité de points de vue dans les milieux académiques devrait s’accroître, au-delà de l’effet d’intimidation, lorsque arriveront ceux qui auront subi «plein pot» une forme d’endoctrinement lors de leur formation scolaire et universitaire.

On ne voit pas bien comment (re)venir à un univers académique où le militantisme aurait été suffisamment affaibli pour que le débat s’y déroule selon des critères scientifiques, sans passer par un plus grand pluralisme des opinions en son sein. C’est particulièrement vrai sur le sujet de l’immigration. Si les opinions exprimées sur un même objet d’études étaient plus diversifiées dans la sphère académique, on pourrait espérer que les aspects scientifiques retrouvent leur primauté. Mais comment y parvenir? Détourner la notion de diversité si en vogue aujourd’hui pour l’appliquer aux opinions et aux affiliations politiques?

Il ne s’agit pas là d’une question anodine dans la mesure où un débat démocratique sain repose sur la confiance. Comment les citoyens ordinaires pourraient-ils distinguer la vérité du mensonge si ceux dont c’est le métier de produire des informations rusent avec les faits qu’ils étudient dans le but de réformer l’opinion publique? Comment espérer alors faire reculer les théories du complot?

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