« Jérusalem est bâtie comme une ville où tout se tient ensemble. Là en effet montent les tribus, les tribus du Seigneur, pour louer ton nom, Seigneur » (Psaume 121, 3, 4)
Commentaire spirituel
Le texte de cette très belle communion est tiré du psaume 121 (122 selon la tradition hébraïque). Le compositeur qui cite les versets 3 et 4 de ce psaume des montées, que l’on chantait en se rendant en pèlerinage vers la ville sainte, termine simplement la pièce en passant au style direct et en s’adressant au Seigneur. Il a également omis les mots testimónium Israel, traduits diversement par :« un ordre pour Israël », ou « une raison pour Israël ».
Ce texte est tout à la louange émerveillée de la ville sainte, lieu de pèlerinage annuel pour les Juifs pieux. Tous les membres du peuple de Dieu étaient invités à se mettre en route vers la ville de David. Jérusalem, située sur une montagne, était visible de loin, le pèlerinage était une ascension qui signifiait l’ascension spirituelle du croyant vers son Dieu. Le psalmiste chante la beauté de cette ville aimée de Dieu. L’harmonie a présidé à sa construction. Il en résulte une unité qui charme les yeux. Le thème de l’épouse n’est pas loin. L’apocalypse unira ces deux thèmes de la cité et de l’épouse pour les appliquer à l’Église du Christ. « Et je vis la Cité sainte, la Jérusalem nouvelle, qui descendait du ciel, de chez Dieu ; elle s’est faite belle, comme une jeune mariée parée pour son époux ». (Apocalypse, 21, 2)
Pour nous chrétiens, il s’agit vraiment d’admirer l’Église, notre Mère, édifiée par Dieu sur les sommets de l’humanité. Jérusalem, c’est l’Église, composée de pierres vivantes, c’est la sainteté vers laquelle nous nous efforçons tous de tendre. Toute notre vie est un pèlerinage, une montée vers cette vision de paix et d’harmonie qui descend du ciel plus qu’elle ne monte de la terre. Toute notre vie consiste à retrouver Dieu au sein de l’Église. On monte et Dieu descend. On voit l’Église de loin, elle resplendit dans nos âmes comme la cathédrale, là-bas, sur son plateau, qui lance vers le ciel sa « flèche irréprochable et qui ne peut faillir ». Celui qui ne trouve pas l’Église belle et sainte, « toute resplendissante, sans tache ni ride ni rien de tel, mais sainte et immaculée » (Ephésiens, 5, 27), celui-là ne regarde pas là où il faut. Celui pour qui l’Église n’est pas un refuge, une région où l’air est plus pur, celui-là ignore la joie des enfants de Dieu.
Au sein de cette Église, qui est également épouse et cité, on chante, on loue Dieu, la grandeur de son nom. L’Église n’existe que pour lui, que pour cela. Voilà pourquoi ce chant évoque en définitive la Jérusalem céleste. L’éternité doit nous réjouir et on doit soupirer après elle. Il y a donc à la fois dans ce chant la joie profonde d’un grand bonheur à venir et une certaine nostalgie de n’y être pas encore parvenu. Et cette nostalgie est si bien exprimée par le 4ème mode qui donne à cette pièce une dimension mystique très belle et très touchante.
J’ajoute une dernière remarque. Quand on parle de Jérusalem, on parle aussi de toute âme unie à son Dieu. Toute âme est épouse, toute âme est un petit monde et une petite cité que Dieu vient unifier. Et parmi toutes les âmes, on ne peut pas ne pas penser à celle qui est la gloire de Jérusalem, c’est-à-dire Marie. Jérusalem, l’Église, l’âme sainte, Marie, c’est au fond la même réalité de l’épouse de Dieu qui reçoit son amour et y répond par la dilatation de la louange et du chant. Le compositeur a été bien inspiré en s’adressant au Seigneur, c’est-à-dire en donnant à ce texte une intimité que la mélodie va encore renforcer, comme on va le voir.
Commentaire musical
« Un 4ème mode, à fond, dit dom Gajard, Admirable ! » Cette communion composée de deux longues phrases mélodiques est très contemplative. L’intonation est magnifique, toute douce et mystérieuse, très intérieure. Un grand legato doit envelopper d’emblée ce premier mot Jerusalem, objet de l’amour du choriste. Il s’agit d’un nom hébreu, et c’est peut-être la raison pour laquelle sa finale est développée, de façon merveilleuse, d’ailleurs, en élargissant la montée vers la note la plus aiguë, puis en redescendant doucement sur la cadence en Mi si mystérieuse. Puis le tempo prend de la légèreté sur quæ ædificátur, dont la mélodie est très sobre, autour du Fa. La finale de ce dernier mot ædificátur ne doit pas être précipitée, au contraire, et l’accent sera bien soulevé et élargi. L’ambitus très restreint de la mélodie sur tout ce membre de phrase nécessite une voix douce et chaude, et met en contraste, dans la douceur toujours, l’élévation déjà mentionnée de cette finale de Jerusalem. La cadence de cívitas est si belle, si contemplative, avec son « je ne sais quoi de mystérieux, d’infini, d’inachevé, qui prolonge la vision heureuse » comme le souligne très bien dom Baron. Le deuxième membre commence de la même manière, mais sur le long mot participátio on doit faire sentir nettement un courant d’accentuation qui se traduit par un crescendo vers l’accent, puis un grand élargissement sur l’accent lui-même et sur le reste de la phrase, avec ces merveilleux accents au levé, très expressifs, très enveloppés, de ejus et idípsum. La retombée doit être prise dans un tempo très large, mais en gardant toutefois bien l’unité des mots.
Avec le début de la deuxième phrase, l’atmosphère, toujours mystérieuse, prend une autre dimension. Il faut exprimer une distinction assez nette avec ce qui a précédé. C’est l’élan très joyeux, le jaillissement, pressenti par le Do déjà atteint de ejus, mais qui se concrétise ici sur enim, fort, chaud, puis sur ascendérunt, sommet de toute la pièce. Sur les deux tribus, il faut de la chaleur et de la retenue, à cause des intervalles importants qui nous ramènent à l’atmosphère douce et pénétrante, contemplative de ejus in idipsum dans la première phrase. Dómini aussi doit être très large, très enveloppé, plein de complaisance et de chaleur. C’est tout l’amour de l’Église qui se dit là. La tristropha de ad, plus grave que les deux précédentes (celle de enim et celle de tribus), n’a pas du tout le même caractère d’élan, elle amorce au contraire un retour à la douceur contemplative du début. Mais il faut quand même la mener en crescendo, car on va vers l’accent de confiténdum. Bien soulever l’accent de nómini, puis marquer celui, très complaisant également de tuo. Ce mot là, bien développé, doit être pris dans un tempo très large. La finale doit être retenue, dans un admirable legato. Enfin l’accent de Dómine, au levé, prévient la cadence finale, large, douce, contemplative du 4ème mode. Un élargissement progressif des dernières notes permet de poser cette pièce de façon fervente et délicate.