La pause liturgie | Offertoire Sanctificavit (24ème dimanche ordinaire, 18ème dimanche après la Pentecôte)

Publié le 10 Sep 2022
La pause liturgie | Offertoire Sanctificavit (24ème dimanche ordinaire

Moïse consacra un autel au Seigneur ; il y offrit des sacrifices et y immola des victimes. Il présenta le sacrifice du soir en un parfum d’agréable odeur pour le Seigneur Dieu, en présence des fils d’Israël.
(Exode, 24, 4, 5)

Thème spirituel

C’est la deuxième fois, dans la liturgie dominicale, qu’un chant d’offertoire fait intervenir Moïse, le médiateur de l’ancienne alliance, figure annonciatrice du Christ. L’offertoire Precátus est nous a présenté magnifiquement la prière d’intercession de Moïse, souverainement efficace, dans un contexte dramatique, celui de la rupture de l’alliance, contractée sur le mont Sinaï, et profanée simultanément dans la plaine du désert avec l’adoration du veau d’or. Ici, la référence biblique est la même, semble-t-il, car le texte de notre offertoire n’est pas une citation explicite ; mais il s’agit du prélude à la montée sur le Mont Sinaï. Moïse exerce là une fonction sacerdotale : il bâtit un autel et il offre à Dieu des sacrifices avant de le rejoindre sur la montagne. Ce texte est comme un résumé des préparatifs au don de l’alliance.

« Moïse mit par écrit toutes les paroles de Yahvé puis, se levant de bon matin, il bâtit un autel au bas de la montagne, et douze stèles pour les douze tribus d’Israël. Puis il envoya de jeunes Israélites offrir des holocaustes et immoler à Yahvé de jeunes taureaux en sacrifice de communion. Moïse prit la moitié du sang et la mit dans des bassins, et l’autre moitié du sang, il la répandit sur l’autel. Il prit le livre de l’Alliance et il en fit la lecture au peuple qui déclara : Tout ce que Yahvé a dit, nous le ferons et nous y obéirons. Moïse, ayant pris le sang, le répandit sur le peuple et dit : Ceci est le sang de l’Alliance que Yahvé a conclue avec vous moyennant toutes ces clauses. Moïse monta, ainsi qu’Aaron, Nadab, Abihu et 70 des anciens d’Israël. Ils virent le Dieu d’Israël. Sous ses pieds il y avait comme un pavement de saphir, aussi pur que le ciel même. Il ne porta pas la main sur les notables des Israélites. Ils contemplèrent Dieu puis ils mangèrent et burent. Yahvé dit à Moïse : Monte vers moi sur la montagne et demeure là, que je te donne les tables de pierre la loi et le commandement que j’ai écrites pour leur instruction. Moïse se leva, ainsi que Josué son serviteur, et ils montèrent à la montagne de Dieu. Il dit aux anciens : Attendez-nous ici jusqu’à notre retour ; vous avez avec vous Aaron et Hur, que celui qui a une affaire à régler s’adresse à eux. Puis Moïse monta sur la montagne. La nuée couvrit la montagne. La gloire de Yahvé s’établit sur le mont Sinaï, et la nuée le couvrit pendant six jours. Le septième jour, Yahvé appela Moïse du milieu de la nuée. L’aspect de la gloire de Yahvé était aux yeux des Israélites celui d’une flamme dévorante au sommet de la montagne. Moïse entra dans la nuée et monta sur la montagne. Et Moïse demeura sur la montagne 40 jours et 40 nuits. »

Remarquons que ce texte fondateur et en même temps annonciateur de la nouvelle et définitive alliance, ne mentionne pas, comme celui de notre offertoire, le sacrifice du soir. Il faut faire appel à un autre texte de l’Exode (29, 36-41) tout aussi évocateur de ce que le Christ réaliserait en sa personne, durant sa passion :

« Tu offriras pour l’autel un sacrifice pour le péché, quand tu fais pour lui l’expiation, et tu l’oindras pour le consacrer. Pendant sept jours tu feras l’expiation pour l’autel et tu le consacreras ; il sera alors éminemment saint et tout ce qui touchera l’autel sera saint. Voici ce que tu offriras sur l’autel : deux agneaux mâles d’un an, chaque jour, à perpétuité. Tu offriras l’un de ces agneaux le matin et l’autre au crépuscule ; avec le premier agneau, un dixième de mesure de leur fleur de farine pétrie avec un quart de setier d’huile d’olives broyées et une libation d’un quart de setier de vin. Le second agneau, tu l’offriras au crépuscule ; tu l’offriras avec une oblation et une libation semblables à celles du matin : en parfum d’apaisement, en offrande consumée pour Yahvé. »

Notre chant d’offertoire se présente donc comme une belle synthèse de la pratique religieuse juive, et le rôle de Moïse est mis en valeur, car c’est lui qui agit en tant que prêtre, devant le Seigneur et devant le peuple. Dom Baron remarque que ce chant trouve place tout naturellement dans la liturgie de consécration des autels. Il est également parfaitement approprié en ce moment liturgique de l’offertoire où la matière du sacrifice nouveau est présentée au Seigneur et déposée sur l’autel (1).

Commentaire musical

Sanctificavit partition

Nous sommes en présence d’un long offertoire, spectaculaire et un peu grandiose, moins peut-être que l’offertoire Precátus est, mais davantage que l’offertoire Orávi qui met en scène la prière de Daniel. Il s’agit ici d’un 5ème mode, bien lumineux, plein de grandeur et de noblesse, très expressif, et qui monte vers un sommet mélodique incontestable, au début de la troisième phrase, sur les mots et ímmolans víctimas, pour se maintenir ensuite dans les hauteurs et s’accrocher résolument sur la corde Do, dominante du 5ème mode. Reprenons en détail l’analyse de cette belle pièce.

L’intonation sanctificávit est calme, très impressionnante même, d’emblée, par son grand calme, sa belle noblesse. Les deux premiers mouvements ternaires, sur les deux premières syllabes, contribuent bien à donner cette impression de largeur, de profondeur. L’intonation forme une belle courbe, du Fa initial au Fa final, en culminant sur le Sib plein de douceur. La triple répétition de l’intervalle La-Sol confère aussi à ce premier mot un balancement mélodique très heureux. Il est bon de ne pas interrompre le flux mélodique et de joindre Móyses à sanctificávit, en faisant sentir, dès avant le quart de barre, sur le climacus final de l’intonation, et juste après le quart de barre, un crescendo qui prend de l’ampleur et de la vigueur sur la syllabe finale de Móyses. C’est la première fois qu’on atteint le Do, dominante du 5ème mode, qui est même dépassé puisque l’on touche le Ré, sommet de toute cette courte première phrase. Le mot altáre est également mis en lumière grâce à sa longue tenue sur le Do, et l’élargissement de la cadence, sur Dómino, conclut très heureusement ce premier mouvement.

La deuxième phrase est calme, elle aussi, et sans grande manifestation mélodique. Le départ, sur ófferens, est net et assez rapide et donne du mouvement à toute la suite. Il faut bien veiller au legato de ces formules sur ófferens super, puis faire des répercussions nettes sur illud qui doit être mené en crescendo et de façon vivante vers le mot important de cette deuxième phrase mélodique : holocáusta. Ce mot signifie une réalité forte, violente même, et pourtant la mélodie qui l’affecte est douce encore. La violence va arriver sur le membre de phrase suivant qui constitue le sommet de toute la pièce. La grande barre qui sépare les deuxième et troisième phrases ne doit pas être trop sentie, car c’est la même idée qui traverse et unifie ces deux membres. On gagnera d’ailleurs à illustrer cette jonction par un crescendo sur la finale de holocáusta. En tout cas, et ímmolans víctimas monte de façon très vigoureuse et très puissante vers la dominante Do du 5ème mode, puis se fixe sur les hauteurs et va culminer sur le Mi aigu de víctimas. Tout ce passage est très expressif, il faut le donner avec des voix fortes. « On sent passer, écrit dom Baron, dans ce mouvement splendide, le saint enthousiasme du peuple de Dieu, et sur ces mots si riches de sens où tout le présent demeure, il est d’une émouvante grandeur. » (2) La cadence de víctimas est ample, sonore, triomphante. C’est plutôt après elle qu’une grande barre, un bon silence, seraient bienvenus. Dom Gajard le recommande ainsi, à la différence de dom Baron. Car ensuite, après cette parenthèse qui nous a rendus presque contemporains du grand sacrifice, l’atmosphère redevient celle du début de la pièce, à la fois calme et noble. Certes, il y a encore de la vigueur tout au long du membre suivant, fecit sacrifícium vespertínum, mais le sommet est passé. Simplement, la mélodie demeure campée dans les hauteurs, autour de la dominante. C’est là la différence avec le début de la pièce. Sacrifícium s’achève comme víctimas, sur la même cadence accrochée au Do. Par contre, celle de vespertínum est descendue d’une tierce mineure (La) et on la retrouvera sur la finale de Deo. Tout au long de cette phrase, l’énergie, la force acquise sur le sommet, se détendent progressivement. On touche le Fa, alors qu’on ne descendait pas plus bas que le Sol sur tout le passage fecit sacrifícium vespertínum, et même le La sur et ímmolans víctimas. Enfin, avec la toute dernière phrase, la détente se fait complète, après un dernier élan, très beau d’ailleurs, très vibrant, sur in conspéctu. La mélodie se fixe sur le Fa, et de là, plonge en une très profonde et belle cadence en Ré, touchant même le Do grave, repris au début du dernier membre de phrase, sur filiórum qu’il ne faut pas presser malgré son passage syllabique. Il y a de l’élan mais absolument aucune précipitation, au contraire ! Une grande complaisance doit envelopper ces derniers neumes d’Israel, le peuple de Dieu qui est gratifié d’un tel privilège, celui de pouvoir accéder auprès de son Seigneur, au moyen des sacrifices prescrits par lui.

Donnons pour finir la parole à dom Baron : « L’évocation de cet acte si grave et si saint sur cette mélodie grandiose qui se plaît en des teneurs élevées aux tonalités imprécises, donne à cet offertoire quelque chose de grand, de sacré, qui en fait une chef-d’œuvre d’une incomparable beauté. En le chantant, nous nous sentons comme au-dessus de ce qui passe, dans la région où l’homme et Dieu s’unissent, et ce n’est plus le sacrifice de Moïse que nous évoquons, mais l’éternel sacrifice qui se renouvelle sur l’autel dans le geste du prêtre tendant vers Dieu l’hostie qui sera bientôt changée en la victime unique et totale que nous demandons nous aussi au Père d’accepter comme la nôtre, in odórem suavitátis. » (3)

1. Dom Baron, L’expression du chant grégorien, tome 2, pages 325-326.
2. Ibid., page 326.
3. Ibid., page 327.

Pour écouter cet offertoire : ici.

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