Divertissement, récréation, loisirs, détente, jeu… autant d’activités pour occuper le temps des vacances, se délasser du travail ou des obligations de la vie. Mais sont-elles toutes d’égale valeur ? Pour en juger, saint Thomas d’Aquin – avec d’autres – définit une vertu indispensable et pourtant méconnue, l’eutrapélie. Explications.
Divertissement pascalien
« La seule chose qui nous console de nos misères est le divertissement, et cependant c’est la plus grande de nos misères. » (1) On connaît l’importance accordée par Blaise Pascal au divertissement dans sa description de la misère de l’homme. La lucidité de l’analyse pascalienne se trouve malheureusement confortée, à quelques siècles de distance, par le spectacle édifiant de la société du divertissement. Que l’on ne s’y trompe pas cependant, le constat sévère de l’auteur des Pensées n’est pas une condamnation moralisatrice. Il laisse aux « demi-savants » (2) le loisir de se scandaliser. Quant à lui, ce sont plutôt les ambiguïtés du divertissement qui retiennent son attention, pour ce qu’elles révèlent de la condition humaine : « Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre. » (3) Il n’en demeure pas moins que l’idée d’un usage, non pas seulement nécessaire, mais également vertueux du jeu ou de la plaisanterie, semble à première vue parfaitement étrangère à l’approche pascalienne. Faudra-t-il donc, à Pascal, opposer saint Thomas ? Ce dernier, en effet, réserve dans sa morale une place, certes discrète, à la vertu du jeu, qu’Aristote appelait eutrapelia et qu’il traduit par jucunditas – nous dirions : enjouement, ou gaieté (4).
Eutrapélie thomiste
Le point de départ de la réflexion de l’Aquinate est la reconnaissance de la nécessité du jeu. Contrairement à celle du divertissement pascalien, elle ne découle pas du besoin de se distraire de la misère, mais du besoin de reposer l’âme : « De même, en effet, que l’on a besoin de se reposer des travaux corporels en s’arrêtant de temps en temps, de même aussi on a besoin de se reposer l’âme un moment de la tension de l’esprit avec laquelle on s’adonne aux choses sérieuses ; et c’est avec le jeu qu’on le fait. » (5) Or, « le repos de l’âme, c’est le plaisir. […] C’est pourquoi il faut remédier à la fatigue de l’âme en s’accordant quelque plaisir qui interrompe l’effort d’application de la raison. » (6) Le jeu est donc cette activité par laquelle on recherche le plaisir de l’âme (7), ayant…