La Croix : quand le scandale devient Salut

Publié le 14 Sep 2023
À l’heure où la laïcité, fût-elle positive, tend à faire disparaître la croix (elle serait un signe ostentatoire…) de l’espace public, la fête de l’Exaltation de la sainte Croix, ou Croix glorieuse, vient nous rappeler que la Rédemption ne peut passer que par elle.

 

Quand le scandale a du sens

Pour le chrétien, la Croix est tout un emblème : le symbole de sa Rédemption, l’instrument par lequel le Fils de Dieu, Jésus-Christ, offrit librement sa vie comme rançon du genre humain que le péché originel avait séparé de Dieu. Mais aux temps anciens, la Croix avait une toute autre signification : elle était le terrible outil de la justice romaine, le supplice le plus ignominieux réservé aux condamnés de la pire espèce.

Et c’est justement ce supplice que dut endurer Jésus, malgré son innocence. Alors l’impensable se produit : la croix, cet objet de scandale, devient l’instrument de la sagesse de Dieu… Et à travers elle, c’est toute souffrance qui cesse d’être un coup aveugle du destin pour devenir une clef, cette fameuse clef de la Maison de David que le Seigneur place sur l’épaule de son Grand-Prêtre dans la vision du prophète Isaïe (Is XXII, 22) ; clef ouvrant l’accès à de nouveaux horizons, souvent insoupçonnés, dans les contours de notre vie spirituelle.

Je suis la porte…

« Je suis la porte de la bergerie ; celui qui ne passe pas par moi est un voleur. » (Jn X, 1) Cet avertissement de Jésus s’applique aussi à la Croix, puisqu’elle est la clef nous ouvrant la porte de son Cœur.

Aussi vouloir profiter de la Rédemption sans Croix n’est guère possible ; et même le bon larron, duquel on dit qu’il a tout volé dans sa vie, jusqu’à son ciel, a dû y passer. « On ira tous au Paradis », chantait Polnareff, mais il oubliait d’ajouter la condition indispensable que Jésus nous a donnée pourtant : « celui qui veut venir après moi, qu’il se renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. » (Mt XVI, 24)

C’est là toute la difficulté du combat spirituel : oser ce pari fou d’accepter la Croix pour y trouver le bonheur. Notre rationalisme nous hurle la vanité d’un tel espoir, notre sensiblerie y répugne… Et pourtant quelque part, dans les profondeurs de notre âme, nous croyons entrevoir une vague lueur de foi mêlée d’un peu d’espérance : « Et si c’était vrai ? Et si c’était réellement par cette Croix que j’obtenais l’objet de mes désirs ? » C’est le pari de Constantin sur le pont Milvius, de
Clovis à Tolbiac et d’Héraclius contre Chosroès (cette dernière victoire permit le retour de la Vraie Croix, volée par les Perses, à Jérusalem; et c’est elle que nous commémorons aujourd’hui), le pari grâce auquel ont été écrites les plus belles pages de l’histoire de la christianisation du monde…

Tu me refuses, je t’écrase ; tu m’embrasses, je t’élève.

Le paradoxe de la Croix – on ne le comprend souvent que trop tard – se trouve dans son obstination à entrer dans notre vie. Personne n’échappe à sa Croix, pas même le Christ. Sa prière à Gethsémani allait pourtant dans ce sens : « Père, s’il est possible, que ce calice (ou cette Croix) s’éloigne de moi. » (Mt
XXVI, 39) Mais aussitôt sa volonté reprend la maîtrise de sa sensibilité épouvantée, et il s’empresse d’ajouter : « Cependant, non pas ma volonté mais la vôtre. »

Nous ne sommes pas plus forts que lui. Dans la plupart des situations, la Croix nous fait peur. Si ce n’est pas le cas, c’est souvent parce que nous n’avons pas bien estimé sa taille et son poids… Mais quoique nous y fassions, pas moyen d’y échapper : cette Croix sera la nôtre, et il ne peut y avoir devant elle que deux attitudes : la refuser ou l’embrasser.

Refuser sa Croix, c’est finalement l’attitude du jeune homme riche qui refuse de suivre le Christ, retenu captif par l’abondance de ses biens. Mais il ignore que cet appel qu’il ressentait à l’intime de son coeur ne le quittera jamais, comme un reproche lancinant adressé par sa conscience. Toute sa vie, il portera le poids de ce regret : « Si je le croisais à nouveau, pensera-t-il, combien ma réponse serait différente ! » Toute Croix, qu’elle soit physique comme une jambe qu’on se casse ou
morale comme enfant qui s’éloigne, est définitive ; celui qui la refuserait en subirait brutalement, frontalement, toute la douleur. Comme si cette Croix voulait à  toute force l’écraser pour le punir de l’avoir refusée. Le seul moyen de faire cesser sa Croix, c’est de la traverser, ou plutôt de s’en servir comme d’une passerelle pour nous rendre sur l’autre rive : cette nouvelle étape de notre vie spirituelle, à laquelle Dieu nous appelle. Et ce n’est que lorsque nous y sommes parvenus que cette Croix prend tout son sens : parce nous l’avons embrassée, elle nous a élevés…

« Et moi, disait Jésus à la foule des Juifs, quand je serai élevé de terre, j’attirerai tout à moi. » (Jn XII, 32) S’il nous appelle à le rejoindre, par la sainteté, c’est par la Croix qu’il nous en donne les moyens.

Et si cette fête de l’Exaltation de la Sainte Croix était justement l’occasion de cesser de voir nos Croix en noir, pour enfin comprendre, comme le montre Martin Steffens dans La Vie en bleu, qu’elles sont bleues, de cette couleur du Ciel vers lequel elles nous font monter ?

 

 

>> à lire également : Quel avenir pour la messe traditionnelle ? Entretien avec Jean-Pierre Maugendre

Chanoine Baudoin Chaptal +

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