Historien, Olivier Hanne consacre son dernier livre, paru aux Éditions de L’Homme Nouveau, à revisiter l’Histoire de l’Église pour la confronter aux accusations qu’elle subit périodiquement. Œuvre très personnelle, Le Génie historique du catholicisme surprendra par la ligne de crête qu’il essaie de tenir. Entretien avec l’auteur.
Vous venez de publier Le Génie historique du catholicisme, pourquoi ce livre ?
Olivier Hanne: J’ai donné des cours d’histoire de l’Église pendant dix ans dans des séminaires, des sanctuaires et des instituts catholiques. Et j’ai toujours été surpris par l’ignorance sur les grandeurs apportées par l’Église dans la civilisation européenne. Il semblait souvent pour les gens que le catholicisme avant le XXe siècle n’était qu’une forme de totalitarisme sournois. On négligeait tous ses apports pour la pensée, l’équilibre des pouvoirs, la place de la personne, des femmes, etc.
Quels sont les grands thèmes abordés dans votre livre ?
J’aborde cinq thèmes qui ont tous, de près ou de loin, rapport avec la contrainte qu’a – ou qu’aurait – exercé l’Église par le passé. Le premier chapitre aborde donc la violence physique et militaire au service de l’Église, et notamment la question des croisades et des guerres de religion. Le second s’intéresse à la violence intellectuelle que le clergé aurait exercée contre les savants et toute forme de rationalité, au profit du dogmatisme et de la manipulation doctrinale. La troisième partie aborde l’intolérance catholique à l’égard des autres religions ou des groupes minoritaires, avec la question inévitable de l’Inquisition. La quatrième partie traite du caractère antidémocratique de l’Église, à la fois dans son organisation interne et dans sa préférence pour les régimes monarchiques ou autoritaires. Enfin, le cinquième point traite de son mépris pour les libertés individuelles, qu’il s’agisse des femmes, de la sexualité et, plus généralement, de sa conception de la personne humaine, que l’on juge souvent obscurantiste.
Avez-vous écrit ce livre parce que vous êtes croyant ?
Je n’ai pas écrit ce livre parce que je suis croyant. Je l’ai écrit pour rétablir un certain équilibre dans le récit qui est fait de l’Histoire de l’Église, non pas d’abord dans les universités, parce que l’on trouve dans les ouvrages scientifiques toute une série de nuances, mais dans le vocabulaire médiatique, dans lequel on trouve rarement d’équilibre argumentatif à ce sujet. Ce n’est donc pas une défense de l’Église, c’est une argumentation équilibrée sur l’Histoire de l’Église.
Ni polémique ni apologie, la démarche de votre livre se veut autre. Est-ce à dire que l’apologie et la polémique sont deux écueils pour la pensée ?
Ce sont deux écueils et un même excès dans la réflexion : l’excès critique ou l’excès de conviction qui ne sait plus hiérarchiser les informations ni aborder une question sans distance personnelle. La théologie catholique, au contraire, a toujours traité le contenu des Écritures et de la doctrine avec une empathie spirituelle mais aussi une acuité rationnelle, double attitude parfaitement incarnée par saint Thomas d’Aquin, mais aussi par Jean-Paul II qui, pour le jubilé du nouveau millénaire, avait voulu que l’Église regarde son histoire avec lucidité, sans concession.
Comment définiriez-vous le « génie historique du catholicisme » ?
C’est cette capacité absolument extraordinaire et permanente qu’a eue l’Église de se remettre en question, d’avancer et de faire croître son acquis théologique, social et culturel et cette croissance ne s’est jamais interrompue malgré ce que l’on a pu dire. Il y a des avancées permanentes, et notamment, lorsqu’un contexte pose une question majeure à l’Église, celle-ci non seulement y répond, mais élargit toujours le débat bien au-delà, pour aller se poser des questions fondamentales que la société n’a pas voulu se poser.
Pouvez-vous donner un exemple concret dans l’Histoire de ce que vous appelez le génie du catholicisme ?
Ce génie est frappant dans le rapport à la personne et à la conscience. Dans l’analyse contemporaine, notamment celle de Heidegger, l’homme ne devient un sujet que dans la mesure où le monde est pour lui une image, une représentation que son esprit crée et reconnaît. Chez les moines du XIIe siècle, le monde était une création perceptible par l’intelligence, mais surtout par le corps, car le monde était macrocosme et l’homme microcosme. Une sympathie de nature les unissait, malgré leurs distinctions. Et c’est dans le constat de ces différences que l’homme se découvrait lui-même. La chair était un véhicule de connaissance du réel. Quant à Dieu, la foi et l’intelligence étaient les moyens privilégiés pour le connaître. Contrairement à la philosophie moderne, l’homme ne s’identifiait pas lui-même en faisant de Dieu une image extérieure, mais en reconnaissant en lui-même l’image intérieure de Dieu. La pensée catholique était unifiante et déifiante ! N’est-ce pas le reflet d’un génie historique ?
Pourquoi l’Église est-elle si fréquemment l’objet de polémiques ?
Je me permettrais de citer Jeanne d’Arc : « De Jésus-Christ et de l’Église, m’est avis que c’est tout un ». On attaque l’Église comme on le fait du Christ, mais avec plus de facilité toutefois, car l’Église a une incarnation de deux millénaires, elle est une « personne morale » unifiant des milliards de personnes physiques à travers l’histoire, dont elle assume les fautes. Chacun de nos péchés compromet donc la communauté entière aux yeux du monde. Mais ces polémiques sont bien le signe – rassurant d’une certaine manière – que l’Église complète la passion du Christ par son histoire et sa vie.
À qui s’adresse ce livre ?
Vraiment à tout amateur d’Histoire, et à tout chrétien qui veut comprendre le sens catholique de l’Histoire : comment l’Église a-t-elle incarné dans le temps les appels de la Providence ? C’est un ouvrage qui se veut un ouvrage de vulgarisation historique et argumentatif pour le grand public.
Vous avez écrit ce livre d’abord comme historien et non comme croyant, ainsi que vous nous l’avez déjà expliqué. Mais comme croyant, justement, que vous a apporté la rédaction de ce livre ? Ce travail a-t-il changé votre regard sur l’Église ?
La rédaction de ce livre a fait grandir en moi l’affection pour l’Église, mais aussi une certaine tristesse de la savoir si méconnue, si mal comprise, parfois par ses propres membres…
Y a-t-il un personnage de l’Histoire de l’Église, pontife, saint, etc., que vous ayez découvert ou redécouvert par votre travail et qui vous ait particulièrement marqué ?
J’ai fait ma thèse sur Innocent III, et je suis toujours frappé par la profondeur intellectuelle et spirituelle de ce pontife qui, malgré ses erreurs dans le domaine politique, fut un grand personnage, capable de s’opposer aux princes et au roi Philippe Auguste au nom des principes de l’Évangile, ainsi sur le mariage…
Quelle vous semble être l’attitude juste du croyant par rapport à ce que l’on peut objectivement considérer comme étant des erreurs ou excès de l’Église ?
La seule attitude légitime sur le plan intellectuel face à l’Histoire est de n’employer que les critères de jugement des hommes du passé : on ne peut poser de jugement moral qu’en fonction des mœurs d’antan. J’ai voulu proposer un ouvrage qui associerait les méthodes scientifiques de critique et d’étude des sources, et une bienveillance envers les phénomènes religieux propres à mieux comprendre les réalités vécues par nos prédécesseurs. Peut-être naïf, je voulais regarder le passé avec un scrupule universitaire mais une empathie assumée pour mes frères et sœurs dans la foi, morts il y a des siècles. Il ne s’agissait pas de taire les épisodes douloureux comme les fameuses croisades, mais de tenter de cerner à chaque situation scandaleuse pour nos mœurs du XXIe siècle la logique spirituelle qui avait conduit l’Église, le clergé ou les croyants à faire des choix incompréhensibles, voire condamnables. Il fallait donc dépasser la morale pour aborder l’Histoire, se débarrasser des a priori, des anachronismes, du manichéisme si cher à nos sociétés, afin de mieux interroger le passé et ses iniquités, et répondre à nos soupçons actuels : l’Église a-t-elle été une « maîtresse d’intolérance », comme je l’ai parfois entendu ? Une telle approche, sans doute illusoire, avait un leitmotiv : l’Histoire est amorale. Ni immorale, ni puritaine, ni européocentrée, ni laïciste : amorale.
Olivier Hanne, Le Génie historique du catholicisme, Éd. de L’Homme Nouveau, 426 p., 23,50 €.