Se réinformer, face à la désinformation

Publié le 17 Jan 2017
Se réinformer, face à la désinformation L'Homme Nouveau

À l’occasion d’un entretien paru dans le journal catholique belge Tertio, le Pape François a dénoncé en décembre la désinformation comme « probablement le plus grand mal qu’un média puisse infliger ». Mais lutter contre cette désinformation, utilisée parfois au sein même de l’Église, implique une bonne finalité ancrée dans le réel.

« La désinformation, c’est ne dire que la moitié des choses, celles qui me conviennent, et ne pas dire l’autre moitié : de sorte que celui qui (la reçoit) ne peut bien juger les choses parce qu’il n’a pas tous les éléments, car ils ne lui ont pas été livrés… », avait déjà dit le Pape lors de l’audience du 22 mars 2014. Mais comme nous sommes tous pauvres pécheurs, ne sommes-nous pas tous plus ou moins coupables de désinformation – ce n’est pas Volkov qui me démentirait ! –, y compris le Pape lui-même dans des interviews parfois approximatives ? Quand il indique par exemple au journaliste athée, Eugenio Scalfari, que « chacun de nous doit obéir à sa propre conscience, chacun doit suivre le bien et combattre le mal selon l’idée qu’il s’en fait ». Sans préciser que chacun a aussi le devoir d’éclairer sa conscience pour la corriger en fonction de la loi morale naturelle, la norme objective. Sinon bienvenue aux fanatiques !

Attention à la restriction mentale

Plutôt qu’une désinformation (une manipulation), voici le ­type même de restriction mentale – chère à certains jésuites et dénoncée en son temps par Pascal – que d’aucuns reprochent aujourd’hui au Souverain Pontife de pratiquer, la question se posant éminemment pour Amoris lætitia. Restriction ou réserve mentale que l’on fait d’une partie de ce que l’on pense pour « apprivoiser » l’interlocuteur en considérant davantage ce qui nous unit que ce qui nous divise : oui, nous avons le même Dieu (unique) que les Juifs et les musulmans… au niveau de la philosophie (médiation possible). Mais non au niveau de la religion et de la vérité surnaturelle !

Cette logique restrictive, lorsqu’elle est employée à dessein pédagogique ou pacifique (et non par casuistique), est licite jusqu’à un certain point. Tout comme l’argument ad hominem, qui consiste à s’adresser à l’homme adverse en se plaçant sur son propre terrain, selon ses principes déficients, peut se révéler « payant ». Soit pour se préserver soi-même (demander la liberté aux libéraux), soit pour faire éclater la contradiction interne de l’adversaire par l’absurde : si vous êtes contre la peine de mort, soyez-le aussi avec l’avortement (ou à l’adresse du Pape contre la peine capitale : si le commandement « Tu ne tueras pas » ne peut souffrir aucune exception, au nom du principe selon lequel la fin ne justifie pas le moyen intrinsèquement désordonné, pourquoi celui « Tu ne commettras pas d’adultère » pourrait en connaître ?).

Argument ad hominem et restriction mentale peuvent ouvrir une brèche dans le monde logiquement déficient où s’est réfugié plus ou moins (in)consciemment l’interlocuteur. Mais ils ne peuvent se suffire à eux-mêmes. On ne doit surtout pas s’y enfermer à la manière de la taqiya des musulmans qui les oblige à la dissimulation tant qu’ils se sentent inférieurs ou vulnérables. Ces arguments prudentiels ou graduels ne doivent en aucun cas devenir des mensonges par omission pour tromper l’auditeur doctrinalement, voire nous tromper nous-mêmes. Car la fin, en effet, ne justifie jamais le mauvais moyen. Autrement dit, ces arguments doivent être parallèlement et simultanément dépassés ou corrigés par une autre argumentation supérieure, en adéquation totale avec la réalité (« Confesser sa foi demande que l’on croit non pas en partie ou à moitié, mais de croire toute la foi, cette foi qui est arrivée à nous par la voie de la tradition : toute la foi ! », déclarait le Saint-Père le 10 janvier 2014).

À se complaire exclusivement dans la restriction mentale ou l’argumentation ad hominem, à y revenir trop souvent, sans précautions, on peut se laisser prendre à son propre jeu. Finir par croire ou laisser croire que l’on approuve des choses qu’on ne devrait pas. Mettre un pied de trop, même petit et malin, chez le partenaire libéral ou relativiste, lâchant sur des principes non négociables – comme c’est le cas, notamment, de certains publicistes avec le « mariage » gay ou d’autres avec le « droit » à l’IVG –, par manque de discernement.

La bonne information

En conclusion, la bonne information (ou la réinformation) n’est pas une désinformation contraire mais le contraire de la désinformation par sa finalité et son intention morale (dans La langue des médias, Ingrid Riocreux indique que même les médias dits de la réinformation n’échappent pas aux travers de leurs adversaires, en utilisant à leurs fins des citations tronquées, ou faisant dire parfois à son auteur [même au Pape] ce qu’il n’a pas dit…). Tous ceux qui ne pensent pas comme nous ne sont pas forcément des désinformateurs, des modernistes… Ne pratiquons pas à l’envers un terrorisme intellectuel, dont la reductio ad Hitlerum (l’accusation d’« extrême-droite », d’« intégriste »…) reste un modèle de la praxis communiste (pratiquée, hélas, chez des clercs). La réinformation, comme la contre-révolution, ne parle pas en termes dialectiques de camps, mais en termes de bien commun, de bien ou de mal, de vrai ou de faux.

Elle part de l’expérience, de la réalité, des choses vues ou dites et non d’idées préconçues, a priori : ce qu’est le réel et non ce par quoi je prétends le connaître, à travers un prisme idéologique déformant et partisan. Elle n’interprète pas, n’extrapole pas, ne fait pas de procès d’intention, cherchant à sortir des insuffisances ou des ambiguïtés avérées. Dans les graves débats politiques ou religieux à venir en 2017, il est opportun de le rappeler.

1. Ou à l’adresse du Pape contre la peine capitale : si le commandement « Tu ne tueras pas » ne peut souffrir aucune exception, au nom du principe selon lequel la fin ne justifie pas le moyen intrinsèquement désordonné, pourquoi celui « Tu ne commettras pas d’adultère » pourrait en connaître ?

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