Avec son ouvrage Vendée 1793-1794 le diplomate et juriste Jacques Villemain aborde au regard du droit pénal international le crime de génocide commis en Vendée. Il démontre ainsi que les massacres des Vendéens par les « colonnes infernales » correspondent à la définition du génocide. Un apport juridique pénaliste décisif dans l’indispensable reconnaissance par la France républicaine, du génocide franco-français vendéen. Entretien.
Comment vous est venue l’idée de ce livre ?
Jacques Villemain : Diplomate de carrière, mais juriste de formation, j’ai été amené à travailler au hasard de mes affectations pendant plusieurs années sur les questions de justice pénale internationale. J’ai ainsi acquis une assez bonne connaissance de la jurisprudence des tribunaux pénaux internationaux spécialisés dans la répression des crimes de guerre les plus graves, des crimes contre l’humanité et du génocide. Il s’agit du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), de son frère jumeau pour le Rwanda (TPIR), et bien sûr de la Cour pénale internationale (CPI). Dans le même temps je suis tombé un peu par hasard sur un numéro spécial de la revue L’Histoire dont le thème était « La Vendée – enquête sur les crimes de la Révolution » (n° 377, juin 2012), dans lequel divers historiens, tout en exposant le caractère extrêmement violent voire criminel de la répression qui s’était abattue sur la « Vendée militaire » contestaient avec force le qualificatif de « génocide » affirmé au contraire par Reynald Secher dans son ouvrage sur La Vendée-Vengé – le génocide franco-français, déclencheur en 1986 d’une polémique qui depuis n’a jamais cessé.
J’avais été frappé à la lecture de ce numéro de L’Histoire par le fait que les arguments utilisés par les historiens qui s’y exprimaient pour écarter le qualificatif de « génocide » auraient été jugés sans valeur par les tribunaux pénaux internationaux, compte tenu de leur jurisprudence. J’ai voulu creuser le sujet et ai passé les quatre années qui ont suivi à lire les ouvrages de ces historiens et d’autres comme Reynald Secher traitant de la guerre de Vendée tout en continuant à travailler sur la jurisprudence internationale pénale pertinente. À la fin, j’ai pensé qu’il serait utile de synthétiser mon travail, d’où ce livre.
Qu’apportez-vous de nouveau par rapport aux travaux de Reynald Secher et des autres historiens sur ce sujet ?
Je pense que la nouveauté principale de mon ouvrage est d’abord relative aux travaux des historiens qui contestent la thèse du crime contre l’humanité et surtout du crime de génocide commis en Vendée. Le raisonnement de ces historiens me semble doublement biaisé et finalement faux.
Le premier biais, assez général chez tous ces auteurs, est technique : les historiens, on peut les comprendre, pensent le crime contre l’humanité et le génocide par comparaison avec l’expérience de la Seconde Guerre mondiale et des crimes nazis. Or il est bien certain que Robespierre n’est pas Hitler et que Turreau n’est pas Himmler. Mais depuis lors les tragédies du Rwanda et de l’ex-Yougoslavie ont démontré qu’il n’est pas besoin d’être mû par une idéologie totalitaire ou d’avoir les capacités d’organisation d’un État moderne et les moyens industriels de destruction qui furent ceux de l’Allemagne hitlérienne pour commettre un crime contre l’humanité ou un génocide. Au Rwanda, la haine et des machettes ont suffi. À Srebrenica il n’y a eu besoin ni d’une idéologie raciste ni de chambres à gaz pour commettre un acte de génocide reconnu comme tel par les tribunaux de l’Onu. Nous devons désormais appréhender ces crimes comme beaucoup plus « ordinaires » (hélas) que ce que l’exceptionnalité, voire l’unicité, des crimes nazis suggère. Les arguments de ces historiens, qu’il faut bien qualifier de « négationnistes » du génocide vendéen ne résistent pas longtemps à une analyse fondée sur les définitions et méthodes de la justice pénale internationale.
Le deuxième biais, plus spécifique à certains de ces historiens, me semble d’ordre politique. La Révolution française reste pour toute une partie de l’intelligentsia française, surtout à gauche, une sorte d’Histoire Sainte. Un Clemenceau était capable de dire à la tribune de la Chambre des députés « J’approuve tout de la Révolution. J’approuve les massacres de Septembre… les noyades de Nantes… les horreurs de Lyon… Tout cela forme un bloc glorieux et je défends qu’on y touche ». Il y a encore des historiens englués dans cette mentalité qui imprègne toute une partie de la communauté universitaire française, comme François Furet l’a montré et le principe de renouvellement des élites universitaires qui est, de par la loi, la cooptation, favorise son maintien. Reynald Secher en a subi les conséquences. Dans ces conditions, parler à propos de la Révolution française de crimes portant le même nom que ceux qu’ont commis les nazis a pour beaucoup d’historiens quelque chose d’impensable voire de blasphématoire. L’originalité principale de mon livre à mon sens est de croiser la logique juridique avec la connaissance historienne : « crime de guerre », « crime contre l’humanité » et « génocide » sont d’abord des notions juridiques et l’on ne peut en traiter qu’à partir des définitions et méthodes du droit pénal, pas à partir de comparaisons historiques éventuellement aggravées de biais idéologiques. Cela m’amène à faire la démonstration de l’inanité des « arguments historiens négationnistes ».
S’agissant des ouvrages de Reynald Secher, mon travail est moins original : cet auteur a dit l’essentiel. Mais je raisonne en juriste et il raisonne en historien. À la fin nous arrivons pratiquement aux mêmes conclusions et c’est normal : que l’on gravisse la montagne par la face nord ou par la face sud, si l’on progresse droit, on doit se rencontrer au sommet. La nouveauté de mon travail par rapport au sien réside surtout en ceci que la méthode du droit pénal me permet de mettre plus précisément en lumière ce qui est plutôt en filigrane dans les ouvrages de Reynald Secher, à savoir d’abord l’évolution de l’intention criminelle dans une spirale de violence ininterrompue. On passe ainsi du crime de guerre dès mars 1793 à une « attaque généralisée et systématique contre une population civile », ce qui est la définition du crime contre l’humanité à partir du mois d’août. Enfin, lorsqu’à partir de janvier 1794 les « colonnes infernales » massacrent tous ceux qu’elles rencontrent de Vendéens, même républicains, on en vient à la « destruction totale ou partielle d’un groupe stable et permanent, visé comme tel », ce qui est la définition du génocide. En effet, la définition de la convention de l’Onu pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948 stipule « un groupe national, racial, ethnique ou religieux », mais elle a été interprétée par les tribunaux pénaux internationaux institués par cette même Onu (le TPIY et TPIR précités) dans leur jurisprudence comme désignant tout groupe humain « stable et permanent » défini à partir de ces quatre critères entendus subjectivement du point de vue de leurs persécuteurs. Les Vendéens s’encadrent absolument dans cette définition, comme je le démontre dans mon livre après avoir exposé les raisons de cette jurisprudence. Un autre apport original est, je crois, relatif à la méthode de recherche et de désignation des coupables : Reynald Sécher en établissant les faits en nomme aussi les auteurs, mais s’attache plus à démontrer le crime qu’à désigner les criminels et établir leur culpabilité : il agit en historien. Dans le cadre d’une démarche juridique pénaliste on ne peut affirmer l’existence d’un crime sans nommer son ou ses auteurs, fût-ce en les désignant par « X ». S’agissant des crimes commis contre les Vendéens, les noms sont finalement assez simples à trouver. Je me limite à trois noms emblématiques de trois niveaux de responsabilité : Robespierre, Carrier et Turreau. Bien entendu il y en aurait bien d’autres à citer.
Y a-t-il encore matière à débat sur ce sujet ?
Ce serait d’une grande présomption de ma part que de prétendre avoir épuisé le sujet. J’ai voulu construire mon livre en suivant la méthode que les tribunaux pénaux internationaux appliquent à ces crimes capitaux qui ont révolté la conscience de l’humanité même quand il n’y avait pas de loi positive, et pas même de mot, pour les définir : on a toujours su qu’attaquer toute une population civile ou détruire un groupe humain auquel on reproche son existence même était un crime et la question de l’anachronisme ne se pose pas. Mais précisément dans un procès, il y a toujours deux voix et j’imagine qu’un plaidoyer en faveur de la défense est possible. Si un autre juriste veut le plaider, je le lirai avec intérêt, je pense seulement qu’il n’aura pas la tâche facile.
Ne craignez-vous pas de susciter de violents débats et n’avez-vous pas peur de sanctions comme celles qui ont été prises à l’encontre de Reynald Secher ?
Non seulement le débat ne me fait pas peur, mais je m’y déclare prêt avec qui voudra me contredire : la nature du débat juridique, surtout pénal, est d’être contradictoire. Pour ce qui est des sanctions toute la jurisprudence que je cite est publiée, je ne révèle donc aucune information dont j’aurais eu connaissance à raison de mes seules fonctions et respecte mon devoir de discrétion professionnelle. Je ne manque pas non plus à mon devoir de réserve : outre qu’il ne s’applique qu’aux affaires internationales présentes, dont le drame vendéen de 1793-1794 est bien éloigné, je dis bien dans mon livre comme je le répète ici, que les analyses que je développe sur ce sujet n’engagent que moi et aucunement l’administration qui m’emploie. Pour avoir lu sur ce sujet pendant quatre ans (y compris sur des blogs) et vu sur internet certains débats, j’ai tout à fait conscience qu’il existe un certain terrorisme intellectuel sur ces questions. Mais il faut savoir aussi en sourire : il n’y a plus de guillotine en France.
Jacques Villemain, Vendée, 1793-1794, Cerf, 304 p., 24 €.