La mauvaise traduction du Notre Père dans la messe de Paul VI en français a fait en 2013 l’objet d’une juste rectification, entrée en vigueur en 2017. L’occasion pour les fidèles traditionalistes, restés attachés à l’ancienne formule, de faire un pas vers les autres catholiques en adoptant la nouvelle traduction, encore plus exacte.
Ou comment Jules César pontem fecit, sans jamais avoir touché une truelle de sa vie
Quel lien entre Jules César qui bâtit tellement de ponts et d’ouvrages qu’il fut appelé « pontifex maximus » (titre repris ensuite par les papes qui nous assuraient un pont avec le Ciel) et la nouvelle traduction du Pater, qui ne semble pas intéresser la communauté des catholiques dits « traditionalistes », pourtant enclins à la défense des sources latines ?
Une traduction hérétique
L’affaire est pourtant claire. En 1966, l’avant-dernière proposition du Pater, « et ne nos inducas in tentationem », fut traduite officiellement en français pour la messe dite de Paul VI avec la formule « ne nous soumets pas à la tentation » ; si cette traduction mot à mot peut sembler fidèle pour un quidam, elle demeurait pourtant hérétique puisque ce n’est jamais le bon Dieu qui nous soumet à la tentation.
La nouvelle traduction mot à mot était en fait un grave contresens du latin qui exprime parfois dans le mode indicatif de manière contextuelle le « faire faire » et non le « faire », contrairement au français dont l’indicatif ne porte pas cette nuance. Tous les élèves ont appris en classe de latin la règle « Caesar pontem fecit », qu’il ne faut surtout pas traduire par « César construisit un pont », mais par « César fit construire un pont ». César n’avait bien évidemment jamais appris la maçonnerie dans sa vie, et n’avait surtout pas le temps de s’y adonner pendant la guerre des Gaules.
La traduction de 1966 était donc clairement un contresens valant 2 points dans une version de 3e, et soumettant surtout à la tentation de l’hérésie.
La formule ancienne
Face à cette mauvaise traduction, les adeptes de la Tradition ont maintenu à juste titre l’ancienne formule traditionnelle, approuvée dans les différents missels et catéchismes (mais non liturgique puisque la messe était en latin), « ne nous laissez pas succomber à la tentation ». Cette formule ancienne avait beau être parfaitement catholique, elle n’exprimait pas exactement ce que nous avait enseigné Notre-Seigneur Jésus-Christ. En effet, Notre-Seigneur avait bien voulu parler de l’entrée en tentation qu’il nous propose d’éviter par la prière, et non pas de la chute, qui concrétise la faute après le combat. Pourquoi donc ? Nous n’en savons rien et nous pourrons lui poser la question là-haut.
Lorsque le Christ nous enseigna sa prière, il est probable que ce fut en araméen, langue véhiculaire de l’époque, qui possède comme l’hébreu un mode indiquant le « faire faire ». La traduction latine n’ayant pas ce mode bien pratique et explicite, a utilisé naturellement le mode indicatif qui a, selon le contexte, le sens de « faire faire », évident dans le cas présent du Pater.
Une traduction plus fidèle
Il faut noter que le Catéchisme de l’Église catholique (n. 2846) indique clairement que la formule « ne nous soumets pas à la tentation » est à prendre au sens de « ne nous laisse pas soumettre/entrer en tentation » et non au premier degré. Grâce à ce bon catéchisme, les catholiques n’ont pas succombé à la tentation de l’hérésie.
Néanmoins, face à cette confusion, l’Association épiscopale liturgique pour les pays francophones publia une nouvelle traduction en français de la Bible liturgique, approuvée le 12 juillet 2013 par le Vatican : « ne nous laisse pas entrer en tentation ». Celle-ci est désormais parfaitement catholique et plus fidèle que « ne nous laissez pas succomber ». Elle rentra en vigueur le 3 décembre 2017 et devint aussi liturgique le 28 novembre 2021, avec également la correction du Symbole de Nicée (« consubstantiel » remplaçant « de même nature »).
Pourquoi alors ne pas adopter dans nos obédiences cette nouvelle traduction, signe fort d’unité entre différentes sensibilités ? En effet, jusqu’à présent, il était impossible de réciter en français un Notre Père entre catholiques d’horizons épars sans buter sur cette proposition.
Nous nous arrangions bien du tutoiement qui a le même rythme de parole que le vouvoiement, et du mot « aussi » pour lequel nous avions pris l’habitude de prendre notre respiration mais, à chaque fois, nous butions sur ce « ne nous soumets pas », trop rapide pour arriver à caser notre « ne nous laissez pas succomber ». C’était navrant d’offrir une bien piètre unité autour de la seule prière enseignée par le Christ. Aujourd’hui, nous avons l’opportunité de réciter enfin le même Notre Père, même avec vouvoiement et tutoiement emmêlés, peu importe.
Certains rétorqueront qu’il s’agit encore d’une nouvelle formule et qu’il n’y a pas de raison de changer. Qu’ils se décontractent tout de suite, cette « nouvelle formule » était déjà officielle il y a plus d’un siècle, par exemple dans les missels « 904 » (version augmentée par les traductions françaises du célèbre missel « 800 » de la maison Desclée, faisant référence et intégrant les partitions grégoriennes).
Cette formule s’y retrouve cinq fois, au lavement des pieds du Jeudi saint, au cimetière pour l’enterrement, à la visite pastorale de l’évêque, en procession pour demander de la pluie puis celle pour du beau temps… Elle n’est donc pas si nouvelle que cela ! Elle a même fait la pluie et le beau temps pendant au moins un siècle.
Alors comment reprocher à certains évêques de ne pas faire beaucoup d’efforts envers le monde traditionaliste, alors que nous ne sommes pas capables d’adopter cette nouvelle traduction, plus exacte, plus belle et nous permettant de prier enfin harmonieusement avec d’autres catholiques moins enclins aux formules anciennes ?
Un débat de laïcs
Imaginez simplement le cas d’une délégation de fidèles demandant à son évêque l’instauration d’un nouveau lieu de culte en forme extraordinaire. Ce dernier propose alors de commencer le dialogue en récitant un Notre Père, qui finira immanquablement en bafouillement lamentable, révélant que cette délégation ne se sent même pas concernée par les efforts de traduction et d’enrichissement mutuel souhaités par Benoît XVI. La délégation peut faire demi-tour, « la messe est dite », comme on dit parfois…
On peut noter enfin que ce n’est pas vraiment un débat de ministres de la forme extraordinaire, puisque la formule liturgique y reste exclusivement en latin ; il s’agit d’abord d’un débat de laïcs qui ont besoin en famille, en pèlerinage ou ailleurs, de réciter ensemble un Notre Père cohérent et bien traduit. Une fois n’est pas coutume, le changement peut venir de la plèbe. Ne ratons pas une telle occasion.
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