Nous sommes dans un long processus de reconquête : notre entretien avec Guillaume Bernard

Publié le 04 Mai 2017
Nous sommes dans un long processus de reconquête : notre entretien avec Guillaume Bernard L'Homme Nouveau

Docteur et habilité à diriger des recherches en histoire des institutions et des idées politiques, maître de conférences à l’Institut Catholique d’Études Supérieures (ICES), Guillaume Bernard est l’auteur d’un ouvrage récemment publié, La guerre à droite aura bien lieu, Le mouvement dextrogyre, (DDB) dans lequel il annonce une clarification idéologique de la droite et le retour des valeurs classiques sur le terrain politique. Analyste très demandé pour la clarté et la pertinence de ses propos, Guillaume Bernard a trouvé le temps malgré l’actualité de répondre à nos questions.  Nous l’en remercions vivement.

Vous annoncez une droitisation de la France. Le bon score d’Emmanuel Macron et celui de Jean-Luc Mélenchon n’indiquent-ils pas le contraire ? Dans Le Point, Philippe Raynaud dit que la France est structurellement et culturellement à gauche et que la droite a été rarement au pouvoir depuis 1830.

Pour analyser la vie politique française, tant d’un point de vue partisan que doctrinal, j’ai proposé le concept de « mouvement dextrogyre » qui consiste en deux choses : d’une part, une radicalisation de l’électorat de droite (outre la progression en terme de voix du FN, l’électorat LR est plus ferme dans ses positions : il devient plus conservateur que libéral) et, d’autre part, un glissement des idéologies de droite vers la gauche. Avec la chute du mur de Berlin, le basculement vers une mondialisation tant financière que culturelle incontrôlée et une perte de repère concernant la construction européenne, le mouvement des idées s’est inversé : la pression idéologique venue par la gauche du spectre politique (qui durait depuis la Révolution française) s’est stoppée et s’est inversée. Le phénomène Macron (qui réunifie les libéralismes économique et sociétal) ne contredit donc nullement le mouvement dextrogyre, mais en est justement une parfaite illustration. Quant aux deux frères siamois du contractualisme social que sont le libéralisme et le socialisme, ils sont effectivement majoritaires. C’est une méprise de croire que le libéralisme, qui s’était retrouvé sur la droite du spectre politique dans le contexte de l’affrontement Est-Ouest, est « de droite ». Le mouvement dextrogyre permet aux idées classiques (celles de l’organicisme social contre la sociabilité artificielle) de s’épanouir à nouveau. Mais il s’agit d’un long processus de reconquête des esprits. Quant à Jean-Luc Mélenchon, il n’a pas fait progresser les idées socialistes : il a siphonné ce qu’il restait de l’électorat du PS qui n’avait pas basculé vers le social-libéralisme de Macron.

En restant enfermé dans le couple droite-gauche, ne conforte-t-on pas fondamentalement le système politique révolutionnaire qui a toujours besoin d’un ennemi qui depuis la Révolution est constamment classé à droite ?

Tout spectre politique peut être analysé avec un bord droit et un bord gauche. Le critère de distinction a varié : il portait essentiellement sur le régime politique au XIXe siècle puis sur l’étendue de la compétence de la puissance publique au XXe siècle. Désormais, le clivage oppose ceux qui conçoivent les corps sociaux (famille, nation, Europe) comme émanant d’un ordre cosmologique des choses (qui dépasse les hommes et s’impose à eux) à ceux qui pensent que la volonté des hommes ne consiste pas seulement à donner une existence à une essence mais à créer les corps sociaux et à leur donner leurs règles de fonctionnement. La ligne de fracture passe au sein du camp électoralement classé à droite entre ceux qui sont ontologiquement « de droite » (parce qu’ils adhèrent à la pensée classique) et ceux qui ne sont que « à droite » (alors qu’ils sont les parangons de la pensée moderne). L’avenir d’une partie de la droite est, sous la pression du mouvement dextrogyre, de redevenir la gauche.

Emmanuel Macron comme Marine Le Pen ne communient-ils pas finalement, malgré ce qui les oppose (mondialisme vs patriotisme), à la modernité, qui reste, au-delà de la droite et de la gauche, la vraie ligne de fracture et de césure ?

La ligne de fracture entre les classiques et les modernes ne passe pas entre les partis classés à droite mais en leur sein. Avec des proportions différentes, il peut y avoir des cadres et des électeurs penchant vers le classicisme ou le modernisme dans tous les partis depuis le centre droit jusqu’au FN compris. Il y a donc des personnes qui sont doctrinalement très proches alors qu’elles appartiennent à différents partis, tandis qu’elles sont assez éloignées de certains membres de leurs propres structures. Elles ont été, il est vrai, séparées par des évènements historiques (guerre d’Algérie) et des sensibilités différentes ; mais c’est surtout l’esprit sectaire et les intérêts matériels des partis qui ont joué. Dès lors que la recomposition de la droite s’annonce, celle-ci passe non seulement par le décloisonnement mais aussi par une réorganisation permettant la clarification des discours. Au sein de la droite qui s’assume, ce que je propose d’appeler la droite « alternative » (qui rassemble le FN, l’essentiel DLF et une part importante de la base LR), il ne fait pas de doute que la doctrine classique, lorsqu’elle est exprimée avec précision mais sans complexe, soit dominante. C’est ça, aussi, le mouvement dextrogyre…

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Guillaume Bernard, docteur et habilité à diriger des recherches en histoire des institutions et des idées politiques, est maître de conférences à l’Institut Catholique d’Études Supérieures (ICES). Dernier ouvrage paru : La guerre à droite aura bien lieu, Le mouvement dextrogyre, Paris, DDB, 2016.

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