L’une des thèses principales du philosophe allemand prétend établir des filiations historiques et morales entre Rome, la Renaissance et Napoléon, la Judée, la Réforme et la Révolution française. Interprétations simplistes, ces continuités ne résistent pas à l’examen. Quatrième volet de notre présentation de la philosophie nietzschéenne *.
L’avant-dernier paragraphe de la « Première dissertation » de La Généalogie de la morale – § 16 –, dissertation consacrée aux distinctions « Bon et méchant », « Bon et mauvais », établit une généalogie instaurant des continuités historiques demandant examen : la Réforme y prolonge la Judée qui triomphe elle-même dans la Révolution française tandis que Napoléon renoue – contre la Judée et la Révolution française – avec la Rome païenne et la Renaissance. Achevant quasiment cette première dissertation, cette généalogie est une application de la thèse défendue dans cette première partie de l’ouvrage : les valeurs de bonté et de méchanceté ont été renversées sous l’action du ressentiment – vengeance dans l’imaginaire – des faibles. Ces derniers, impuissants à se défendre, ont cherché à justifier leur impuissance et à se protéger en transvaluant la force et la puissance – auxquelles la bonté s’identifiait à l’origine (§ 5) – en méchanceté et en condamnation (§ 7). Cette transvaluation est l’œuvre des prêtres et du peuple sacerdotal par excellence, le peuple juif : « (…) Les juifs, ce peuple sacerdotal qui ne peut en définitive avoir raison auprès de ses ennemis et de ses vainqueurs que par le total renversement de leurs valeurs, donc par l’acte de vengeance intellectuel par excellence. » [1] L’acte de vengeance en question s’accomplit par la Croix, le Christ, quoique en apparence ennemi mortel d’Israël, étant en fait l’instrument de cette vengeance puisque son message – promouvant, selon Nietzsche, la faiblesse et l’impuissance (§ 14) – triomphera de tout autre idéal (§ 8). Aussi, depuis au moins l’avènement du christianisme, la lutte entre le bon et le méchant s’est-elle instaurée et son symbole « c’est Rome contre la Judée, la Judée contre Rome » (§ 16). La première – la Rome païenne – a été vaincue mais à deux reprises, la Renaissance et l’Empire napoléonien, a redressé la tête tandis que la Judée a assuré sa domination par le christianisme, la Réforme, la Contre-Réforme (sic !) et la Révolution française. Que penser d’une telle interprétation de l’Histoire de l’humanité ? Quant à son principe, une généalogie de la morale procédant du ressentiment, elle fait fi sans justification aucune…