Comme chaque année depuis 7 ans, L’Homme Nouveau a lancé son concours Jeunes Talents 2024 entre avril et juin. Cette année, le thème était : « Après la guérison de son serviteur par Jésus, que devient le Centurion de l’Évangile ? »
Nous publions ici les écrits que nous avons reçus. Les trois lauréats sont aussi publiés dans le numéro d’été (n° 1812), daté du 27 juillet.
Retrouvez toutes les productions dans le dossier thématique Concours Jeunes Talents 2024.
« Seigneur, je ne suis pas digne… »
Un texte de Augustin M.
Tu es « le centurion de Capharnaüm ». On ne te connaît pas autrement et pourtant quelle place tu tiens aujourd’hui dans la liturgie catholique : « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir mais dis seulement une parole et mon serviteur sera guéri. »
Mais qui es-tu ?
Tu étais estimé et aimé des gens de Capharnaüm que tu avais aidés pour la construction de leur synagogue.
Centurion romain, tu n’avais ni leur religion, ni leur culture. Mais à vivre avec eux tu avais appris à les connaître, à comprendre leurs coutumes, et même leur foi que tu respectais. Et sans doute cherchais-tu sincèrement à connaître « ce » Dieu en l’honneur duquel, avec ton aide, ils avaient construit la synagogue.
Il n’en reste aujourd’hui que des vestiges majestueux : elle devait être grande et belle.
Peut-être ta générosité a-t-elle ouvert ton âme à ce Dieu dont Rome n’avait qu’une piètre idée et qu’elle cherchait vainement en multipliant les idoles. À Rome comme à Athènes où Paul a découvert que ce « Dieu inconnu » était aussi parvenu sans que les rhéteurs de l’Aréopage ne l’aient reçu.
Sans doute par ta seule présence bienveillante parmi ces étrangers, toi « l’occupant romain », ton cœur noble a-t-il ouvert la voie à la découverte du vrai Dieu.
Tu as dû apprendre que Jésus venait souvent à Capharnaüm. C’était le village de Pierre, un de ses apôtres.
Tu as entendu parler de sa personne, de ce qu’il disait ; tu as appris qu’il guérissait les malades.
La distance entre ta propre communauté d’origine et les juifs s’est transformée en un lien devenu une amitié partagée : « Il mérite que tu fasses cela pour lui. »
Ton serviteur – romain ou juif ? – était pour toi plus qu’un subordonné sans plus, à ta disposition. Tu étais le maître dans une société où l’esclavage était une condition sociale.
Mais tu aimais vraiment ce serviteur et le message de Jésus, fondé sur l’amour du prochain a eu une résonance profonde dans ton cœur.
Quand tu apprends que ton serviteur est malade, tu ne restes pas indifférent. Tu cherches comment lui venir en aide. Tu fais un premier acte de foi en pensant que Jésus peut le guérir.
Puis tu en fais un second en reconnaissant sa dignité et en venant toi-même à sa rencontre : « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir mais dis seulement une parole et mon serviteur sera guéri », acte de foi que tu confirmes par ta parole d’officier.
Qu’es-tu devenu ? Comment as-tu (qui sait ?) appris ce qui est arrivé quelques mois plus tard : la Passion et la mort de Jésus ?
Comme pour tous ceux qui avaient un jour rencontré Jésus et avaient été les témoins de sa miséricorde, cette terrible épreuve dut être un maelström d’incompréhension, poser une avalanche de questions, creuser un abîme d’obscurité pour toi, un citoyen romain, un officier.
Rome ! Le plus grand empire à cette époque.
… Depuis toujours l’épreuve a été le creuset où se forge l’amour. Pour un disciple du Christ c’est la croix. Non pas une croix théorique. C’est la croix de tous les jours, dans les petites choses et surtout une croix très ordinaire… Celle que seul le Seigneur voit.
J’aime à te considérer comme un exemple de droiture et de noblesse, toi, « bienheureux centurion », tu as poursuivi ton chemin d’officier, loyal à tes engagements mais avec le cœur transformé par l’amour qui a changé ta vie après cette rencontre de Jésus. Ta famille, tes serviteurs, tes subordonnés, tes supérieurs … sont aussi devenus autant de personnes à aimer de ce même amour qui t’avait touché.
Mais revenons à toi.
Qu’es-tu devenu ?
Jésus a guéri ton serviteur.
L’Évangile s’arrête là te concernant : « Revenus à la maison, les envoyés trouvèrent l’esclave en bonne santé. »
Qui n’a pas envie de te suivre, de faire plus ample connaissance avec toi, si noble dans ton attitude, si profondément humain. Tu fais un geste inouï dans le contexte de l’époque. Tu es investi d’une fonction de responsabilité dans l’armée romaine, chargé de faire respecter l’ordre alors que tu n’es pas le bienvenu, un représentant de l’occupant romain. Tu prends souci d’un serviteur malade, même pas un citoyen romain, un esclave.
Comment ne pas penser que pour toi tout ne s’est pas arrêté là.
Tu es venu à Jésus parce que tu avais entendu parler de lui, qu’il guérissait les malades. Peut-être n’en savais-tu pas beaucoup plus. Tes origines, ta fonction, ton entourage te tenaient peut-être éloigné du monde religieux juif. Tu avais sans doute la religion des Romains mais savais-tu qui était Dieu et notamment ce Dieu des Juifs ? Tu étais surtout profondément humain, tu avais du cœur et tu étais respectueux des traditions de ce peuple que vous aviez soumis. Tu étais venu non en conquérant mais soucieux de faire respecter l’ordre dans la tradition de Rome. D’ailleurs ta réponse, transmise par tes amis est éloquente « Moi, je suis quelqu’un de subordonné à une autorité, mais j’ai des soldats sous mes ordres ; à l’un, je dis : “Va”, et il va ; à un autre : “Viens”, et il vient ; et à mon esclave : “Fais ceci”, et il le fait. »
Je ne peux pas imaginer que ton histoire s’est arrêtée là, quand Jésus a poursuivi sa route et toi, la tienne.
Je ne doute pas que la guérison de ton serviteur t’a beaucoup touché à plus d’un titre et ton histoire personnelle n’en est pas restée là. Tu le cherchais… Lui, au fond de ton cœur.
Tu avais une famille et comme toi, tes proches ont été sensibles à la guérison de ton serviteur. Vous avez cherché à vous rapprocher de ce peuple au milieu duquel Rome vous avait destinés.
Étais-tu encore à Capharnaüm quand Jésus a été arrêté et jugé, condamné au pire supplice par un juge romain ?
As-tu appris qu’il est mort crucifié ?
L’information de sa résurrection est-elle parvenu à tes oreilles ?
Je ne peux imaginer que tu n’as pas appris ce qui s’est passé. Tu connaissais Ponce Pilate dont la fonction le plaçait à ton égard comme un supérieur dans le gouvernement de la région.
Tu as cherché à comprendre pourquoi celui qui avait guéri ton serviteur malade a pu être condamné à subir le châtiment réservé aux grands criminels.
Tu as cherché à te rapprocher de ceux qui étaient ses proches, ce groupe de jeune gens qui l’accompagnaient à Capharnaüm et dans tout le pays. Ainsi tu as voulu rencontrer Pierre, qui était natif de cette ville. Tu savais qu’il était pêcheur, l’activité de beaucoup d’hommes des environs du lac de Tibériade.
Même s’il avait été témoin du miracle de la guérison de ton serviteur il gardait ses distances avec ceux qui, pour lui, représentaient l’autorité de l’occupant.
Votre Première rencontre ?
Je l’imagine.
Tu es venu, un soir, comme tu es. Tu as laissé de côté les signes de ta fonction : ton uniforme, ton casque.
Tu frappes à la porte et c’est Pierre qui t’ouvre.
Un peu de surprise de sa part mais il voit dans ton regard la clarté d’une ouverture au dialogue : tu n’as pas devant toi un centurion mais un homme, un père de famille.
Sans formalité : il t’invite à entrer. Un court silence… C’est toi qui ouvres spontanément la conversation. Quant à Pierre il te connaît : ta fonction, qui tu représentes, il se rappelle aussi ta rencontre avec Jésus…
Tu veux en savoir plus sur celui que tu appelais avec respect « Seigneur ».
Tu interroges Pierre : « Est-il vrai qu’il a été crucifié ? Pourquoi ? » …
Un court silence car Pierre est pris par l’émotion, lui, le rude pêcheur. Dans son esprit tant de choses se bousculent. Ce qui s’est passé, sa réaction pendant le procès… et puis en remontant dans le temps le fil de ces trois années à suivre Jésus, qu’ils appelaient Maître.
Et il a devant lui un centurion romain.
Il ne sait pas comment faire, par quel bout commencer pour lui raconter « sa vie » qui a été transformée par Jésus qui est venu le chercher tout près d’ici, sur les rives du lac.
Finalement il lui demande pourquoi il s’intéresse à Jésus. N’a-t-il pas appris l’incroyable nouvelle : oui il a été condamné et crucifié. Il est mort… mais aujourd’hui il est vivant !
Il est difficile de renverser une barrière qui vous oppose presque viscéralement. Le Romain est « l’occupant », celui qui soumet.
Pierre a encore du mal à dépasser une réaction bien humaine.
Par où commencer ?
« Qui est Jésus ? »
Pierre est un peu décontenancé par cette question.
Et Pierre de prendre conscience que depuis trois ans qu’il marche avec Jésus il ne s’est pas vraiment posé la question en ces termes.
Bien sûr il n’a pas oublié Césarée-de-Philippe, ce jour où Jésus leur a posé à brûle-pourpoint la question : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » Et sa réponse, presque sans y penser : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! »
Mais surtout il se rappelle ce que Jésus lui avait dit : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église. »
Maintenant, devant le centurion il commence à mesurer la responsabilité qui lui incombe.
Il est toujours un pêcheur que Jésus a appelé à le suivre et à présent il prend vraiment conscience de la confiance que Jésus a déposée en lui et il en perçoit tout le poids.
Le centurion reprend :
« Pourquoi la Croix, pourquoi tant souffrir ? Pour nous racheter ? Mais qu’avons-nous fait ? Dieu … Nous avons des dieux… mais que sont-ils ? Nous n’avons rien dans notre histoire d’équivalent à ce que Jésus a dit, à ce qu’il a fait. Vous avez une histoire qui a son centre en Dieu… ce Dieu que je voudrais connaître. Dis-moi Pierre ! Toi qui as vécu auprès de lui, aujourd’hui que reste-t-il de ces années où tu marchais avec lui. On dit qu’il est ressuscité, mais on ne le voit plus, dis-moi, comment sais-tu qu’il est toujours vivant ? Où est-il ? »
Pierre de poursuivre :
« Sais-tu, quand il a été arrêté au jardin des oliviers, trahi par l’un des nôtres, nous l’avons tous abandonné. Un peu plus tard, je l’ai croisé, enchaîné, il avait été soumis à la flagellation. Par trois fois, j’avais nié le connaître. Il m’a regardé, j’ai croisé son regard… Et j’ai pleuré. Je suis redescendu au jardin. J’ai revécu dans ma mémoire ce long moment de prière, lui en agonie et nous… nous étions endormis. Puis tout est allé si vite ! Je n’étais pas là quand il portait le bois de la croix jusqu’au Golgotha ; je n’étais pas là quand on l’a crucifié ; je n’étais pas là quand, du haut de la croix, il a prononcé les sept dernières paroles et surtout celle-ci : à sa mère “Voici ton fils”, à Jean “Voici ta mère”.
Tu veux savoir : la dernière fois que nous l’avons vu, il nous a dit : « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. »
Tu veux savoir : il te le dit, à toi aussi. Tu n’oublieras jamais ta rencontre avec lui et ce qu’il a dit, en te regardant : « Amen, je vous le déclare, chez personne en Israël, je n’ai trouvé une telle foi. »
Toi, aussi, tu peux être un témoin de ta rencontre avec Jésus, pour les tiens, pour ton peuple…
Tu vas peut-être retourner à Rome. Va, là-bas aussi il faut que ce que tu auras vécu ici, soit connu. Nous avons rencontré celui que nous appelions « Maître » et qui nous a appris à reconnaître en lui le Fils de Dieu.
On ne se souviendra peut-être de toi que de quelques paroles… mais elles resteront dans le cœur de millions de personnes quand nous-mêmes nous serons partis pour répondre à son envoi :
« Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. »
Augustin M.
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