Plus de famille, plus de village, plus de nation, ils ont tout perdu. Alors, ils sont partis, chassés de leur histoire, coupés de leurs racines, honteux de leur culture. Ayant assisté à la démolition méthodique de tout ce qui structurait leur existence, ils ont abandonné sans se retourner tout ce qu’ils avaient reçu. Ils ont cessé de réfléchir et renoncé à toute forme de vie intérieure. Le grand refroidissement du discernement et le déclin du courage les ont poussés à partir. Ils ont pris des chemins improbables et dangereux de l’hédonisme et du matérialisme, contourné ce qui restait d’interdits et d’entraves surannés. Ils ont tout laissé, aussi bien leurs moeurs collectives que leurs traditions ancestrales. Attirés par d’apparentes richesses, ils ont imaginé trouver le bonheur au-delà des frontières naturelles. Mais la réalité de leur exil s’avère être une impasse. Ils n’ont désormais plus ni histoire, ni avenir, ni rien à transmettre. Leur rêve est devenu cauchemar… ce sont les migrants spirituels !
Agglutinés en une immense colonne virtuelle fuyant au-delà des limites et souvent en-dessous du dicible, ils sont nos contemporains. Connectés à tout sauf à la réalité, ils accourent au moindre clic. Ils ont adoptés les codes de la grande conspiration de l’esprit sans même le savoir. Épuisés, ils avancent sans voir. Déstructurés, ils n’ont plus ni colonne vertébrale, ni repères. Leurs codes vestimentaires, leurs habitudes alimentaires, leur orthographe, leurs codes musicaux et culturels, tous leurs signes d’appartenance trahissent l’exil qui est le leur dans cette masse de sans domicile. La règle est le chacun pour soi et la préservation des apparences à tout prix. Devenus schizophrènes profonds, ils ont, mais ne sont plus ; ils disent, mais ne font plus ; ils prétendent, mais n’incarnent plus ; ils assènent, mais ne réalisent plus ; ils invoquent, mais ne concrétisent plus rien; ils zappent mais s’avèrent incapables de bâtir. Leur vie est devenue une immense imposture… ce sont les réfugiés existentiels !
Étrangers sur leur propre sol, ces migrants de la société de consommation, ces exilés de la dissociété devront pourtant un jour rentrer au pays et retrouver la vraie patrie. Leur exil ne pourra durer. Ils ne pourront vivre éternellement déracinés. Il faudra bien qu’ils s’en retournent et redeviennent ce qu’ils n’ont jamais cessé d’être : des héritiers milliardaires, des débiteurs insolvables, qu’ils retrouvent les permanences de l’existence, sans faux-semblants ni impostures, qu’ils mènent les combats du quotidien et transmettent à leur tour ce qu’ils ont reçu afin de préserver la créance humaine, la liberté de l’homme intérieur… ou bien qu’ils disparaîssent !