À Saint-Jean-de-Passy, des mises à pied qui interrogent

Publié le 17 Avr 2020
À Saint-Jean-de-Passy, des mises à pied qui interrogent L'Homme Nouveau

[Article initialement titré : Que se passe-t-il à Saint-Jean-de-Passy ?, nos confrères de Boulevard Voltaire nous ont fait remarqué une trop grande similitude avec le titre de leur article sur le même sujet. Nous avons choisi de le modifier.]
Avec 99% de mentions et 100% d’admis au baccalauréat, Saint-Jean-de-Passy est dans les meilleures écoles de France. Ses 2900 élèves, répartis sur quatre sites font de cette école privée catholique une des plus grands établissements de France. Depuis 2015, François-Xavier Clément est à la tête du groupe scolaire englobant les quatre lieux d’implantation. Mais mardi 14 avril, François-Xavier Clément et Jean Ducret (préfet des terminales) se sont vus signifier par voie d’huissier leurs mises à pied. 

Des plaintes de salariés adressées au président du Conseil d’Administration de Saint-Jean-de-Passy, Jacques Moreau, en début d’année scolaire seraient une des causes des évènements qui secouent l’établissement. 

Suite à ces plaintes dont le contenu n’a pas été divulgué, Jacques Moreau et Jean-Francois Canteneur (directeur diocésain) ont, en accord avec le Conseil d’Administration, décidé de faire appel à un cabinet indépendant (AlterHego) pour réaliser un audit de l’établissement. Le cabinet a été présenté à Saint-Jean-de-Passy comme neutre et prêt à écouter tous les employés afin de faire remonter les dysfonctionnements, s’il y en avait, et proposer, si nécessaire, des améliorations. Les employés étaient invités à s’inscrire librement aux entretiens avec les membres du cabinet. Beaucoup d’entretiens ont ainsi été menés après les vacances de février. Des professeurs s’étonnent  publiquement ces jours-ci de ne pas avoir été consultés lors de l’audit : « est-ce parce que j’aurais été heureuse de témoigner de ma reconnaissance et de mon bonheur à travailler avec des gens remarquables ? » s’interroge Blanche de Beaurepaire, jeune professeur de Saint-Jean-de-Passy dans les commentaires de la pétition de soutien aux deux personnes mises à pied. Elles ajoute d’ailleurs à propos de la lettre du Conseil d’Administration :  « Comment peut-on prendre une décision aussi grave et violente sans consulter l’ensemble du corps enseignant ? ».

Le bilan de l’audit devait être transmis aux salariés. Les circonstances exceptionnelles dues au confinement n’ont pas permis ce compte-rendu général. Le rapport d’audit a donc été transmis au président du Conseil d’Administration qui l’a partagé avec le directeur diocésain. Ils en ont déduit des conclusions du rapport qu’il était urgent de mettre à pied François-Xavier Clément et Jean Ducret. 

Pour Jean-François Canteneur : « tout n’est pas délibéré dans cette affaire il s’agit du début d’une procédure, avec une suspension pour protéger les uns et les autres. Cette suspension était nécessaire, même si elle est difficile à vivre. » Le directeur diocésain insiste sur ses relations avec le Conseil d’Administration : « nous sommes solidaires et nous devons trouver un point d’accord pour prendre nos décisions. Nous avons agi en parfaite concertation. » Ce niveau de concertation n’a pas été atteint avec l’équipe de direction prévenue des mises à pied quelques heures seulement avant le reste du personnel et les parents d’élèves. Comme le soulève Xavier Le Saint, directeur de Notre-Dame de Grâce (un des quatre sites de Saint-Jean-de-Passy) et à ce titre membre de l’équipe de direction « le moment est bien mal choisi » (pendant le temps pascal et quelques jours après la mort d’André Clément, père de François-Xavier Clément). Il s’interroge également sur le procédé utilisé pour signaler à François-Xavier Clément et Jean Ducret leur mise à pied : des huissiers sont intervenus le 14 avril au matin chez eux, leur signifiant la décision du Conseil d’Administration et de la direction diocésaine.  Les mêmes huissiers ont saisi tous les outils de travail des deux hommes : ordinateurs, clés, badges. 

« La période est difficile à vivre, se justifie Jean-François Canteneur, nous sommes face à des décisions qui ne peuvent pas attendre, le niveau d’alerte était tel que nous devions lancer rapidement une procédure. Procédure qui va prendre du temps. Devant l’incertitude de la fin du confinement nous ne pouvions pas repousser notre décision indéfiniment. » Difficile de comprendre pour l’instant quels actes hautement répréhensibles peuvent justifier des mesures aussi drastiques. 

S’il est difficile de se prononcer sur le fond de l’affaire sans avoir eu accès à toutes les pièces, il est toutefois possible de s’interroger sur le choix des formules utilisées dans le texte annonçant au personnel et aux parents d’élèves les mises à pied. Il y est question de « pratiques managériales dysfonctionnelles portant atteinte à la santé et à la sécurité physique et psychique des collaborateurs ». Des accusations graves, assez lourdes pour salir l’honneur de deux pères de famille qui ne savent toujours pas précisément ce qui leur est reproché. Le conditionnel est omis ce qui est très regrettable. François-Xavier Clément a d’ailleurs réagi dans un communiqué pour préciser qu’en aucun cas il n’était question « de soupçons d’agressions sexuelles ni envers les enseignants ni envers les élèves ».

En attendant, les familles et les élèves pâtissent de cette situation qui s’ajoute aux difficultés engendrées par le confinement. Des parents d’élèves s’inquiètent des silences de l’Association des Parents d’Élèves (APEL), qui siège pourtant au Conseil d’Administration et a donc pu se prononcer sur les mises à pied. Le courrier de l’APEL envoyé le 15 avril est en effet très laconique et les formulations semblent là encore malheureuses : « il est toutefois primordial de laisser le temps nécessaire à la procédure et de faire preuve de patience et de sérénité? ». Des parents s’interrogent sur la représentativité de cet organisme. 

Le 21 avril, François-Xavier Clément et Jean Ducret sauront enfin ce qui leur est reproché. En attendant, il n’est pas interdit de poser quelques questions. 

Saint-Jean-de-Passy ferait partie de ces rares écoles dotées d’un statut de Société Anonyme. En l’absence d’OGEC (Organisme de gestion de l’Enseignement catholique) et propriétaire de ses locaux, l’établissement se gère de façon autonome. La liberté financière permet une liberté pédagogique importante qui n’est pas forcément du goût de tous (transmission de la foi catholique sans complexes, cérémonie des couleurs, uniforme…). Les reproches faits à Jean Ducret et François-Xavier Clément visent-ils à changer une équipe de direction soudée et fière de son indépendance pour la remplacer par des personnalités plus souples sur les statuts de l’école et son futur ?

Les faits reprochés sont annoncés comme assez graves pour mettre à pied immédiatement deux cadres nécessaires au bon fonctionnement de l’établissement. S’il y a en effet des faits d’une telle gravité, pourquoi n’y a-t-il pas de procédure judiciaire ? Pourquoi seulement deux mises à pied ? Si l’équipe de direction composée des quatre directeurs des études  des deux chefs d’établissement et du Directeur Administratif et Financier n’a pas vu les « pratiques managériales dysfonctionnelles portant atteinte à la santé et à la sécurité physique et psychique des collaborateurs » est-elle assez compétente pour rester en place ? Si cette équipe de direction a bien vu ces « pratiques managériales dysfonctionnelles » et n’a rien dit, n’est-elle pas complice ? Alors est-ce le début d’une épuration ? 

Rien ne nous empêche d’aller également plus loin dans nos questions. L’archevêché a-t-il été tenu au courant de cette affaire dont les répercussions sont importantes dans le milieu catholique parisien ? Si François-Xavier Clément et Jean Ducret sortent lavés des accusations qui leur sont faites, le Conseil d’Administration pourra-t-il rester décemment en place ? Et la direction diocésaine ? Autant de points qu’il faudra éclaircir afin que l’enseignement des élèves qui sont confiés à Saint-Jean-de-Passy puisse continuer de façon apaisée. 

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