Annecy : Héros d’abord ou politique d’abord ?

Publié le 28 Juin 2023

La question posée en titre de cet éditorial surprendra peut-être, voire choquera, après l’effervescence née de l’événement d’Annecy. Disons-le d’emblée pour dissiper d’éventuels malentendus : il n’est pas question ici de minimiser le courage d’Henri s’opposant à un homme armé d’un couteau et décidé à tuer des enfants.

Pourtant un autre constat s’impose aussi. Il ne porte plus cette fois sur Henri et sur son courage mais sur ce qu’on a voulu en faire, y compris à droite et dans les milieux catholiques.

À peine l’événement connu, les réseaux sociaux s’en sont, en effet, emparés, déversant comme il fallait s’y attendre un océan d’opinions. Les médias plus traditionnels n’ont pas été en reste et, parmi eux, la presse de droite et la presse catholique ne furent pas les dernières à commenter l’événement.

Annecy au risque de la société du spectacle

Commenter ? À vrai dire, ce fut une marée de propos et de tentatives d’explications ou d’analyses censées nous dire qui était vraiment le héros du jour et pourquoi il avait agi de cette manière. Un brillant confrère de la presse catholique a ainsi expliqué, alors qu’il n’avait probablement jamais rencontré Henri de sa vie, quelles étaient les racines de son courage. Encore une fois, l’emballement médiatique a été général comme si secrètement la France attendait un héros et qu’elle en trouvait enfin un.

Mais la presse catholique devait-elle réagir à l’événement de la même manière que la presse séculière ? Si c’est avec professionnalisme, rigueur, souci des sources et de l’information vérifiée, la réponse ne fait aucun doute. Elle est positive. Mais si c’est pour participer, nous aussi, à la « société du spectacle » ?

On doit au situationniste Guy Debord l’invention en 1967 de ce concept dont la compréhension large semble s’appliquer de manière assez pertinente à notre époque. Nous sommes, en effet, arrivés à un stade du monde libéral où le lien social, et plus largement l’unité de la société tout entière, fragmentée à l’extrême, ne reposent plus sur la réalité des choses mais sur son commentaire, sa mise en scène, sa « publicisation », sur l’entretien du bruit médiatique plus réel que le réel, un réel de substitution qui crée l’illusion de l’existence et de la liberté.

D’où l’avertissement de Debord : « Le spectacle ne veut en venir à rien d’autre qu’à lui-même. » Pour ce faire, il a besoin d’une nourriture permanente que nous lui avons copieusement fournie sans prendre garde que nous nourrissions le monstre moderne que nous ne cessons de dénoncer par ailleurs. Avons-nous oublié Bossuet : « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes » ?

Défaillance du politique et servitude morale

Il faut pourtant aller plus loin, là encore en prenant le risque d’être mal compris ou mal interprété. La tragédie d’Annecy est le fruit de politiques menées depuis des décennies dans le domaine de l’immigration non contrôlée et de (l’in)sécurité. Ces politiques elles-mêmes prennent racine dans la modernité avec ses notions subverties de liberté et d’égalité.

En nous focalisant, en partie à juste titre, sur la réaction courageuse d’Henri, nous nous sommes auto-intoxiquées nous-mêmes, croyant qu’il suffirait qu’une armée de jeunes héros se lèvent pour régler les maux (politiques) de la société. Une sorte de spontanéisme catholique et de droite a prévalu sans prise en compte de la réalité du système dans sa globalité, de l’emprise de la société du spectacle et du capitalisme de surveillance qui lui est désormais associé. Pourtant, le citoyen ordinaire n’a pas pour vocation d’être un héros, mobilisé en permanence pour régler les problèmes d’une société qui s’écroule.

Comme l’écrivait naguère avec justesse le philosophe Marcel De Corte, on ne fait pas du social avec de l’individuel. Pareillement, on ne règle pas du politique en recourant à l’héroïsme des individus. C’est à l’État d’assumer la justice, la sécurité et la paix. À défaut de pouvoir agir directement sur celui-ci, il nous appartient de discerner les causes de ses défaillances et les logiques à l’œuvre qui ont mené au chaos.

Un discernement qui doit d’ailleurs s’accompagner d’un examen de conscience global sur les défaillances et les trahisons des catholiques sur le plan politique. À ce titre, le premier pas consiste certainement à sortir de la servitude (morale) volontaire, en recouvrant notre liberté intérieure et en retrouvant le sens du réel, propédeutique à tout redressement.

 

Philippe Maxence

Philippe Maxence

Ce contenu pourrait vous intéresser

Éditorial

Votre mission, si vous l’acceptez

Éditorial du Père Danziec | Dans son encyclique Redemptoris Missio, publiée en 1990, Jean-Paul II réaffirmait la valeur permanente du précepte missionnaire. En octobre 2025, le commandement vaut toujours. Un baptisé qui ne serait pas missionnaire ne pourrait se considérer comme un chrétien authentique.

+

mission
Éditorial

Notre quinzaine : cap sur notre 80e anniversaire !

Éditorial de Philippe Maxence | Cette fois la rentrée est bien faite, avec son lot de crises politiques, de manifestations et de blocages de la vie sociale. Pour L’Homme Nouveau, cette rentrée s’insère dans une perspective un peu particulière. Dans un peu plus d’un an, en effet, en décembre 2026 pour être précis, votre magazine célébrera son 80e anniversaire. C’est, en effet, en décembre 1946 que l’équipe des militants du mouvement « Pour l’unité », réunis autour du père Fillère et de l’abbé Richard, a lancé L’Homme Nouveau dans le but de servir la « seule cause de Dieu ».

+

anniversaire
Éditorial

Dieu donnera la victoire !

L’Éditorial du Père Danziec | « Dieu donnera la victoire » ? La belle affaire me répondrez-vous ! Mon Père, voyons, vivons-nous donc dans le même monde ?! Que faites-vous de la litanie de nos défaites depuis plus de deux siècles ? Et pourtant, il faut l’affirmer tout net et clairement : Dieu donnera la victoire ! Cette conviction intime qu’un jour les bons seront récompensés et les mauvais condamnés, n’est pas seulement une question de foi et de justice, elle constitue le socle même de l’espérance chrétienne.

+

dieu donnera la victoire
Éditorial

La paix du Christ, combat permanent

Éditorial de Maitena Urbistondoy du n° 1837 | Partout, sous des formes diverses, les chrétiens sont frappés. Mais quelle paix cherchons-nous réellement ? Certainement pas celle de la vengeance, ni celle de la complaisance. Les persécutions, les injustices, les insultes n'appellent pas la haine en retour. Elles sont l'occasion de manifester une autre force : celle de la charité, de la persévérance, de la fidélité.

+

paix du christ jubilé des jeunes
Éditorial

Ne pas se résigner !  

Éditorial de Philippe Maxence | À l’heure où nous nous apprêtons à reprendre des forces après l’épuisement de l’année, il nous faut non seulement prier pour le Pape et l’Église, mais également prendre la résolution ferme et constante de ne jamais nous résigner à la diminution de la foi, à la perte de l’espérance et au refroidissement de la charité.

+

enfant tablette NadineDoerle résigner