Imitant les « Freedom convoy » canadiens, des camionneurs français et européens s’apprêtent à rouler sur Paris et Bruxelles. Le Figaro (9 février 2022) a demandé son analyse au philosophe et sociologue Michel Maffesoli.
Des mouvements s’organisent sur les réseaux sociaux pour imiter le «Freedom Convoy». Comment les qualifier ?
Michel MAFFESOLI. – À force de mettre en œuvre une stratégie de la peur, des explosions de colère se développent. Les «gilets jaunes» en étaient une expression, les manifestations du samedi ou les rassemblements juvéniles et musicaux aussi. Nous vivons un moment de déconnexion entre le peuple et les élites, définies comme celles ayant le pouvoir de dire ou de faire. Ce n’est pas la première jacquerie de ce genre que nous connaissons. Une explosion de cet ordre se déroule, alors que certains ne se reconnaissent plus dans la gestion de l’épidémie.
De ce que je constate, les manifestations qui pourraient commencer en fin de semaine ne seront pas forcément négligeables. Essentiellement, elles sont dues à ce déphasage entre le peuple et les élites. C’est un moment de déconnexion, de désaccord.
Les réseaux sociaux sont essentiels dans l’organisation de ces manifestations. Pourquoi ?
Dans les élites, il y a une forme d’entre-soi avec des gens qui répètent la même chose. D’une manière générale, il existe une grande méfiance à l’endroit de ce qui est dit sur les réseaux sociaux. On ne peut pas nier que les «freedom convoy» au Canada et au Québec se sont organisés sur les réseaux sociaux, c’est là que ça se passe. Les réseaux sociaux sont comparables à l’invention de l’imprimerie par Gutenberg quand les moines avaient un monopole sur les livres.
Je pense qu’on ne peut pas ne pas en tenir compte. Ce sont des indices, au sens étymologique du terme : ceux qui pointent. S’ils ne sont pas la vérité, un observateur est obligé de les voir.