Mis en place à grande échelle en ce temps de Covid-19, mode de travail encouragé de manière persuasive par le pouvoir, le télétravail veut être imposé comme une nouvelle norme. Une décision d’autant plus facile à faire passer que ce mode de travail n’est pas, a priori, sans attraits. Mais à long terme il renforce la construction d’une société fondée sur l’individu et où le travail n’est plus qu’une affaire de production au-delà de tout renforcement du lien social, contrairement à ce que faisait ressortir Antoine de Saint-Exupéry dans Terre des hommes :
« La grandeur d’un métier est peut être avant tout d’unir les hommes, mais il n’y a qu’un luxe véritable et c’est celui des relations humaines. »
Mais nos gouvernants ont-ils lu Saint-Exupéry ? Pas sûr à découvrir cet article sur le télétravail paru dans La Croix (30 novembre) :
« Le télétravail restera la règle et devra être le plus massif possible », a rappelé jeudi Jean Castex. Le lundi précédent, le premier ministre avait demandé, à Matignon, aux partenaires sociaux de réfléchir à une deuxième phase « qui ne soit pas le 100 % télétravail comme aujourd’hui, mais ne soit pas non plus le retour au stade précédent ».(…)
Concrètement, l’accord national interprofessionnel (ANI) acquis jeudi dernier au terme de trois semaines d’intenses négociations pourrait apporter des pistes très utiles. Certes, et selon le vœu de départ des entreprises, ce texte accepté par toutes les organisations patronales et tous les syndicats (sauf la CGT) ne se veut « ni normatif ni prescriptif ». Mais volontairement très « opérationnel », il répète utilement la réglementation en vigueur que ce soit le code du travail ou le précédent accord de 2005 – le télétravail n’était encore qu’à ses balbutiements – qu’il vient compléter et préciser. Car, au-delà de la crise sanitaire qu’il n’aborde qu’incidemment, cet accord veut aboutir à une « mise en œuvre réussie du télétravail » – c’est son titre – dans des entreprises françaises dont la culture, relève un récent rapport de la fondation Terra Nova, reste marquée par le « présentéisme et les pesanteurs de pratiques managériales, encore fortement imprégnées ».
« Cette culture est encore aujourd’hui en France le frein principal à l’extension du télétravail », regrette la fondation pour qui « les chefs d’entreprise, nés et élevés dans le présentiel, doivent apprendre à apprivoiser le distanciel, pour eux-mêmes et pour leurs collaborateurs ».
Après le premier confinement, le télétravail a d’ailleurs fortement reculé au point que, selon The Economist, les salariés français sont ceux qui sont le plus retournés physiquement au bureau en Europe. D’après le ministère du travail, la France comptait en mars 5 millions de télétravailleurs contre seulement 1,8 million en octobre, sur un total d’au moins 8 millions de postes télétravaillables.
Pour réussir ce changement culturel, le récent accord national interprofessionnel incite donc très fortement à la discussion dans les entreprises. C’est d’ailleurs ce point qui a été le nœud le plus complexe des négociations.