Dans L’Express (7 décembre 2020) le débat porte notamment sur la gauche, sa recomposition, son passé et son avenir. Le journaliste François Bazin a décidé, lui, de pointer ses trahisons
Elle a trahi hier, elle trahit aujourd’hui et, à ce compte, on ne voit vraiment pas pourquoi elle ne trahirait pas demain à nouveau. La gauche a cette curieuse particularité, si l’on en croit les meilleures plumes du moment, de n’être fidèle qu’à une seule chose qui n’est rien moins que son caractère foncièrement infidèle. C’est ce vice qui, paraît-il, la constitue à chaque époque de sa longue histoire. Elle change parfois de nom mais jamais de nature. Toujours, elle redevient, comme disait Sartre, ce « grand cadavre à la renverse où les vers se sont mis ». Pour ce qui est du cadavre, inutile d’insister. Ses morceaux flottent, depuis quelques années déjà, sur la grand’ mare de la politique et on voit mal par quel miracle il en irait autrement dans les temps à venir, ceux d’une éventuelle reconstruction post-macronienne. En ce qui concerne les vers, en revanche, les experts se divisent et les débats qu’ils suscitent méritent qu’on s’y arrête un instant parce qu’à travers eux, c’est le sérieux de la thèse qui est ainsi questionné. (…)
Ce que l’on voit sous nos yeux ne relève donc pas de la trahison mais de la tradition. Il n’entre aucune infidélité dans la persistance de clivages profondément ancrés dans la réalité politique, qu’il faut juger en tant que tels et non dans leur globalité. Si mouvement il y a, ce n’est pas dans la gauche prise comme un bloc qu’il faut le repérer mais entre les différents courants de celle-ci. Or ce qui frappe, depuis quelques décennies, ce n’est pas l’effacement du courant laïc mais plutôt son renouveau depuis qu’il a digéré son échec sur la question scolaire. Il ne s’agit pas ici d’en exagérer la portée mais enfin, quel changement depuis l’époque où ceux qui portent aujourd’hui la laïque en sautoir moquaient la République des Jules ou le voltairisme à courte vue de notables radsocs et autres Monsieur Homais ! Voilà que les « vieilles barbes » se dressent sur le chemin des barbus. On n’en est pas encore à rehausser la statue d’Édouard Herriot mais s’il faut juger la gauche au regard de l’Histoire, ce n’est pas de trahison qu’il convient de parler mais d’une recomposition qui n’est pas celle qu’on prétend. (…) La différence, à gauche, est vécue comme une hérésie. L’originalité est reçue comme un écart par rapport à la norme qu’on peut parfois tolérer mais jamais absoudre. L’autre, en ce sens, a vite fait de devenir un traître avec lequel il n’y a pas de réconciliation possible et qu’on invite pourtant à une réduction unitaire à l’ombre de la vraie croix. Exercice évidemment absurde. Exercice pourtant sans cesse recommencé qui laisse en tout cas de beaux jours devant elles aux plumes qui, demain, viendront broder à leur tour sur le thème rebattu de l’éternelle trahison.