C’est Jean-Marie Rouart, qui l’affirme dans une tribune libre publiée dans le Figaro (9 décembre 2020) :
Devant un péril islamiste bien réel qui s’exprime par la violence, auquel va tenter de répondre le projet de loi sur le séparatisme, il est intéressant d’élever le débat sur le fond. Il faut en effet s’interroger aussi sereinement que possible sur une crainte qui ne laisse pas d’inquiéter les esprits les moins portés aux réactions passionnelles. D’où vient que l’islam qui, à l’inverse du christianisme, comme épuisé par ses anciennes ambitions, n’a pas, lui, abdiqué son prosélytisme virulent, apparaît comme une menace pour l’avenir? (…)
La conséquence, c’est un monde désemparé, de moins en moins guidé par un christianisme qui manifeste des symptômes de fatigue, voire des déviations incontrôlées comme s’en inquiétait G. K.Chesterton face à «tant d’anciennes vertus chrétiennes devenues folles». Un monde tourneboulé par un changement technologique et génétique invraisemblable: nouveau scientisme, mondialisation porteuse d’autant de bienfaits que de déstabilisation, tendances anarchisantes héritées du rousseauisme et ressuscitées bizarrement par les soixante-huitards. Tout cela aboutit à des églises où des fidèles moins nombreux hantent des voûtes qui ne résonnent plus de cantates de Bach et de Haendel, où des prêtres, même s’il en existe beaucoup d’exceptionnels, semblent parfois touchés par la lassitude et l’à quoi bon. Parfois en jeans sous leur surplis, ils déversent machinalement une parole divine assaisonnée de commentaires en vérité moins inspirés par Bossuet, Massillon ou Lamennais que par l’actualité télévisée plus en accord, pensent-ils, avec les préoccupations de leurs ouailles.
Ce qui donne des cérémonies maussades, des messes pauvres en prêches et spirituellement faibles. Dans ces conditions d’appauvrissement liturgique, les messes peuvent-elles encore faire croire à ce merveilleux qui enchantait le christianisme? Comment cette injonction du Christ: «Je suis la vérité, le chemin et la vie» peut-elle encore être entendue? Car au lieu de se renforcer spirituellement sur sa base indémodable et universelle, l’Évangile, de maintenir par les arts, la musique, le chant, tous les chefs-d’œuvre qui illuminaient sa liturgie, le catholicisme sous l’influence d’un progressisme janséniste s’est dépouillé sans vrai profit de sa pompe traditionnelle. (…)
Le parti laïc, qui a tant combattu le cléricalisme et la superstition religieuse, aimerait remplacer avantageusement cet édifice catholique en crise qu’il rend responsable de beaucoup de nos maux. Brochant son combat sur les dérives sectaires de l’islamisme fanatique, il voudrait dessiller nos yeux de ces croyances puériles que représente pour lui le religieux: remplacer la superstition par la raison, la foi par l’athéisme, la croyance en l’au-delà par la plénitude des jouissances d’ici-bas. Individuellement, ce choix est tout à fait respectable. Il est en revanche plus discutable quand on veut unifier une société qui a besoin d’une référence métaphysique plus solide et d’une aspiration à la transcendance. (…)
comment les tenants du laïcisme pur et dur dans leur orgueil de libres penseurs peuvent-ils croire un instant qu’ils seront capables à eux seuls par leurs incantations à Jules Ferry et à Jaurès d’endiguer le tsunami islamiste qui, par la double insinuation de la persuasion et de la violence, risque de vouloir s’imposer? (…)
Ces étoiles, legs d’un judéo-christianisme nullement incompatible avec la laïcité, n’avons-nous pas intérêt à les faire resplendir plutôt que de nous obstiner à les éteindre, non tant par la croyance qui appartient à la conscience, mais par la défense de l’architecture culturelle et spirituelle qui les porte? Sinon, nous risquons de voir l’islam les rallumer à son profit.