Editorialiste à Marianne, chroniqueur au Figaro, ancien éditorialiste au Nouvel Observateur, ardent apôtre de la déconfessionnalisation de la CFTC, membre de la CFDT, Jacques Julliard incarne la bonne conscience démocrate-chrétienne. Pétri de culture, Julliard redécouvre tous les matins, avec l’étonnement d’un gamin ouvrant les yeux sur le monde, que le péché originel a laissé quelques traces. Sa dernière découverte ? Le Monde et France Inter seraient des officines de désinformation (Marianne du 11 décembre 2020). Accordons lui qu’il n’est jamais trop tard pour être lucide.
À peine avais-je déjeuné que, ouvrant le Monde je suis tombé sur une double page, avec dessin, consacrée à régler leur compte aux « laïcards » : « Islamisme, séparatisme, l’offensive payante des laïcards », tel était le titre d’un article qui ressemblait, à mesure que l’on avançait dans sa lecture, à une liste de proscription, quelque chose comme l’« Affiche rouge », à cela près qu’il n’était pas question de fusiller ces « laïcs de préférence ». Encore que plusieurs d’entre eux, on se demande bien pourquoi, vivent sous une protection policière constante… Ah ! au moins on ne dira plus, au vu de ce papier, comme je l’entends souvent dans la bouche de ses ennemis jurés, que le Monde qui flirte souvent avec l’islamo-gauchisme – ce sont ses ennemis qui parlent –, a conservé de ses origines démocrates-chrétiennes un côté curé, biaisé, faux-cul, reconnaissable entre mille. Vous pensez bien que, chaque fois, je me récrie d’indignation. Au moins, on ne dira pas cette fois-ci que le Monde n’y va pas franco. (…) Lisant avec fébrilité jusqu’à la dernière ligne, j’ai constaté que, pour cette fois-ci, j’avais échappé à la rafle, mais que j’avais intérêt désormais à me tenir à carreau. Moi qui me suis longtemps imaginé que la loi contre le séparatisme avait été inspirée par le terrorisme le plus abject, la décapitation de Samuel Paty, le meurtre de trois fidèles dans la cathédrale de Nice, me voilà bien détrompé ; il n’en est du reste pas question dans l’article dont je vous parle. La loi liberticide, forcément liberticide, que le gouvernement nous prépare est le fruit quasi exclusif du lobbying de ces laïcards déchaînés, leur « triomphe idéologique ». On a beau dire et redire, le Monde est un journal qui sait décrypter. (…) J’en étais là, ce lundi, à méditer sur mes mauvaises fréquentations, quand, à 22 h 5, j’ai ouvert sur ma tablette le Figaro à paraître le lendemain matin 8 décembre. Et qu’est-ce que j’y trouve ? Une information qui m’a fait sursauter. France Inter, radio du service public, vient de refuser une publicité en faveur de l’Œuvre d’Orient, association loi 1901, qui depuis cent soixante-quatre ans soutient les chrétiens d’Orient en finançant leurs œuvres sociales, écoles, hôpitaux, dispensaires. Bonne princesse, la direction de France Inter précise toutefois qu’elle est prête à accueillir cette publicité, à condition que disparaisse du message le mot « chrétien » qui y figurait, invoquant son souci de ne diffuser « aucun élément de nature à choquer les convictions religieuses, philosophiques ou politiques » des auditeurs… Non mais, à France inter, ils ne seraient pas devenus un peu « laïcards » ? Ce n’est pas le cas, la direction de la station a bien compris que, sous prétexte que les personnes se réclamant de Jésus-Christ font l’objet, dans la plupart des États à gouvernement musulman du Moyen-Orient, de mesures vexatoires diverses – allant de la discrimination administrative et fiscale jusqu’aux expulsions et aux massacres, comme on le voit aujourd’hui dans le Haut-Karabakh –, il faudrait accepter de souiller les ondes laïques et virginales de ce mot de « chrétien », qu’il est désormais plus que malséant, littéralement obscène, de prononcer ! La direction de France Inter n’est donc pas tombée dans le piège qui lui était tendu : elle est prête à soutenir les droits de l’homme des chrétiens persécutés à condition de ne pas les nommer. Ainsi sont heureusement conciliés les devoirs d’humanité et le souci de ne pas froisser, par un mot inconvenant, les oreilles de ses auditeurs.