Au quotidien n°118 : un anniversaire à ne pas oublier

Publié le 23 Déc 2020
Au quotidien n°118 : un anniversaire à ne pas oublier L'Homme Nouveau

Il y a cent ans, le parti communiste « français » était fondé à Tours. Qui s’en souvient ? Qui, surtout, connaît les épisodes de cette fondation ? Dans un remarquable article publié dans le Figaro (22 décembre 2020) l’historien, spécialiste du communisme, Stéphane Courtois, revient sur cet événement et ses conséquences. Il faudrait tout citer. En voici déjà des extraits :

En ce 25 décembre 1920, pendant que les chrétiens chantent Noël et la venue du Sauveur, les militants de la SFIO – la Section française de l’Internationale ouvrière (la IIe Internationale) -, fascinés par une Russie bolchevique autoproclamée « patrie socialiste et du pouvoir des travailleurs », se réunissent à Tours au chant de L’Internationale pour célébrer la gloire de Lénine, qui fait figure de sauveur d’un socialisme européen traumatisé par la guerre.

Les divers courants socialistes sont les héritiers de la Révolution française, dont ils assument la période jacobine – celle de Robespierre, des sans-culottes, de la terreur et de la guillotine. Cependant, après la défaite de la Commune en 1871, ils ont privilégié le suffrage universel et la voie légale et parlementaire vers le pouvoir. Réunis depuis 1905 par Jean Jaurès autour de son journal L’Humanité, ils ont obtenu en mai 1914 un beau succès avec plus de cent députés et 18 % des voix. Cet avenir prometteur est pourtant bouleversé par une double catastrophe : l’assassinat de Jaurès le 31 juillet et l’écla(tement, le 1er août, de la Première Guerre mondiale.

(…)

C’est dans cette tension que s’ouvre le 25 décembre 1920 à Tours le 18e congrès de la SFIO, dans la salle du Manège où s’entassent plus de 400 personnes dont 285 délégués. Parmi eux, un jeune Indochinois nommé Nguyen Aï Quôc, le futur Ho Chi Minh ; et aussi plusieurs agents russes qui œuvrent en coulisse. Une à une, les 86 fédérations déclinent leur choix. Pour l’adhésion : motion Cachin (directeur de L’Humanité)-L.-O. Frossard (secrétaire général du parti) ; pour l’adhésion « sous conditions » : motion Jean Longuet, petit-fils de Karl Marx ; contre l’adhésion : motion Léon Blum. (…)

Le 27 décembre, dans un discours fondateur et prémonitoire, Léon Blum, s’il réaffirme sa foi marxiste et révolutionnaire – y compris en la « dictature du prolétariat » -, dénonce l’obligation de créer un appareil clandestin et la soumission de fait au parti bolchevique et à son régime dictatorial, qui suppriment la démocratie interne dans le parti.

Le lendemain, ses adversaires brandissent les télégrammes des militants français emprisonnés, dont le plus ardent léniniste est alors Boris Souvarine. Puis éclate le « coup de revolver de Zinoviev » : pour empêcher un compromis unitaire entre motions, le président de l’Internationale exige l’exclusion de Longuet. C’est enfin le clou du spectacle : la lumière s’éteint et apparaît soudain à la tribune une femme recherchée par toutes les polices, la socialiste allemande Clara Zetkin – preuve vivante de l’internationalisme -, qui, après un discours enflammé pour l’adhésion, disparaît. Bouleversée, la salle se dresse et chante L’Internationale. Difficile d’imaginer meilleure manipulation de psychologie collective.

Le 29, par 3 208 mandats – contre 1 022 à la motion Longuet -, la SFIO devient la Section française de l’Internationale communiste (SFIC, rebaptisée PC-SFIC l’année suivante). Les 30 et 31 décembre, ce sont les socialistes qui, minoritaires – Blum, Longuet et leurs amis -font scission pour garder « la vieille maison » de la SFIO, selon l’expression de Blum, c’est-à-dire un parti démocratique à idéal révolutionnaire.

Lénine a remporté un succès éclatant, mais la gauche française est désormais fracturée pour un siècle en deux partis frères ennemis. Ceux des militants communistes qui pensaient que les 21 conditions étaient une clause de style sont bientôt contraints de les appliquer. Et le jeune PCF s’engage dans un processus de purges des dissidents, à commencer, en 1923, par Frossard. Suivi, en 1924, par Souvarine, avec ce commentaire de L’Humanité : « La “valeur”, le “talent”, le “savoir” de tel ou tel ne sauraient justifier un relâchement du contrôle auquel tous les communistes sont astreints. (…) C’est dans la mesure où toutes les survivances du “Moi” individualiste seront détruites que se formera l’anonyme cohorte de fer des bolcheviks français. » Ainsi naît au forceps un parti de révolutionnaires professionnels toujours plus étroitement soumis au système totalitaire soviétique. Dès 1924, la bolchevisation restructure le PCF sur la base des cellules, locales et d’entreprise. À Moscou, l’École léniniste internationale forme à l’idéologie léniniste puis stalinienne des centaines de jeunes français appelés à former l’appareil central du PCF. En 1930-1931, l’envoyé plénipotentiaire de l’Internationale, le slovaque Eugen Fried, prend clandestinement la direction politique du parti et devient jusqu’en 1939 le mentor secret du secrétaire général, Maurice Thorez. Il crée le service des cadres chargé durant des décennies de sélectionner les responsables, de la base jusqu’au bureau politique.

Désormais intégré au système communiste mondial organisé autour du PC d’Union soviétique – sa matrice et son moteur – dominé par Staline, le PCF inaugure sa double vie.

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