L’affaire Oliver Duhamel – accusé d’inceste – met un peu de lumière sur un club très fermé dont il était le Président : Le Siècle. Marianne (22 janvier) a enquêté à son sujet.
L’affaire Duhamel éclabousse aussi une discrète institution, Le Siècle, dont le constitutionnaliste déchu était président. Ce club ultrasélect du Tout-Paris des affaires et de la politique réunit tous les mois, pour un dîner, banquiers, hauts fonctionnaires, ministres, journalistes de cour et universitaires du sérail. « Il y a même un évêque, un rabbin et un psy » nuance un de ses membres. Exact. Mais ceux-ci y sont si peu nombreux que leur présence relève plus de l’exotisme (…). Le Siècle n’est pas un think tank mais un pur lieu de pouvoir. Un point de rencontre obligé pour ceux qui aspirent à diriger et ceux qui veulent continuer à le faire. (…) N’empêche, infiniment mieux qu’une légion d’honneur, être invité aux dîners du Siècle suffit à signifier une appartenance à cette nomenklatura satisfaite surtout d’elle-même. « Ces agapes transpirent un entre-soi incurable et maladif » raille un éminent membre. Réglés comme un métronome, ces dîners à 250 couverts constituaient jusqu’au 26 février 2020, date à laquelle ils se sont arrêtés pour cause de Covid, les noces mensuelles de cette nouvelle aristocratie. Lors de ce dernier repas, personne n’a encore réalisé que le monde est au bord d’un abîme général. Et que le président du Siècle, Olivier Duhamel, d’un abîme intime… Ce jour-là, deuxième et dernier dîner de sa présidence, le constitutionnaliste rayonne. Il y a des années, il a été le premier à être autorisé, une coquetterie d’intellectuel, à s’asseoir à table en polo et sans cravate. Moins de un an plus tard, à l’annonce de la publication du livre de Camille Kouchner révélant la face cachée pédophile de son ancien beau-père, le conseil d’administration du Siècle, réuni en visioconférence le 6 janvier, rédige à la hâte un communiqué rappelant « son attachement au respect absolu de l’intégrité physique et morale de la personne humaine » et « condamne avec la plus grande fermeté tout acte y portant atteinte et en particulier toutes formes de violence sexuelle ». (…) Deux jours plus tard, comme dans une cordée qui dévisse, l’avocat Jean Veil, 23e président du club entre 2014 et 2016, jette l’éponge lui aussi. Dans une lettre écrite le 15 au nouveau président, l’avocat estime qu’il doit « protéger l’association ». Pour la première fois, comme l’a révélé Marianne le fils de Simone Veil s’étend sur ses relations avec Olivier Duhamel, son ami d’enfance, et admet avoir été « mis au courant entre 2008 et 2011 » de ses agissements incestueux. (…) Le Siècle est né en 1944 du désir de son créateur, Georges Bérard-Quélin, de mettre des gens qui ne se parlaient plus autour d’une table. « Il fallait bien que des gaullistes, des communistes, des résistants, des collabos se rencontrent » confie un ancien président, Denis Kessler, grand défenseur de la « commensalité », cet art de partager une table : « C’est vital de discuter, de se comprendre, sans invective… » Bérard-Quélin, par ailleurs à la tête de la Société générale de presse diffuse le Bulletin quotidien (le « BQ », avec la Correspondance économique), des publications confidentielles hors de prix qui racontent les coulisses de la vie parisienne. Pile pour le « public » du Siècle ! « Si on voulait avoir une chance d’être admis aux dîners, il valait mieux s’abonner. Et si on voulait y rester, pas question de se désabonner » s’amuse un ancien banquier. En 1981, année de l’alternance, le fondateur peut se vanter de compter dans ses dîners dix ministres de Giscard et onze futurs dignitaires du mitterrandisme. L’heure de gloire de Bérard-Quélin. (…) Aux yeux de son créateur, Le Siècle, comme son nom l’indique, devait durer jusqu’au 31 décembre 1999. Mais en janvier 2000, ses membres se sont finalement accordé cent ans supplémentaires. Un nouveau siècle de trop ?