Au quotidien n°154 : un péché de la France, le sort des harkis

Publié le 23 Fév 2021
Au quotidien n°154 : un péché de la France, le sort des harkis L'Homme Nouveau

Le Figaro Magazine (19 février) revient, dans un bel article en hommage au général Meyer, qui jeune lieutenant sauva des harkis et leurs familles, sur le sort de ces musulmans fidèles à la France abandonnés par notre pays au nom d’une politique de démission.

Au mois de janvier 1960, spahis et tirailleurs harkis ont pour mission de harceler les positions ennemies au cœur de la montagne. Et ils le font plutôt bien. Entre lui et ses « gars », c’est à la vie à la mort. Tout le monde va au feu sans distinction de grade. Les balles ne voient pas les galons. Il ne fait pas de détail entre les croyances et les convictions. Dans frères d’armes, il y a « frère » et c’est pour lui tout ce qui compte. Mais peu à peu, le moral de ses hommes se fendille. Les négociations entre le gouvernement français et le FLN, commencées au mois de juin 1961, ne laissent plus beaucoup d’illusions aux harkis. Même si, sur le terrain, les coups qu’ils ont porté leur donne l’avantage, ils savent que les jeux sont faits. Et lorsque les accords d’Évian sont signés entre les représentants du gouvernement de la République française et du gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), le 18 mars 1962, leur univers s’écroule. Ils sont désarmés et leurs unités dissoutes. En un instant, les anciens supplétifs de l’armée française se retrouvent à la merci des chefs du Front de libération nationale (FLN), qui ne font aucun mystère sur le sort réservé à ceux qu’ils considèrent comme des « traîtres ». Le 19 mars 1962, jour du cessez-le-feu, le contrôleur général aux armées Christian de Saint-Salvy dénombre 263 000 musulmans engagés du côté français en Algérie : 60 000 militaires réguliers, 153 000 supplétifs, dont 60 000 harkis combattants. Considérés comme de futurs Algériens du nouvel État indépendant, ces derniers doivent être rendus en priorité à la vie civile et renvoyés dans leur foyer.

Dans les armées qui plient bagages, c’est le flou total, et le plan de rapatriement promis par de Gaulle peine à se mettre en place. Certains officiers décident d’exfiltrer en douce vers la métropole leurs anciens supplétifs, mais Louis Joxe, ministre des Affaires algériennes, demande contre eux des « sanctions appropriées ». Pour François Meyer, qui vient de retrouver les corps suppliciés de plusieurs de ses anciens compagnons d’armes dans le djebel Alouat, c’est intolérable. Il ne les lâchera pas. Alsacien marqué par l’exode et la défaite de 1940, patriote dans l’âme, il a la tête dure et rien ne le fera changer d’avis. « Le désarroi et le profond sentiment d’injustice ressenti par ces hommes lâchement livrés à eux-mêmes était terrible, se souvient François Meyer. La plupart n’avait pas rejoint l’armée française pour le simple attrait de la solde, mais tout simplement par admiration, par amour, par respect de la France et du sang versé pour elle. Comme ces milliers d’engagés volontaires qui se sont succédé de génération en génération au 3e régiment de tirailleurs algériens (3e RTA), chargeant baïonnette au canon à Reichshoffen, en 1870, tenant coûte que coûte à Verdun en 1916, luttant pour libérer l’Europe en Italie pendant la bataille du Garigliano en mai 1944, ou tombant en Indochine à Diên Biên Phu en 1954. Si l’on ne parvient pas à ressentir leur conviction viscérale d’avoir été là quand on avait besoin d’eux, il est impossible de comprendre la nature même de leur identité et leur demande si légitime de reconnaissance, assure-t-il. Celle-là même qu’ils peinent encore et toujours à avoir aujourd’hui. » Avec son adjoint et les autres spahis de son commando, il commence d’abord par rassembler tous les membres de sa harka qui veulent partir pour la France et fait signer des engagements à la chaîne, car seuls ceux qui souhaitent rejoindre l’armée française et ceux considérés comme « réellement menacés » peuvent espérer voir de leurs yeux la rive occidentale de la Méditerranée. Puis il assure la protection des familles. Le 13 juin, il parvient à faire embarquer à Oran 200 harkis avec femmes et enfants. Puis une seconde opération est organisée. « Le 5 juillet, alors que l’Algérie fête son indépendance, notre convoi composé d’une centaine de personnes tente de se frayer un chemin dans la foule hostile qui insulte les harkis assis dans les camions, raconte le général. À un barrage, des hommes de l’Armée de libération nationale tentent bien de nous arrêter : les mitrailleuses 12,7 de nos deux blindés légers que nous armons devant eux les incitent à nous laisser passer presque poliment. Mais une fois arrivés à Oran, nous découvrons que le Djebel-Dira, le bateau que nous attendions, a été bloqué à Marseille à cause d’une grève des dockers. » Comme aucune caserne n’accepte de les héberger, Meyer se met alors à la recherche des commandos de marine avec lesquels il avait mené plusieurs opérations spéciales. « Ils m’avaient dit : “On ne te laissera jamais tomber.” Mais les marins venaient de partir pour la France et c’est l’amiral, au nom de la parole donnée, qui nous a ouvert la citadelle de Mers el-Kébir. » Pendant cinq jours, le lieutenant et ses harkis guettent l’arrivée du bateau qui les emporte finalement vers Marseille, où ils débarquent un 14 juillet. Tout un symbole. Cinq jours plus tard, le 19 juillet, une nouvelle directive demande au représentant de la France en Algérie de mettre un terme au rapatriement des supplétifs musulmans de l’armée française, alors même que l’épuration se poursuit. Malgré la colère du général de Brébisson, le nouveau commandant supérieur en Algérie, horrifié par le sort réservé aux harkis, le gouvernement reste inflexible. Les transferts ne reprendront de nouveau qu’à partir du mois de septembre 1962. Entre-temps, près de 80 000 harkis, supplétifs, femmes, enfants et vieillards auront été massacrés.

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