Au quotidien n°162 : le Diable dans la démocratie

Publié le 05 Mar 2021
Au quotidien n°162 : le Diable dans la démocratie L'Homme Nouveau

Polonais, philosophe, ancien ministre et aujourd’hui député européen, Ryszard Legutko a constaté par expérience que le communisme et le libéralisme puisaient aux mêmes sources. Il s’en est expliqué dans un livre, Le Diable dans la démocratie (L’Artilleur). Il a répondu aux questions du Figaro (5 mars 2003).

Je comprends votre inquiétude sur l’expansion du politiquement correct. Mais vous en rendez responsable la démocratie libérale. Est-ce justifié ? N’est-ce pas plutôt le progressisme post-1968 et le phénomène récent du radicalisme « des justiciers sociaux » qui est en cause ?

J’explique dans le livre que le libéralisme, dès l’origine, veut instaurer une transformation sociale. Si vous lisez Hobbes ou Locke, figures de la philosophie libérale, ils commencent toujours par une situation hypothétique, prépolitique sur l’état de nature. Cela a des conséquences, car il résulte de cette perspective que toute institution a la charge de la faute. Le libéralisme a de ce point de vue privé les gens du respect de l’expérience et des institutions de longue durée. Prenez l’exemple de la famille. Elle a toujours été suspecte pour les libéraux. Ceux qui défendent la famille sont a priori dans une position plus faible, car c’est à eux de prouver qu’elle est importante. Le libéralisme de ce point de vue affaiblit les conservateurs, il invite au radicalisme et sans avoir d’arme théorique pour le contrer. Les libéraux finissent donc toujours par rendre les armes face aux radicaux.

Selon Tocqueville, le libéralisme, c’est le pluralisme des idées, la capacité à accepter nos désaccords…

Les sociétés sont par essence pluralistes, mais nous ne le devons pas aux libéraux qui, eux, ont une vue assez stérile et uniforme de la société. Distinguer entre le sexe féminin et masculin est une notion qui habite toute l’histoire de l’humanité, depuis des millénaires. Mais les libéraux ont décidé désormais qu’il y avait 50 genres, et non 2 sexes ! Vouloir introduire ces 50 genres implique un travail de destruction massif des structures existantes. En réalité, sous prétexte de diversité, c’est l’uniformité s’installe. On crée des « bureaux de diversité » partout – universités, administrations, business. Mais ces appellations cachent des bureaux « d’homogénéité », réduisant au silence ceux qui pensent différemment.

Qu’est-ce qui vous inquiète le plus ? Les attaques contre la famille traditionnelle ?

Les radicalismes ont toujours eu deux ennemis principaux : la famille et la religion. Parce que ces dernières étaient source de continuité. Les Jacobins français comme les bolcheviks se sont rués sur les notions de sexe libre pour casser la cellule familiale. Et voilà que cela recommence. Même chose pour l’Église. Même en Pologne, comme à l’époque communiste, l’Église catholique, sans laquelle pourtant la nation n’aurait pu survivre, est à nouveau ciblée. La révolution de 1968 a bougé toutes les lignes vers la gauche. Quand le communisme existait, on avait une ligne de partage, communistes/monde libre. Mais quand tout s’est effondré, la démocratie libérale a eu le champ libre. Et la gauche s’est mise à faire ce qu’elle a toujours fait : changer le monde, alors que les conservateurs, eux, ne cherchent jamais qu’à améliorer. Après les expérimentations calamiteuses de nationalisation de l’économie, la gauche s’est cherché un nouveau terrain : le sexe, la famille, la question raciale. Les débats de classe ont presque disparu…

Vous décrivez le Parlement européen comme une structure « aux traits hideux », dont « l’esprit n’est ni bon ni splendide »…

Plus j’en sais sur l’Union européenne, plus je déchante. Car elle va contre tous les principes que nos nations ont mis en place au cours des derniers siècles. La notion clé de responsabilité devant l’électorat notamment ! Dans ce Parlement, vous avez 700 élus, dont 52 sont polonais. Ce qui veut dire que 648 députés n’ont aucun compte à rendre aux électeurs polonais. À Bruxelles, tous les partis qui ne font pas partie du mainstream ne sont pas pris au sérieux. Autres écueils : à l’UE, il n’y a aucune séparation des pouvoirs et il y a une violation massive des traités. L’idée d’une « union toujours plus proche », constamment mise en avant, est scandaleuse. Elle va contre les constitutions nationales, qui confèrent à chaque pays sa stabilité et son caractère inamovible. Mais si vous dites : nous sommes toujours plus proches, cela veut dire qu’aucun article des traités n’est stable, car vous pouvez le contourner avec l’appui des partis mainstream.

On trouvera une présentation du livre de Ryszard Legutko dans le premier numéro de Reconstruire, lettre de formation et d’information sur la doctrine sociale de l’Eglise (éditions de L’Homme Nouveau) qui paraîtra la semaine prochaine. Abonnez-vous !

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